L’Inde et la Chine s’affrontent à leur frontière


Les deux parties ont envoyé des renforts sur la ligne contestée du Ladakh, tandis que Pékin fait jouer ses muscles partout en Asie


Par Pepe Escobar − Le 27 mai 2020 − Source Asia Times

A Chinese soldier (L) next to an Indian soldier at the Nathula border crossing between India and China in India's northeastern Sikkim state in a file photo. Photo: AFP/Diptendu Dutta

Un soldat chinois (à gauche) à côté d’un soldat indien à un poste frontière dans une photo d’archive. Photo : AFP/Diptendu Dutta

Il serait contre-productif pour les membres des BRICS et de l’Organisation de Coopération de Shanghai, l’Inde et la Chine, d’en venir aux mains à cause de certains cols de montagne enneigés au fin fond de nulle part – bien que stratégiquement importants.

Mais quand on regarde la ligne de front réelle de 3 488 kilomètres de long, que l’Inde définit comme « non résolue », on ne peut jamais l’exclure totalement.

Comme l’a rapporté l’Hindustan Times :

« L’Inde a envoyé des troupes en haute altitude avec des éléments de soutien au Ladakh oriental pour contrer la position agressive de l’Armée Populaire de Libération chinoise destinée à intimider le gouvernement [indien, NdT] pour qu’il arrête de construire des infrastructures frontalières dans le secteur de Daulat Beg Oldie, car cela pourrait menacer la route Lhassa-Kashgar à Aksai Chin ».

L’autoroute va du Tibet au sud-ouest de la province du Xinjiang, où la route du Karakoram – la partie nord du corridor économique Chine-Pakistan – va de Kashgar à Islamabad. De là, une route traverse le Baloutchistan jusqu’au port stratégique de Gwadar au Pakistan, dans le cadre de l’initiative chinoise « Belt and Road ».

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« Les troupes indiennes spécialisées connaissent bien la région autonome tibétaine de Chine et sont entraînées pour opérer à des altitudes où l’air est raréfié », rapporte le Hindustan Times. « L’ampleur du déploiement de l’APL – deux brigades et plus – indique que le mouvement a été approuvé par Pékin et [qu’il] ne se limite pas aux commandants militaires locaux ».

Nul autre que Donald Trump n’a proposé sa médiation.

La tension actuelle a débuté fin avril et a conduit à une série d’échauffourées début mai, décrites comme « un comportement agressif des deux côtés », avec des combats à mains nues et des jets de pierres. Selon la version indienne, les troupes chinoises ont franchi la ligne de contrôle réelle (LAC), avec des véhicules et du matériel, pour bloquer la construction de routes par l’Inde.

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La zone clé se trouve autour d’un lac spectaculaire de 135 kilomètres de long et de 5 à 7 kilomètres de large, le Pangong Tso. Il se trouve au Ladakh, qui est une extension de facto du plateau tibétain. Un tiers est détenu par l’Inde et deux tiers par la Chine.

Le lac Pangong, à la frontière entre l’Inde et la Chine. Photo : AFP / Antoine Boureau / Biosphoto

Les plis des montagnes autour du lac sont appelés « doigts ». Les Indiens disent que les troupes chinoises sont proches du Doigt N° 2 – et bloquent leurs mouvements. L’Inde revendique des droits territoriaux jusqu’au Doigt N° 8, mais son emprise de facto ne s’étend qu’au Doigt N° 4.

Depuis près de dix ans, New Delhi ne cesse d’étendre le développement des infrastructures – et aussi le déploiement de troupes – au Ladakh. Les unités passent maintenant des périodes de déploiement plus longues – le long de la LAC – que les six mois qui constituaient auparavant la rotation standard.

Il s’agit de bataillons en boucle : Ils font un aller-retour avec le glacier Siachen – qui a été le théâtre d’une mini-guerre localisée entre l’Inde et le Pakistan en 1999, guerre que j’ai suivie de près.

Les Indiens affirment qu’il n’y a pas moins de 23 zones « contestées et sensibles » le long de la LAC, avec au moins 300 « transgressions » annuelles des troupes de l’Armée Populaire de Libération.

Franchir la ligne

Les Indiens sont maintenant particulièrement attentifs à la situation dans la vallée de Galwan, au Ladakh, qui, selon eux, a été franchie sur une distance de 3 à 4 km par les troupes de l’APL qui sont en train de creuser des défenses.

Sur le plan diplomatique, tout cela est assez flou. Le Ministère chinois des Affaires Étrangères a accusé les troupes indiennes de « franchir la ligne » au Ladakh et au Sikkim, ainsi que de « tenter de modifier unilatéralement le statut du contrôle des frontières ».

Le Ministère indien des Affaires Étrangères a préféré maintenir que les « mécanismes établis » devraient finalement prévaloir, justifiant son silence relatif par l’explication que la diplomatie discrète entre les commandants militaires et les officiels doit primer.

Cela contraste fortement avec ce que soulignent des sources indiennes sur le terrain : face-à-face entre les troupes en au moins trois points au Ladakh et au Sikkim ; trop de troupes chinoises dans les zones d’ALC surveillées par l’Inde ; et blocage des patrouilles indiennes dans les zones des doigts sur le Pangong Tso.

Il est intéressant de noter que des sources de défense indiennes nient l’existence d’un renforcement des troupes chinoises dans le secteur central de l’ALC, en Uttarakhand ; elles voient ce qui pourrait être qualifié de « mouvements locaux » de routine.

Les questions frontalières entre l’Inde et la Chine sont généralement réglées à la frontière lors de réunions entre les commandants locaux et les officiels. Photo : AFP / Ministère indien de la défense / HO

Il est significatif qu’un ancien Commandant de l’Armée du Nord ait déclaré à The Hindu : « Normalement, les impasses se produisent dans une zone locale, mais elles sont résolues au niveau local. Cela résume à peu près toute la situation le long de la frontière entre l’Inde et la Chine, ainsi que de la frontière entre l’Inde et le Pakistan ».

Mais maintenant, ajoute le Commandant, il semble y avoir une volonté de « niveau plus élevé en Chine », et les escarmouches qui en résultent devraient être traitées diplomatiquement. Le Premier Ministre indien Narendra Modi examine la situation actuelle de l’ALC.

Pékin a été plutôt silencieux à ce sujet. Pourtant, le journal Global Times semble distiller le récit chinois qui prédomine : Les pauvres de l’Inde « sont confrontés à une menace de famine de plus en plus grave ».

Dans un tel contexte, il est concevable que l’exacerbation des tensions frontalières à ce stade fasse resurgir le sentiment nationaliste et augmente l’hostilité intérieure envers les capitaux chinois, exerçant une pression inutile sur le commerce bilatéral et portant un coup supplémentaire à l’économie indienne déjà en proie à des difficultés liées à la récession.

Global Times insiste sur le fait que la Chine « n’a clairement pas l’intention d’aggraver les conflits frontaliers avec l’Inde » et préfère souligner « l’amélioration générale » de leurs « liens économiques et commerciaux bilatéraux ».

Les suspects habituels adeptes de la devise « diviser pour mieux régner », pour leur part, préfèrent spéculer sur la possibilité d’une mini-guerre entre l’Inde et la Chine sur la LAC. Il est peu probable que cela se produise.

Le Conseiller indien à la Sécurité Nationale Ajit Doval et le Ministre chinois des Affaires Étrangères Wang Yi, désignés comme représentants spéciaux de l’Inde et de la Chine, se sont rencontrés en face à face pour la dernière fois en décembre 2019, pour discuter d’un « règlement rapide de la question de la frontière ». Il semble qu’ils devront bientôt se rencontrer à nouveau.

Pepe Escobar

Traduit par Michel, relu par jj pour Le Saker Francophone

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