Par Andrew Korybko – Le 5 octobre 2018 – Source orientalreview.org
Presque deux tiers des électeurs macédoniens ont boycotté le faux référendum visant à renommer le nom de leur pays et à faciliter l’entrée du pays dans l’OTAN ; l’empressement du bloc à vouloir les rallier met au jour ses techniques anti-démocratiques et de guerre hybride.
L’adhésion à l’OTAN, dans le passé, était motivée par une peur commune – et exploitée – de la soi-disant « menace soviétique/communiste », qui avait rendue assez « naturelle » la décision des pays qui avaient concrétisé cette adhésion pendant les années de la guerre froide. On sait combien les USA les avaient poussé à le faire loin des projecteurs, et on sait également comment leur adhésion avait été exploitée à des fins clandestines, comme pour ancrer les réseaux Gladio dans leurs corps sociaux. La dissolution de l’Union soviétique en 1991 avait mis fin à la raison même de l’existence de l’OTAN, mais l’organisation a survécu et s’est même progressivement réinventée au cours des presque trois décennies qui se sont écoulées depuis.
Au moment présent, l’OTAN continue de fonctionner comme une alliance anti-russe, faisant suite aux provocations lancées par l’Ouest dans le cadre de la nouvelle guerre froide, mais elle a également pris des fonctions « anti-terroristes » en devenant de facto un centre de recrutement pour mercenaires soutenus par l’Amérique. Des petits États européens, qui auraient eu sans l’OTAN bien peu d’intérêt dans les champs de bataille tel que l’Afghanistan, ont contribué en soldats de manière non négligeable au vu de leur taille dans ce conflit et dans d’autres, au plus grand bénéfice des intérêts américains, et on leur explique qu’ils sont parties prenantes dans ces intérêts.
La période transitoire entre l’ancienne et la nouvelle guerre froide, des années 1990 jusqu’au début des années 2010, fut marquée par une rapide expansion de l’OTAN vers l’est, droit vers les frontières russes, ce pendant que le bloc transformait son image en « rite de passage obligé » pour les anciens pays communistes du pacte de Varsovie, désormais candidats à l’adhésion à l’Union Européenne. Cela ne fut jamais plus qu’une excuse pour préparer le terrain géopolitique à une nouvelle guerre froide, préparée à l’avance, au cours de laquelle les USA disposeraient donc d’une opérabilité traversant l’Europe centrale et l’Europe de l’est, jusqu’aux frontières russes.
Le plus gros de l’Europe se retrouvant sous contrôle militaire américain au travers de l’OTAN, les gens commencent à se demander pourquoi cette organisation tient tant à intégrer la petite république enclavée de Macédoine – dont la puissance militaire est insignifiante en rapport – au point qu’une bonne dizaine de responsables politiques et militaires de haut niveau ont fait le déplacement dans ce pays pour y promouvoir le référendum du « changement de nom », qui faciliterait son adhésion à l’OTAN. Et il y a des raisons un peu plus importantes que simplement la tendance de tout organisme à vouloir s’agrandir, communément admise.
Nombre de commentateurs se plaisent à remarquer que l’adhésion de la Macédoine à l’OTAN compléterait l’encerclement militaire de la Serbie, modestement non alignée, mais il s’agit d’une remarque à côté de la plaque : le partenaire principal de la Russie dans les Balkans est déjà quasiment encerclé par l’OTAN, et ajouter la Macédoine à cet encerclement ne va pas venir changer la donne pour la Serbie. La vraie raison en est que c’est un besoin pour l’OTAN de réaliser régulièrement des expériences d’ingérence dans les sociétés, et les pays candidats à l’adhésion constituent le meilleur terrain pour ce faire. La gestion de la perception, la guerre de l’information, et d’autres formes de guerre hybride gagnent en importance pour le bloc, au point de devenir aussi critiques que les jeux de guerre conventionnelle.
Chaque fois que l’OTAN accuse la Russie de mener des opérations sous ces mêmes termes, ce sont ses propres activités qu’elle projette sur la Russie, parce qu’elle essaye de convaincre sa rivale par tous les moyens de mener les opérations qu’elle mène elle-même, et ce point devient même de plus en plus courant à l’âge de l’information que nous traversons, de par l’existence des médias sociaux et alternatifs. Il y a une autre différence entre les décennies passées et le temps présent, et cette différence réside en ce que la Macédoine représente un cas très particulier : elle doit changer de nom – et donc, d’identité profonde – comme prérequis à son adhésion, en raison des réticences de longue date de la Grèce, si bien qu’ici il ne suffisait pas de verser des pots de vins ou d’intimider le parlement, comme cela s’est vu dans d’autres cas.
Il fallait qu’un référendum soit tenu pour changer le nom constitutionnel du pays, il fallait donc qu’au moins les apparats de la démocratie soient présentés. Les résultats du référendum n’en seront jamais respectés, mais au contraire ont été manipulés par l’OTAN comme « preuve » de la volonté du pays de changer de nom, alors même que le taux de participation au scrutin n’atteignait pas le seuil légal, écrit dans la constitution du pays, pour être reconnu comme valide [L’article 73 de la constitution macédonienne prévoit que le scrutin ne sera reconnu que si le quorum de participation de 50 % des inscrits est franchi. Le quorum de participation observé lors du scrutin a été de 36.91%, NdT]. Les manipulateurs de la perception de l’OTAN, dans leur hâte de s’adjoindre un nouveau terrain de jeu pour manipuler la société et pratiquer la guerre hybride, ont sous-estimé l’évidence du caractère de leurs actes.
L’OTAN a involontairement suscité l’attention du public sur son expansion anti-démocratique, réalisée entre les deux guerres froides, en se comportant de manière aussi arrogante, après l’échec du référendum en Macédoine. En pratique, à part pour envoyer un message quant à sa propre « pertinence » à la Russie, à la Serbie, et même à ses propres membres, n’a aucune raison d’admettre la Macédoine, mais faire rallier un nouveau membre constitue un bon exercice de guerre hybride pour l’entraînement des soldats de l’information de l’OTAN. Cela pourrait également déboucher sur le recrutement de quelques mercenaires de plus pour contribuer aux guerres américaines à l’étranger. Dans tous les cas, ce qu’on en retiendra principalement est la maladresse de l’OTAN dans ses ingérences en Macédoine, ce qui a révélé à la lumière ses méthodes de guerre hybride et anti-démocratiques.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone