Par Eric Zuesse – Le 16 octobre 2016 – Source Strategic Culture
Wikileaks a récemment publié ce que la presse qualifie de discours secrets rémunérés d’Hillary Clinton aux sociétés, mais c’est une mauvaise interprétation grossière de la fuite de Wikileaks, parce que pas un seul de ses – au moins – quatre-vingt-onze discours secrets payés n’a été publié. Seuls des extraits, de courtes citations ont été rendus publics.
La fuite Wikileaks ne concerne pas du tout ses discours, mais plutôt des courriers électroniques et autres fichiers informatiques de son chef de campagne, John Podesta, quand il a demandé à son personnel d’analyser ses discours et de lui envoyer les brefs passages qui pourraient être utilisés contre la campagne de Hillary s’ils devaient fuiter avant l’élection.
Même Podesta n’avait pas lu les discours, et il n’a pas sélectionné les passages qui ont été signalés. Le dossier complet est un document au format docx de quatre-vingt pages, intitulé «Signalement des Discours HWA [litigieux]», contenant des extraits significatifs qui pourraient causer des problèmes à Hillary, documents que malheureusement Wikileaks n’a pas réussi à convertir au format pdf, universellement disponible, libre de licence, et facile à utiliser – Wikileaks ne semble pas beaucoup se soucier de l’accessibilité des informations qu’il laisse fuiter.
Le personnel de Podesta extrayait seulement les passages non incriminant, qui ne seraient effectivement pas particulièrement inquiétants pour les progressistes, à part indiquer que Hillary s’identifie fièrement comme appartenant à l’élite aisée, et non comme faisant partie de la masse. Quant aux conservateurs, ils ne seraient pas du tout dérangés par son point de vue pro-aristocratie – ils admirent trop l’aristocratie –, seuls les progressistes, y compris les partisans de Sanders, pourraient trouver ces passages inquiétants. Comme je vais l’indiquer à la fin de cet article, ses discours contenaient en fait des passages sérieusement incriminant, mais le personnel de Podesta a oublié d’inclure certains d’entre eux. Peut-être que le personnel de Podesta est si conservateur que c’est la raison pour laquelle il n’a pas signalé les phrases dignes de l’extrême–droite qu’elle a prononcées dans ses discours – les affirmations ouvertement fascistes d’Hillary ne leur paraissent pas du tout controversées.
Tout d’abord, à partir de la fuite Wikileaks, voici quelques-uns des extraits que je trouve être marginalement intéressants – et rien, vraiment, dans la fuite n’était plus que cela :
Hillary Clinton a dit qu'il y avait «un préjugé contre les personnes qui ont mené une vie réussie et / ou compliquée», citant la nécessité de désinvestir ses actifs, ses positions et ses actions.
SECRÉTAIRE CLINTON : Ouais. Eh bien, vous savez ce que Bob Rubin [passé de Goldman Sachs à Citigroup] a dit à ce sujet. Il a dit, vous savez, que quand il est venu à Washington [comme secrétaire au Trésor entre 1995 et 1998], il avait une fortune. Et que quand il a quitté Washington, elle était plus petite.
MR. BLANKFEIN [dirigeant de Goldman Sachs] : Voilà comment vous perdez une petite fortune, si vous allez à Washington.
SECRÉTAIRE CLINTON : Vous allez à Washington. Ok ? Mais, vous savez aussi que le problème avec la situation politique est un réel parti pris contre les personnes qui ont mené une vie réussie et / ou complexe. Vous savez, la cession d’actifs, le décapage de toutes sortes de positions, la vente des actions. Cela devient juste très onéreux et inutile. [Goldman Sachs et les constructeurs Innovateurs Sommet, 29 octobre 2013].
Elle se trouve à la page 55 du fichier Podesta de tous les extraits (sous la forme d’un fichier docx).
Hillary Clinton s’oppose ici à l’exigence, pour les personnes extrêmement riches, de séparer ou d’isoler d’une façon ou d’une autre leur richesse pour qu’elle ne soit pas affectée (augmentée) par des décisions politiques qu’elles pourraient prendre dans leurs rôles de fonctionnaires. Selon cet extrait, elle a donné ce discours du 29 octobre 2013. Elle y laissait entendre que ses auditeurs, s’ils devaient décider de quitter le secteur privé pour le service public, comme elle l’a fait, ne seraient pas obligés de sacrifier quoi que ce soit de leurs revenus privés existants, ni encore moins de ne pas utiliser leur fonction publique pour améliorer leur richesse, et que ce sacrifice personnel devrait plutôt être récompensé d’une manière qui n’est actuellement pas légale.
Elle louait implicitement à la fois elle-même et ses auditeurs, comme étant des personnes particulièrement intéressantes, qui ont donc un droit intrinsèque à utiliser leur richesse privée comme elles le veulent, et ne pas être retenues par des lois anti-corruption «inutiles» qui ne devraient même pas exister pour ces gens formidables, qui ont gagné le droit de vivre des «vies compliquées». Elle parle dans un jargon codé, qu’ils comprennent.
Voici un autre extrait de ce discours, et il est à la page 54 du fichier :
«Beaucoup d’entre vous dans cette salle sont à la fine pointe de la technologie ou des soins de santé ou d’un autre segment de l’économie, donc vous êtes les gens qui regardent à l’horizon. Et en venant dans la vie publique, en apportant ce point de vue ainsi que le succès et l’immunité que le succès vous donne, vous pouvez vraiment aider dans beaucoup de nos situations politiques en ce moment.»
Donc : ces gens riches ne devraient pas être tenus de séparer leurs investissements personnels des décisions qu’ils prendraient s’ils devaient venir occuper une charge publique. Fait-elle ici référence à elle-même ? Mais ils devraient prendre avantage, ou exploiter «l’immunité que le succès [leur] donne» parce que, en quelque sorte, soi-disant, «vous pouvez vraiment aider dans beaucoup de nos situations politiques en ce moment…» Mais est-ce vraiment sensé du point de vue du public ? Ou est-ce peut-être plutôt dangereux pour le public ?
À la page 22 du dossier complet, il y a ceci :
Hillary Clinton vante l'augmentation de la production de gaz et de pétrole aux États-Unis, en disant : «Nous sommes maintenant indépendants en énergie, nous avons espéré cela et travaillé pour cela pendant de nombreuses années.»
Dans ses remarques à Ameriprise, Hillary Clinton a dit : «Et alors que nous parlons, Gazprom tente de prendre en charge d’autres infrastructures d’énergie stratégique en Europe. C’est de la pure politique de puissance. Voilà pourquoi, en tant que secrétaire d’État, à partir de mars 2009, je poussais les Européens à prendre au sérieux la recherche de sources d’énergie de remplacement et d’investir des ressources réelles dans leurs infrastructures afin de ne pas être à la merci de Poutine. […]
Et nous sommes dans une très bonne position pour le faire à cause de l’augmentation de la production de gaz et de pétrole dans notre propre pays, nous avons maintenant atteint l’indépendance énergétique, nous avons espéré cela, et travaillé pour, pendant de nombreuses années. Cela nous donne des outils dont nous ne disposions pas auparavant. Et cela nous donne aussi la possibilité non seulement d’investir ces ressources dans plus de fabrication et d’autres activités qui nous profitent directement ici à la maison, mais aussi pour être un rempart avec nos fournitures contre le genre d’intimidation que nous voyons de la part de la Russie.» [Déclaration de Hillary Clinton à Ameriprise, 26.07.14]
Elle poussait par ailleurs l’Europe à faire tout ce qu’elle peut pour réduire ses achats de pétrole et de gaz en provenance de Russie. À la page 25 :
Hillary Clinton a commencé à inviter l'Europe à être plus indépendante en énergie en poussant pour «un marché plus concurrentiel de l'énergie».
HILLARY CLINTON : [Sur Poutine] Deuxièmement, l’effort visant à porter atteinte au marché du pétrole, du gaz et des matières premières va droit à la source de la richesse de la Russie. Quand j’étais secrétaire d’État, je ne peux pas dire que je voyais cela venir, mais ce que je voyais était qu’en janvier 2006, elle a coupé le gaz vers l’Europe de l’Est. Je pense qu’une douzaine de personnes sont mortes de froid en Pologne. Elle l’a fait à nouveau en 2009, principalement axé sur l’Ukraine. Elle a utilisé son arme énergétique pour intimider l’Europe. Et à partir de 2009, je commençais à avoir des conversations avec les Européens leur demandant de faire plus pour être plus indépendants et faire pression pour un marché plus concurrentiel de l’énergie. J’ai formais quelque chose appelé le Conseil des États-Unis-UE pour l’énergie et j’ai commencé à essayer de regarder ce que nous pourrions faire pour sevrer vraiment les gens des approvisionnements russes. Plus nous pouvons faire cela plus il sera difficile pour Poutine de maintenir son emprise sur le leadership russe, même avec son entourage resserré, sans changer de cap.» [Hillary Clinton Remarques à Marketo, 4 août 2014].
Le principal fournisseur de pétrole et de gaz de l’Europe est la Russie. Les entreprises de fracturation de gaz de schiste aux États-Unis, y compris en particulier les majors, bénéficieraient de voir l’Europe importer plus de pétrole et de gaz d’Amérique et moins de gaz de la Russie. En outre, les entreprises américaines travaillent avec les pays du Golfe, et pourraient construire des pipelines pour le pétrole et le gaz en provenance d’Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats arabes unis et du Koweït, toutes ces familles royales étant également anti-russes, ce qui signifie une aristocratie pro-américaine. Hillary rend limpide à ses soutiens financiers qu’elle est de leur côté, contre la Russie. Elle dépeint «une douzaine de personnes mortes de froid en Pologne», renvoyant effectivement à une situation où la fourniture de gaz par la Russie via l’Ukraine avait été interrompue en raison de l’exigence par l’Ukraine d’un rabais plus grand que ce que la Russie leur accordait déjà, mais ses auditeurs sont anti-russes et elle est complice.
Puis, à la page 38 il y a ceci :
Ce qui bénéficie aux actionnaires des sociétés américaines bénéficie nécessairement aux États-Unis – assumant, en d'autres terme, que les intérêts des propriétaires d'entreprises américaines sont nécessairement identiques aux intérêts de l'Amérique.
HILLARY CLINTON : Je suis allée au Design Center Boeing à Moscou […] J’ai fait valoir que l’avion de Boeing définissait les standards mondiaux. En 2010, le président Obama a fixé un objectif de doubler les exportations américaines en cinq ans, et au Département d’État, j’ai fait des promotions à l’exportation une affaire personnelle. Donc, comme j’ai parcouru le monde au nom de notre pays, j’ai fait tout ce que je pouvais pour les entreprises américaines qui tentent de percer sur de nouveaux marchés et de concurrencer sur un pied d’égalité. Cela m’a conduite dans certains endroits vraiment intéressants, surtout maintenant avec tous les problèmes que nous voyons avec la Russie et le président Poutine. En 2009, lorsque Dmitri Medvedev était en fait le président, je me suis rendue au Design Center Boeing à Moscou, parce que Boeing avait essayé d’obtenir un contrat pour de nouveaux avions en Russie. Et je fis valoir que le jet de Boeing avait établi la norme d’or mondiale. Et après mon départ, notre ambassade a suivi le dossier, et en 2010, les Russes ont accepté d’acheter cinquante B 737 pour près de $4 milliards, ce qui se traduit par des milliers d’emplois américains. [Hillary Clinton Remarques à l’Institut de Scrap Recycling Industries Convention, 4 octobre 2014].
Là, elle était en train d’assimiler les intérêts des grands exportateurs américains – c’est-à-dire les grandes sociétés internationales qui ont leur siège aux États-Unis – aux intérêts de «l’Amérique». «Comme j’ai parcouru le monde au nom de notre pays», elle disait là que «notre pays» était des gens comme eux – les principaux dirigeants et actionnaires de sociétés américaines internationales et leurs lobbyistes. C’est l’Amérique vue de Wall Street. Mais si elle avait vendu à Medvedev des avions construits en Amérique par des travailleurs américains, disons Airbus ou une autre société non-US, est-ce-que Wall Street, et Hillary Clinton, auraient pensé que c’était patriotique, ou «au nom de notre pays» ? De toute évidence, elle assimile les États-Unis aux propriétaires et aux dirigeants des sociétés, et non aux travailleurs ou aux consommateurs. Pas étonnant, donc, que l’ensemble de sa carrière ait été financée par Wall Street – son point de vue est toujours le leur. Concernant son état d’esprit, elle n’a pas à dire que c’est vrai, elle l’affiche. Mais elle parle dans le jargon codé, parce que dire de telles choses dans un langage direct ne sonne pas aussi vertueux, c’est beaucoup moins joli.
À la page 60, elle prétend qu’elle n’avait nullement conscience du coup d’État qui, quelques semaines plus tôt avait renversé le président démocratiquement élu de l’Ukraine, pour lequel 75% des Criméens et 90% des résidents du Donbass avaient voté. Il s’agit du coup d’État de février 2014, que son propre Département d’État – y compris son amie proche Victoria Nuland – avait commencé à préparer à l’intérieur de l’ambassade américaine en Ukraine, au plus tard le 1er mars 2013, c’est à dire un an avant le coup d’État lui-même. Celui-ci a vu le massacre perpétré par des mercenaires américains, embauchés par le parti raciste Secteur droit, contre des Criméens qui avaient manifesté pacifiquement contre le renversement du régime. Clinton feignait l’ignorance totale de tout cela, et a au contraire prétendu que c’était Poutine – pas elle ni Obama – qui a imité Hitler en envahissant un pays indépendant, dans ce cas, l’Ukraine, au moyen de ce coup d’État sanglant à Kiev :
Hillary Clinton a dit hier que les justifications par Poutine et d'autres Russes qu'ils ont dû protéger la Crimée, rappelaient l'Allemagne dans les années 1930.
HILLARY CLINTON : Ce que j’ai dit hier, c’est que les revendications par le président Poutine et d’autres Russes qu’ils devaient aller en Crimée, et peut-être plus loin dans l’Est de l’Ukraine parce qu’ils devaient protéger les minorités russes, rappellent des justifications qui ont été faites dans les années 1930, lorsque l’Allemagne nazie ne cessait de parler de la façon dont elle devait protéger les minorités allemandes en Pologne, en Tchécoslovaquie et ailleurs dans toute l’Europe. Je veux juste que tout le monde ait une petite perspective historique. Je ne fais pas une comparaison, certes, mais je recommande que nous, peut-être, pouvons apprendre de cette tactique qui a été utilisée avant. [03052014 HWA Remarques à UCLA.DOC, p. 19].
Enfin, et pas du tout inclus dans la fuite de Wikileaks, il y avait un journaliste qui, à la différence du personnel de la campagne Clinton, a pu obtenir – et trouver – l’accès à des propos scandaleusement fascistes, non pas seulement une chose, mais deux choses que le journaliste lui a effectivement entendu dire, et en prendre acte à ce moment-là, après avoir réussi à se faufiler dans cette réunion où Hillary tenait ce discours particulier. Cela a eu lieu lors de la convention Biotechnology Industry Organization à San Diego, le 25 juin 2014, un discours à $225 000 qu’elle donnait aux lobbyistes des entreprises d’OGM, un discours qui a fini par être extrait en seulement deux brèves inoffensives dans la fuite de Wikileaks. Mais en fait – basé sur ce que le journaliste d’un journal local a entendu et transcrit – le discours contenait bien pire que ce qui a été décelé, et rapporté à Podesta, par les chercheurs de son équipe. Comme je l’ai écrit en résumant la question, dans mon article sur ce discours, paru deux ans après, le 26 juin 2016 :
En d’autres termes : en tant que présidente, elle aurait pour objectif de faire voter une loi visant à fournir des subventions des contribuables américains à Monsanto et à d’autres entreprises de biotechnologie, pour aider leurs relations publiques et les organisations de lobbying afin d’éliminer ce qu’elle dit être «un grand écart entre les faits et les perceptions» concernant les semences génétiquement modifiées et d’autres OGM. Elle ignore les éléments de preuve qui ont commencé à être publiés dans des revues scientifiques en 2012, montrant que Monsanto et d’autres firmes d’OGM publient sélectivement des études qui prétendent que leurs produits sont sûrs, tout en bloquant sélectivement la publication d’études – sur la base d’une meilleure méthodologie – prouvant leur dangerosité. Elle veut que les contribuables américains paient pour aider les entreprises d’OGM dans leur propagande, qui est basée sur leurs propres études imparfaites, financées par l’industrie des OGM, et qui ignorent les études qu’ils refusent de voir publiées. Elle souhaite que les consommateurs américains aident à financer leur propre empoisonnement par des sociétés menteuses, qui en ratissent les profits.
L’article original du 25 juin 2014 sur le discours, écrit par le journaliste Ken Pierre dans le Times de San Diego, a été convenablement intitulé Hillary Clinton soutient les Biotechers, prônant les OGM avec l’aide fédérale. Il est clair qu’elle pense vraiment que les Américains devraient subventionner l’industrie des aliments OGM, et pas lui résister, que les Américains devraient même subventionner la propagande de ces sociétés afin d’accroître les ventes aux consommateurs.
Le plus gros donateur d’Hillary pour 2016 est Paloma Partners, cabinet conseil à Wall Street. Auparavant, ses principaux contributeurs étaient pratiquement tous de Wall Street. Elle a tout le soutien de la droite et de toutes les personnes d’extrême-droite, quel que soit leur parti politique. Elle attend que le public américain la suive. Les sondages suggèrent qu’ils vont probablement le faire.
Eric Zuesse
Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone