Par Andrew Korybko − Le 7 avril 2020 − Source oneworld.press
La politisation intense au sujet des expérimentations sur la molécule prometteuse de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients infectés par le COVID-19 suggère fortement que l’« État profond » a décidé d’intensifier sa guerre hybride contre l’Amérique de Trump, au moment où celle-ci est la plus vulnérable de toute l’histoire moderne. Cette déstabilisation se produit pour anéantir ses chances d’être réélu, tant pis si cela doit déboucher sur l’effondrement de l’économie, et accélérer le déclassement déjà latent de l’Amérique à l’étranger par rapport à ses rivales.
Les espoirs autour de l’hydroxychloroquine
L’hydroxychloroquine est le médicament au nom bizarre qui est soudainement passé au premier plan des espoirs de la planète pour gagner la guerre mondiale contre le COVID-19, au vu des nombreux rapports qui la présentent comme le traitement le plus prometteur face au virus. Cela rend tout à fait inexplicable la position du Dr Fauci, qui refuse de mener des essais à grande échelle, malgré les centaines de décès étasuniens que l’on décompte chaque jour à cause de ce virus. Le plus grand expert en maladie infectieuse du pays s’est heurté à Trump, qui insiste au contraire pour que le traitement soit rendu accessible à tous ceux qui en ont besoin. Cela indique, de deux choses l’une, ou bien que le dirigeant étasunien est dangereusement sous-informé quant aux risques présentés par ce médicament, ou bien que la position du Dr Fauci découle d’autres motivations.
Le dilemme de Trump
Il suffit de constater que l’estimé docteur s’auto-décrit comme « admirateur » d’Hillary Clinton, l’ancienne rivale de Trump, qu’il « aime » et qu’il est « très fier de connaître », pour lever quelques alarmes parmi ceux qui soupçonnent toujours l’« État profond » de fomenter des complots pour saper les positions du président. Voici donc une bonne raison pour ces gens de se préoccuper quant à cette guéguerre de plus en plus visible, sur un sujet qui est littéralement un problème de vie ou de mort pour de nombreuses personnes. En outre, le Dr Fauci a récemment contrarié les projets de Trump de rouvrir le pays dans un avenir proche en exhortant à un confinement général du pays, ce qui a alimenté les spéculations quant à savoir si l’expert scientifique n’aurait pas outrepassé son autorité professionnelle en s’ingérant de facto dans des sujets économiques. Tout ceci fait que les Démocrates l’adorent.
Le président se trouve déjà face à un dilemme, contraint qu’il est de faire un choix entre l’économie et les gens, c’est-à-dire que soit il relance l’économie sur la base de rapports selon lesquels le COVID-19 n’est dangereux après tout que pour les citoyens les plus âgés et présentant déjà des pathologies, soit il la laisse verrouillée, selon le principe de précaution, pour protéger les gens. Le premier scénario pourrait engendrer un retour de flamme si le virus se montre plus dangereux qu’attendu, cependant que le second scénario peut facilement présenter comme conséquence de gripper l’économie de manière irréversible. Il s’agit du même dilemme auquel il a été confronté au début de la crise, dans lequel il était « maudit » s’il « sur-réagissait » sans aucun décès, et tout aussi « maudit » s’il attendait que des gens meurent pour décider.
Les desseins de l’« État profond »
L’hydroxychloroquine représente la seule solution envisageable à ce Catch-22 [problème kafkaïen] : elle présente le potentiel prometteur de constituer à la fois un traitement et une prophylaxie, et pourrait justifier la relance de l’économie tout en minimisant le possible danger envers la vie des gens, mais seulement dès lors qu’elle serait produite en masse et distribuée à autant d’Étasuniens que possible. C’est là que réside le nœud du dilemme, car le Dr Fauci amplifie les rapports produits par les médias dominants quant à la dangerosité mortelle latente du virus, tout en douchant le projet envisagé par Trump pour remettre les États-Unis dans la normalité dès que possible ; alors que le président promeut fortement cette ligne d’action tout en rassurant son peuple en avançant l’idée que seules les populations à risque ont sérieusement à craindre ce virus.
On ne peut évidemment pas le savoir avec certitude, mais de sérieuses raisons existent d’émettre l’hypothèse que le sujet de l’hydroxychloroquine a été politisée par le Dr Fauci et ses partenaires de l’« État profond » dans le cadre de leur guerre hybride contre l’Amérique de Trump. Cette interprétation des événements explique que l’expert scientifique soit aussi alarmiste sur le virus et réfute l’utilité de ce médicament pour mettre une pression immense sur Trump afin qu’il maintienne l’économie à l’arrêt ; cela pourrait finir par créer les conditions politiques intérieures pour faire chavirer ses chances de réélection, tout en donnant un coup d’accélérateur au potentiel géostratégique des rivaux de son pays, comme la Chine, par comparaison.
En outre, ce récit entre parfois un peu plus dans les détails, en montrant comment Trump a jusqu’à présent évité de se transformer en soi-disant « dictateur fasciste », tel que le brandissaient ses adversaires politiques avant qu’il ne remportât la présidence ; mais il pourrait connaître une pression sans précédent quant à forcer un contrôle fédéral par-dessus les États, en réponse à la crise qui monte (ou la perception de celle-ci – c’est ce qui compte !) : cela pourrait faire de leurs « avertissements » insincères de l’époque une réalité. L’effet combiné de ces trois débouchés – l’arrêt continu de l’économie étasunienne, la montée sans opposition de la Chine, et la transformation de Trump en « dictateur fasciste » – pourrait être responsable de l’anéantissement des chances de ré-élection de Trump, ce qui en fait un objectif supposé de l’« État profond ».
La guerre hybride contre l’Amérique de Trump
La raison pour laquelle ce scénario est décrit comme une guerre hybride contre l’Amérique de Trump est qu’elle utilise des moyens non-cinétiques (non-violents) pour saper ses cibles – à la fois Trump et l’ensemble du pays qu’il représente – au travers d’une combinaison de facteurs médiatiques et économiques ; le sujet de l’hydroxychloroquine se retrouve fortement politisé du simple fait qu’il représente pour le président la seule manière de sortir de ce dilemme. Mais indépendamment de ce qu’il fera, les Démocrates guettent le moment où ils pourront qualifier ses actions d’irresponsables afin de faire progresser leur enquête quant à la réponse de l’administration à cette pandémie, dans l’objectif de fabriquer une nouvelle variation du scandale du Russiagate, sous forme cette fois-ci de COVIDgate.
Dans ce contexte, le Dr Fauci est présenté au grand public étasunien comme la « conscience apolitique de la nation, dévouée à la vérité scientifique et aux faits indubitables », si bien que son refus d’appuyer le projet de Trump consistant à compter sur l’hydroxychloroquine pour peu à peu rouvrir l’économie du pays gagne un poids « moral » et accorde à ce scientifique une influence politique disproportionné, jouant le rôle, consciemment ou non, de mandataire de l’« État profond ». À supposer que ce plan d’action ne réussisse pas à enrayer l’épidémie, et que plus de décès soient à déplorer après le retour prochain des Américains au travail, comme l’exhorte le président, alors les mots du Dr Fauci pourraient se voir exploités par les Démocrates pour avancer que Trump est directement responsable de ces décès.
Conclusions
L’analyse ci-dessus est fondée, force est de le reconnaître, sur un grand nombre d’hypothèses, qui s’emploient à connecter des éléments à première vue distincts entre eux, pour constituer un contexte général de ce qui se produit aux plus haut niveau de l’Amérique durant la guerre mondiale contre le coronavirus. Mais l’objectif en est de présenter une explication captivante des événements, qui inspirera, espérons-le, d’autres recherches quant à la question de savoir si oui ou non l’« État profond » utilise le Dr Fauci comme dernière arme en date pour faire subir sa guerre hybride à l’Amérique de Trump. Il n’est pas important à leurs yeux qu’ils mettent leurs compatriotes face à des difficultés incalculables pour les décennies à venir, du fait de l’effondrement économique qu’ils catalysent, ni que les rivaux de leur pays puissent dès lors profiter de son déclassement ; tout ce qui compte à leurs yeux est que Trump perde en novembre, et ce à tout prix.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Note du Saker Francophone
Toute proportion gardée dans la comparaison, il serait presque amusant de constater comme les rôles sont inversés entre Raoult et le sommet de l’État en France, et Fauci et le sommet de l’État outre-Atlantique.
Traduit par José Martí, relu par Marcel pour le Saker Francophone