L’OTAN : un anaconda qui s’auto-cannibalise quand il a faim ?

NATO's Anakonda: A Beast That Preys on Its Own in Hungry Times?


Finian Cunningham

Par Finian Cunningham – Le 12 juin 2016 – Source strategic-culture

Les gens de l’OTAN affectés à la tâche de penser à des noms de code pour ses opérations, semblent avoir fait un lapsus freudien sur l’Opération Anaconda. Les exercices de guerre de l’OTAN en cours en Pologne sont les plus importants depuis la fin de la guerre froide, il y a un quart de siècle. Le nom – peut-être – par hasard,  se réfère également à la plus grande des espèces de serpent au monde – un reptile forestier qui peut atteindre jusqu’à huit mètres de long et qui est enclin à se cacher dans les marécages.

Plus on considère la biologie de l’anaconda, l’animal, plus le nom semble approprié aux dernières manœuvres de l’OTAN en Europe de l’Est. On y apprend que les habitats naturels du reptile, en Amérique du Sud, risquent d’être détruits. La même chose pourrait se produire pour l’alliance militaire menée par les USA, si ses habitats européens venaient à s’assécher, suite à la fatigue de ces pays de supporter les jeux de guerre constants et la rhétorique belliqueuse qui ont accru les tensions avec leurs voisins russes à l’Est.

Avec une circonférence de 30 cm et pesant jusqu’à 200 kg, le serpent géant est connu pour chasser les poissons, les oiseaux, les tapirs, les crocodiles et même des jaguars en étouffant ses victimes par enroulement. Le serpent – et cela semble particulièrement pertinent – est également connu pour pratiquer le cannibalisme, en dévorant sa propre espèce en cas de pénurie de ses proies normales.

Avec suffisamment d’à-propos, l’opération Anaconda de l’OTAN se tortillait dans des problèmes logistiques, lors du début des opérations cette semaine. La mobilisation de 31 000 soldats et de plus de 3 000 véhicules de 24 pays – tous sur le territoire polonais – a créé la confusion dans l’accès aux routes, ponts et chemins de fer. Il y avait aussi des problèmes juridiques imprévus pour le transit de troupes non-OTAN et non-UE participant aux exercices en provenance de l’Ukraine, de la Géorgie, de la Macédoine, du Kosovo et de la Suède. Telles sont les conséquences, lorsque l’anatomie d’un géant lourd et maladroit dépasse les capacités de son cerveau.

Mais voici un point plus sérieux concernant la façon dont la bête géante qu’est l’OTAN se met en danger elle-même. Comme cela a été récemment rapporté dans le Financial Times, les membres européens de l’OTAN allouent maintenant beaucoup plus de leurs budgets nationaux à des dépenses militaires, après des années de déclin. Et ce, à un moment où leurs économies fragiles et leurs citoyens de plus en plus mécontents peuvent difficilement se le permettre.

Ce revirement a été dirigé par les États-Unis. Un thème majeur de la politique étrangère de l’administration Obama a été de cajoler ses alliés européens pour qu’ils augmentent leurs engagements de dépenses à l’OTAN. Les États-Unis comptent pour environ 70% de la dépense militaire totale de l’organisation de 28 membres. Ce qui a provoqué l’alarme profonde à Washington, c’est que la plupart des états européens ont systématiquement rogné sur les budgets militaires.

Plus tôt cette année, le président Obama a réprimandé les alliés européens pour être des «passagers clandestins» de la puissance militaire américaine. Ce thème a été repris par le candidat républicain à la présidentielle Donald Trump, qui a également réprimandé les nations européennes de ne pas prendre plus de responsabilités dans les défenses militaires.

Bien sûr, la fausse barbe ici, est que l’Amérique agirait comme un protecteur bienveillant de l’Europe qui dépense bien au-delà de son engagement à «défendre le monde libre». Les dépenses militaires démesurées des États-Unis ont peu à voir avec l’esprit chevaleresque, et beaucoup avec le soutien de leur propre complexe militaro-industriel – la pierre angulaire de l’ensemble de l’économie américaine. L’OTAN est le véhicule pour ce mastodonte américain du capitalisme d’entreprise subventionné par l’État.

Tout aussi important, l’alliance de l’OTAN depuis sa fondation en 1949, fournit également Washington avec une licence géopolitique pour l’hégémonie sur les alliés européens ; et surtout en ce qui concerne la prévention de l’intégration économique et politique stratégique entre la Russie et le reste de l’Europe.

Le problème pour Washington est que l’OTAN est devenue un véhicule coûteux à entretenir durablement. En particulier, depuis la crise financière mondiale de 2008, lorsque, selon le Financial Times, de nombreux pays européens membres de l’alliance militaire ont commencé à sabrer leurs budgets de défense.

Pendant les années 1980, les membres européens de l’OTAN dépensaient plus de 3% de leur produit intérieur brut (PIB) dans les budgets militaires. Ce chiffre a chuté à environ 1% depuis 2008 pour les pays clés de l’OTAN que sont l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. C’est dû, en partie, à la crise financière mondiale, mais aussi à la fin de la guerre froide. Pourquoi ces taux élevés de dépenses militaires devraient-ils être maintenus, à une époque où l’Union soviétique n’existe plus ?

Cela expliquerait pourquoi les États-Unis ont de nouveau déclenché l’animosité envers la Russie, comme à l’époque de la guerre froide, présentant cette dernière comme une menace présumée pour la sécurité en Europe. La montée des tensions et la détérioration des relations avec la Russie ont joué directement dans l’agenda de Washington, pour pousser ses alliés européens à gonfler les dépenses militaires.

Lors du dernier sommet de l’OTAN, il y a deux ans au Pays de Galles, les États-Unis haranguèrent leurs alliés européens pour qu’ils s’engagent à dépenser 2% de leur PIB dans des dépenses militaires.

L’implacable narrative américaine d’une prétendue agression russe vers l’Europe, accompagnée de plus en plus par des manœuvres de guerre de l’OTAN en Europe, semble avoir eu l’effet de correction souhaité. Avant le prochain sommet de l’OTAN à Varsovie le mois prochain, il se dit que les années de baisse budgétaire militaire chez les membres européens sont révolues, celles-ci étant considérablement revues à la hausse. «Les dépenses de défense de l’Europe pour l’OTAN augmentent à proportion de l’incertitude», rapporte le Financial Times.

L’ «incertitude» étant la supposée menace pour l’Europe représentée par la Russie, menace que Washington et les principaux médias occidentaux ont consciencieusement et continuellement amplifiée au cours des cinq dernières années, depuis que les États-Unis ont soudainement abandonné leur politique de «reset» vers la Russie.

Le FT cite le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, disant : «Les prévisions pour 2016, basées sur les chiffres des pays alliés, indiquent que 2016 sera la première année où les dépenses de défense des alliés européens se seront accrues depuis de nombreuses, nombreuses années.»

L’un des retournements les plus remarquables est celui de l’Allemagne. Le pays augmente actuellement son budget militaire pour la première fois après une baisse de 25 ans.

D’autres grands dépensiers militaires sont les pays baltes et la Pologne. Le Financial Times écrit : «Les États baltes, qui bordent la Russie, ont fait les plus grands efforts. Le budget de la Lettonie augmentera de près de 60% cette année. La Lituanie verra une augmentation de 35% et l’Estonie de 9%. La Pologne, principale puissance militaire de l’Europe de l’Est, relève également ses dépenses de 9%.»

Ainsi, en une période d’austérité économique générale et de chômage élevé, les pays européens ont néanmoins trouvé les ressources pour stimuler les allocations financières à l’OTAN. Exactement comme le leader américain les a exhorté à le faire.

Le Financial Times admet même : «La hausse des budgets européens est venue comme une surprise pour beaucoup à l’intérieur de l’OTAN, en dépit de l’engagement pris au Pays de Galles [il y a deux ans]. Beaucoup ne s’attendaient pas à voir croître les dépenses, dans une période de tourments économiques et d’instabilité politique en Europe.»

Le militarisme est un moteur essentiel du capitalisme américain, par le biais du complexe militaro-industriel, dont les dépenses s’élèvent à $600 milliards par an [officiellement; en vérité plus proche du double, NdT]. L’OTAN et les dépenses militaires des membres européens sont également une ressource vitale pour le militarisme américain, et donc son économie en général. L’OTAN est aussi une couverture géopolitique essentielle pour l’hégémonie américaine. Par conséquent, avec le déclin de l’OTAN et des engagements européens, en raison de la fin de la guerre froide en 1991, cette évolution représentait une menace structurelle pour le capitalisme américain. D’autant plus que celui-ci est sans doute entré dans une phase de stagnation historique.

La correction, du point de vue des États-Unis, était de forcer la montée en puissance du militarisme à travers son réseau d’alliés européens dans l’OTAN. Et pour que cette ruse ait un effet, il fallait ressusciter la menace russe. L’ironie veut que ce ne soit pas le président russe Vladimir Poutine qui tente de ressusciter l’Union soviétique, comme le clament les médias américains, mais que c’est bien Washington qui ravive le spectre de l’ennemi russe afin d’échapper à son propre déclin. Une autre ironie est que ce ne sont pas les Européens qui sont «les voyageurs clandestins» de l’Amérique chevaleresque, mais c’est l’économie américaine en ruine et dysfonctionnelle qui parasite avec les dépenses militaires européennes renouvelées.

Et, bien sûr, le récit de la menace russe ne gagne qu’un vernis de crédibilité par des manœuvres de guerre massives, comme les exercices militaires actuels Anaconda en Pologne. Sans ces exercices de guerre provocateurs, prétendument pour «la défense», la diabolisation de la Russie se ratatinerait sur le sophisme qu’elle est.

Cependant, à un moment d’immense fragilité économique pour les gouvernements européens et leurs 500 millions de citoyens, la question demeure : le continent peut-il vraiment se permettre d’entretenir une bête géante rampante comme l’OTAN ? Tout comme pour son serpent homonyme lourd et maladroit, il y a un réel danger pour l’alliance qu’elle ne s’étouffe elle-même pour n’avoir aucune autre proie réelle à consommer.

Finian Cunningham

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

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