Par Daria Petliaeva − Le 13 août 2020 − Source Sputnik News
«Ici, on a construit l’un des meilleurs laboratoires au monde. C’est ma grande fierté», avoue Anatoli Krasilnikov, directeur du centre russe du projet ITER, un réacteur expérimental de fusion nucléaire construit dans le sud de la France. Travaillant sur le projet depuis les années 80, ce chercheur pionnier du projet a révélé des détails de la création d’«un Soleil sur Terre» et a expliqué à Sputnik pourquoi le plus grand chantier technologique du monde se trouve dans l’Hexagone.
La concurrence était dure mais la France l’a emporté
Aujourd’hui, c’est en France que ce «défi technologique» est construit. Pourtant, initialement, les pays membres ont dû choisir entre plusieurs candidats. «Au début, il y avait cinq options, cinq chantiers: Cadarache en Europe, un autre chantier européen près de Barcelone, Sosnovy Bor en Russie, un autre chantier près de Toronto au Canada et encore un sur l’île de Honshu au Japon», a-t-il rappelé. Le pays hôte étant dans obligation d’assurer non pas 9% des financements, mais 45%, la Russie a dû retirer sa proposition, tout comme le Canada. «Ensuite, il y avait une lutte féroce entre deux chantiers européens: espagnol et français. Au bout du compte, l’UE a accepté la proposition française en retirant celle de Barcelone». Puis, c’était au tour des chantiers français et japonais de s’engager dans un «combat final».
«C’est la voix de la Russie qui a fait pencher la balance en faveur de la France: quatre voix contre trois en faveur de Cadarache. Le Président Poutine a pris personnellement cette décision. Et les Français s’en souviennent!», a raconté Anatoly Krasilnikov en souriant.
Un projet dispendieux mais rentable pour la France
Si une telle compétition a eu lieu pour devenir l’hôte d’ITER, c’est parce que, malgré des dépenses colossales, ce statut prestigieux rapporte gros. Selon M.Krasilnikov, ITER est une vraie mine d’or pour certaines entreprises françaises: la garde, la livraison des produits essentiels, l’approvisionnement en nourriture sans mentionner la construction des routes adaptées menant du port de Marseille, ou arrivent de nombreux composants d’ITER des quatre coins du monde, à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Tous ces services sont fournis par les entreprises locales.
Plus largement, comme tout cela est construit sur le territoire français, pour obtenir un contrat il faut remplir toutes les exigences françaises liées aux énergies nucléaire et thermonucléaire. Dans cette optique, explique M.Krasilnikov, pour les participants non-français et surtout non-européens, la situation se complique: certaines entreprises hors Europe ne sont pas forcément familiarisées avec ces normes, et les installateurs russes, par exemple, doivent d’abord se procurer un visa de travail, un processus qui prend du temps. «Sur ce plan, l’UE gagne beaucoup».
ITER: un projet inégalé à bien des égards
«ITER est l’expérience scientifique la plus grandiose de l’humanité, et ce, à bien des égards», raconte M.Krasilnikov. D’après lui, ITER est plus complexe que le Grand collisionneur de hadrons, le plus grand dispositif expérimental existant dans le monde. Jamais un projet technologique n’a réuni autant d’idées, autant d’innovations, autant de chercheurs – ni la Station spatiale internationale (ISS), ni Soyouz-Apollo, précise-t-il.
C’est aussi un projet immense au niveau des participants. Avec sept «partenaires» – la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, les États-Unis et l’UE- et 35 pays, ITER réunit plus de la moitié de l’humanité et plus de 85% du PIB mondial. Aujourd’hui, la participation au «club ITER» est une sorte de marque de fabrique pour les pays technologiquement avancés. «Si avant les pays du monde entier étaient classés en premier, deuxième et tiers monde, aujourd’hui on les sépare en ceux participant au projet ITER et ceux qui n’y prennent pas part», commente le chercheur.
«C’est la première fois que l’humanité va tenir entre ses mains le plasma, l’un des quatre états de la matière dans la nature, conservé par ses propres réactions de fusion.»
Une source d’énergie propre et inépuisable
Une fois mis en exploitation, ITER peut être considéré comme une vraie révolution en matière de source d’énergie illimitée.
«ITER est une source d’énergie inépuisable. Alors qu’un jour on sera à court de charbon, de gaz et de pétrole, on ne manquera jamais de ressources pour l’énergie thermonucléaire, ses carburants étant le deutérium et le tritium, toujours en abondance», détaille M.Krasilnikov.
Selon les initiateurs du projet, ITER sera aussi une source d’énergie propre et écologique dans le sens où il n’émettra pas de CO2 ni produira de déchets radioactifs. Qui plus est, M.Krasilnikov assure qu’il n’y a «aucune possibilité d’explosion». «Le plus grand incident qui puisse se produire dans un réacteur à fusion est qu’il s’éteigne plus tôt que prévu», clarifie-t-il.
Une collaboration internationale hors normes
Pour le chercheur, une large équipe internationale est l’une des caractéristiques clés du projet et, probablement, son principal avantage.
«Chaque partenaire a apporté sa pierre à l’édifice. C’est pourquoi, aujourd’hui, on a une union des meilleures idées et élaborations technologiques de l’humanité. Elles sont toutes réunies dans le cadre d’ITER», avoue-t-il.
«On aurait pu se cotiser financièrement pour externaliser des tâches aux groupes industriels qui peuvent produire telle ou telle composante le plus vite possible, comme c’est le cas dans d’autres projets. Mais non. ITER est organisé différemment, on a décidé de payer en nature. Par exemple, la Russie ne donne pas d’argent, mais 25 systèmes qu’elle produit», a-t-il poursuivi.
Et d’ajouter que bien qu’une telle logique organisationnelle ne soit pas toujours efficace économiquement, c’est bien elle qui permet aux partenaires d’acquérir l’expérience nécessaire pour ensuite être en mesure de construire toutes les composantes du futur réacteur à énergie illimitée tout seul, par leurs propres moyens.
Qui plus est, ITER est un partenariat qui dépasse la dimension politique. Un fait qui atteste de la priorité du projet est que les sanctions économiques imposées par certains partenaires contre la Russie ne concernaient pas ITER.
«Les sanctions ont été imposées partout sauf à ITER. Disons, si on est confronté à une sorte de situation ou on n’arrive pas à se procurer quoi que ce soit, je m’adresse directement au directeur général, Bernard Bigot. Il téléphone ensuite à Bruxelles d’où on ordonne de ne pas appliquer des sanctions dans ce cas. Il en va de même pour nos collègues américains, car avec ITER, il s’agit de sanctions contre soi-même».
Au sein d’ITER, les décisions sont prises par le Conseil d’ITER qui se réunit deux fois par an. Lors de la prise de décision, nombreux sont les facteurs à prendre en compte: différentes situations économiques, différentes mentalités et style de faire. «Des différends, il y en a. Mais les parties trouvent toujours un accord. S’il y a un membre qui est contre telle ou telle initiative, les six autres essayent toujours de convaincre ce pays pour que la décision se prenne à sept», explique-t-il.
Une vingtaine de milliards d’euros et de nombreuses épreuves
Bien évidemment, un tel projet demande beaucoup de financements. Aujourd’hui, le coût d’ITER avoisine 20 milliards d’euros, une somme quatre fois plus importante que celle prévue initialement. Et la crise économique de 2008 n’est pas la seule responsable. Comme le détaille le chercheur, il y a eu un autre événement qui a gravement affecté la réalisation du projet, à savoir l’accident nucléaire de Fukushima après lequel plusieurs pays ont mis leur énergie nucléaire et de fusion à l’arrêt, alors que d’autres ont durci leurs exigences en la matière.
«Un durcissement des exigences implique toujours un surcoût. C’est après Fukushima que le projet a été reporté de cinq ans pour la première fois.»
D’autres facteurs extérieurs jouent également un rôle et la crise sanitaire que la planète traverse en ce moment est l’un d’entre eux. Tout de même, selon M.Krasilnikov, ITER a su réussir «l’épreuve de la pandémie».
«Le fait même que, malgré la pandémie, on ait inauguré le début de l’assemblage du réacteur le 28 juillet, dans les délais prévus, en dit long». Il précise que même le pic de l’épidémie en France n’a pas suspendu la construction. Certes, le nombre d’ouvriers sur le chantier, qui travaillaient en respectant toutes les mesures de sécurité, a été réduit de 2 000 à 600, mais la France n’a jamais arrêté le processus.
Lors de la pandémie, la Russie a envoyé sept poids lourds d’équipements, raconte-t-il. Bien qu’à ce moment-là les frontières en Europe aient été fermées, Bruxelles a laissé passer tous les frets depuis Saint-Pétersbourg.
«La construction d’ITER lors de la pandémie a montré que quand les pays ont un objectif commun, ils sont en mesure de résoudre rapidement des problèmes difficiles.»
Daria Petliaeva
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