Par Mike Withney – Le 20 février 2015 – Source CounterPunch
La bataille derrière le brouillard de la propagande
L’exceptionalisme US souffre de Sa défaite écrasante à Debaltsevo
«Il n’y a plus de ville. Elle est détruite.» – Un soldat ukrainien anonyme après la bataille de Debaltsevo.
En moins d’un an, les Etats-Unis ont renversé le gouvernement démocratique élu en Ukraine, installé au pouvoir à Kiev un larbin soutenu par Washington, lancé une guerre sanglante et coûteuse en vies humaines pour les populations russophones de l’Est, poussé l’économie dans une spirale mortelle et réduit la nation à un État anarchique et déliquescent voué à endurer une guerre civile vicieuse et fratricide aussi loin qu’on peut le prévoir.
La semaine dernière, Washington a subi sa plus grande défaite militaire en plus de dix ans, lorsque l’armée ukrainienne conseillée par les États-Unis a été sévèrement battue autour de l’important nœud ferroviaire de Debaltsevo. En gros, 8 000 hommes de l’armée ukrainienne régulière, ainsi qu’une quantité innombrable de chars et d’unités blindées, ont été encerclés dans ce qui a été nommé le chaudron. L’armée de la République populaire de Donetsk, sous le commandement d’Alexander Zakharchenko, a encerclé les envahisseurs et a progressivement resserré le cordon, en tuant ou en capturant les troupes prises dans la poche. Les Forces armées ukrainiennes ont enregistré de nombreuses victimes, entre 3 000 et 3 500, tandis qu’elles abandonnaient derrière elles une grande quantité de matériel militaire offensif.
Selon Zakharchenko, «la quantité d’équipement abandonné par les unités ukrainiennes est indescriptible».
En plus, l’armée états-unienne par procuration a vu nombre de ses troupes d’élite et de ses unités de pointe détruites dans les combats, laissant Kiev incapable de continuer la guerre sans l’aide de ses alliés aux États-Unis ou en Europe. Les conséquences réelles de la défaite ne seront pas connues tant que les troupes en colère, de retour du front, ne se seront pas rassemblées dans les rues de la capitale en exigeant la démission de Porochenko [voir les prémisses, NdT]. Le président ukrainien est responsable du massacre de Debaltsevo. Il était totalement conscient que son armée était encerclée, mais il lui a donné l’ordre de rester dans le but de satisfaire de puissants éléments droitiers dans son gouvernement. Le désastre est encore plus terrible en raison du fait qu’il était totalement évitable et ne répondait à aucun objectif stratégique. L’hybris extrême a souvent des conséquences sur le champ de bataille. C’était le cas à Debaltsevo.
La débâcle assure que les jours du maladroit président sont comptés. Il est à peu près certain qu’il sera soit remplacé soit suspendu dans les semaines à venir. Il a déjà envoyé sa famille en sécurité à l’étranger, et la spéculation va bon train sur le fait que tant Washington que les nationalistes d’extrême-droite qui occupent les Services de sécurité vont insister pour qu’il soit destitué. Cela pave la route pour un second coup d’État en Ukraine en moins d’un an, un sinistre rappel des manques tragiques de la politique états-unienne en Ukraine. Le Vineyard of the Saker l’expliquait récemment dans un billet:
«Regardez comment les escadrons de la mort sont de nouveau en marche, cette fois ils visent Kiev. Treize chefs d’escadrons de la mort (aka « bataillon de volontaires ») ont déclaré qu’ils formaient leur propre commandement militaire sous la direction du célèbre Semen Semenchenko. Officiellement, ils ne sont pas du tout opposés au régime actuel, a dit Semenchenko, mais en réalité leurs membres sont parfaitement au clair sur ce qu’ils veulent faire: organiser un second Maïdan et se débarrasser de Porochenko.
Ce qui rend cette version XXIe siècle des SA si dangereuse pour Porochenko est que lui, contrairement à Hitler, ne dispose pas d’une version XXIe siècle des SS pour les éliminer du jour au lendemain. En fait, selon de nombreux rapports, toute la partie sud de l’Ukraine est maintenant un fief Komoloiski, entièrement sous le contrôle de l’oligarque qui finance ses escadrons de la mort. Ajoutez à cela que la plus grande partie de la Rada (le parlement ukrainien) est composée de chefs de bataillons similaires et autres monstres nazis, et vous comprendrez que Porochenko court un très grand danger…
La triste réalité est qu’il n’y a tout simplement personne en Ukraine qui soit capable de désarmer ces soi-disant bataillons de volontaires. Aujourd’hui, il y a des milliers de cinglés en uniformes nazis en train de rôder avec des fusils et qui peuvent maintenant imposer leur loi de la jungle à tout le monde. Il est évident que le futur du Banderastan sera quelque chose comme un mélange de la Somalie et de Mad Max – un État défaillant, une économie totalement détruite, un ordre social effondré et des bandes de voyous armés qui font la loi.» (The Vineyard of the Saker)
Si Porochenko est voué à être le bouc émissaire dans l’affaire foireuse de Debaltsevo, c’est seulement parce qu’il a suivi le conseil téméraire de ses bailleurs de fonds de Washington. Si, au contraire, il avait écouté ses conseillers militaires, il aurait probablement retiré ses troupes plus tôt et se serait épargné une fin semblable à celle de Kadhafi. Maintenant, ce n’est probablement plus possible.
Le désespoir de Porochenko l’a conduit à faire appel aux alliés occidentaux et aux Nations unies pour le déploiement d’une mission de maintien de la paix en Ukraine. Cette demande est un aveu de défaite et n’a aucune chance d’être mise en œuvre, parce qu’elle viole les termes du récent accord de paix (Minsk 2.0); mais aussi parce que des membres du Conseil de sécurité (la Russie et la Chine) opposeront certainement leur veto à cette idée. A l’évidence, Porochenko, qui est de plus en plus combattu et vilipendé, saisit la moindre petite perche dans l’espoir d’éviter la même fin violente que celle qu’il a infligée à tant de ses compatriotes. Voici un bref résumé des derniers événements par le World Socialist Web Site:
« La débâcle subie par le régime de Kiev met en évidence le caractère totalement irresponsable et franchement stupide de la politique poursuivie par Washington et ses alliés de l’Union européenne en Ukraine…
Les premières tentatives du régime de Kiev et de ses soutiens de la CIA pour soumettre l’Ukraine de l’Est par la terreur militaire pure, en s’appuyant sur des milices fascistes et des unités choisies de l’armée qu’il considérait comme fiables, ont échoué…
Néanmoins, Washington fait pression sur Kiev pour préparer une nouvelle offensive et est en train de discuter de la possibilité de fournir directement des armes contre la Russie à l’armée ukrainienne …
En Ukraine de l’Ouest, la population s’enfuit ou résiste aux projets de décrets visant à fournir davantage de chair à canon pour la guerre en Ukraine de l’Est. En même temps, l’économie de l’Ukraine, coupée de sa principale base industrielle en Ukraine de l’Est et de ses exportations en Russie, est en train de s’effondrer.
«Le pays mène une guerre qu’il ne peut pas se permettre de mener. Il n’y a plus d’économie, a déclaré Gerald Celente, du Trends Journal, à Russia Today. Cette perte de 160 milliards de dollars de commerce avec la Russie a détruit l’économie, alors qu’elle était déjà en grave récession. Elle est passée de très mauvaise à pire dans la dépression.»
(“US-backed Kiev regime faces military debacle in east Ukraine war“, Alex Lantier, World Socialist Web Site)
Washington a largement gagné la guerre de l’information en persuadant le Congrès et le peuple américain que la politique états-unienne en Ukraine était juste, mais au fond, là où ça compte, Washington a rencontré une suite d’échecs catastrophiques. Ce processus persistera sans doute jusqu’à ce que les coûts deviennent trop difficiles à supporter.
MIKE WHITNEY vit dans l’État de Washington. Il a contribué à Hopeless: Barack Obama and the Politics of Illusion (AK Press). Hopeless existe aussi en Kindle edition. Pour lui écrire: fergiewhitney@msn.com.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone