Par M.K. Bhadrakumar – Le 6 novembre 2023 – Source Indian Punchline
L’annonce, tard dans la nuit de dimanche à lundi, par le Commandement central américain [CENTCOM] basé à Doha, de l’arrivée d’un sous-marin nucléaire américain de classe Ohio dans sa « zone de responsabilité » présage d’une escalade significative de la situation autour du conflit israélo-palestinien.
Il est très rare que l’utilisation de ces sous-marins soit rendue publique. Le CENTCOM n’a fourni aucun détail supplémentaire, mais il a publié une image montrant apparemment un sous-marin de classe Ohio dans le canal de Suez, en Égypte. Il est intéressant de noter que le CENTCOM a également partagé séparément une image d’un bombardier B-1 à capacité nucléaire opérant au Moyen-Orient.
Pris ensemble, ces déploiements américains, qui s’ajoutent à la formidable présence de deux porte-avions et de navires de guerre dotés de centaines de chasseurs à réaction avancés en Méditerranée orientale et en mer Rouge respectivement, visent « l’autre côté de l’équation« , comme le secrétaire d’État Antony Blinken a pittoresquement décrit le Hamas, le Hezbollah et l’Iran lors de sa dernière visite à Tel-Aviv, vendredi dernier.
Dans le même ordre d’idées, le directeur de la CIA, William Burns, est arrivé en Israël dimanche pour des consultations urgentes. Le New York Times a rapporté que les États-Unis « cherchent à étendre leurs échanges de renseignements avec Israël« .
L’explication la plus charitable du déploiement d’un sous-marin nucléaire américain, qui fait partie de la « triade nucléaire » du Pentagone – les navires de classe Ohio sont les plus grands sous-marins jamais construits pour la marine américaine – près de la zone de guerre est sans doute que l’administration Biden se prépare à une escalade de la guerre au Liban afin d’attirer le Hezbollah, ce qui pourrait à son tour déclencher une réaction iranienne.
Dans son discours de vendredi, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a semblé anticiper précisément une telle tournure des événements lorsqu’il a explicitement mis en garde les États-Unis contre des conséquences qui pourraient être similaires à l’implication catastrophique des États-Unis dans la guerre civile au Liban au début des années 1980. Ironiquement, c’est aussi l’année du 40e anniversaire de l’attentat suicide contre la caserne abritant les forces américaines à l’aéroport international de Beyrouth en octobre 1983, au cours duquel 220 Marines, 18 marins et trois soldats ont été tués, obligeant les États-Unis à se retirer du Liban.
Il est clair que le centre de la stratégie américaine dans la situation actuelle au Moyen-Orient pourrait s’éloigner de la diplomatie, qui a de toute façon perdu de sa force. Les tentatives désespérées de Blinken pour répondre aux critiques internationales croissantes sur les horribles crimes de guerre d’Israël en détournant l’attention vers une « pause humanitaire » dans les combats, et ainsi de suite, ont été rejetées sans ménagement par Netanyahu.
Le fait est qu’après avoir pilonné Gaza et sa population avec de l’artillerie et des bombes, l’armée israélienne est entrée dans la ville vendredi. Jusqu’à présent, elle aurait progressé jusqu’à la périphérie de la ville de Gaza, mais n’est pas entrée dans le bastion du Hamas. De violents combats urbains sont à prévoir lorsqu’elle y entrera.
De même, la tentative précipitée de l’administration Biden de promouvoir les grandes lignes d’un Gaza d’après-guerre qui pourrait inclure la combinaison d’une Autorité palestinienne revitalisée, d’une force de maintien de la paix, etc. a été accueillie avec un manque évident d’enthousiasme lors de la réunion de Blinken ce week-end à Amman avec les ministres arabes des affaires étrangères – de Jordanie, d’Égypte, d’Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis – qui ont plutôt exigé un cessez-le-feu immédiat, tandis que Blinken a déclaré que Washington n’insisterait pas pour qu’il en soit ainsi.
Blinken s’est rendu à Ramallah depuis Amman, où le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, l’a également éconduit en déclarant que l’Autorité palestinienne ne serait prête à assumer l’entière responsabilité de la bande de Gaza que dans le cadre d’une « solution politique globale » qui inclurait la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza, et que la sécurité et la paix ne pourraient être obtenues qu’en mettant fin à l’occupation des territoires de l' »État de Palestine » et en reconnaissant Jérusalem-Est comme sa capitale. La réunion a duré moins d’une heure et s’est achevée sans déclaration publique.
Entre-temps, la Chine et les Émirats arabes unis ont demandé une réunion à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU pour tenter d’obtenir un cessez-le-feu immédiat, ce à quoi l’administration Biden s’opposera certainement. Il est évident que l’administration Biden se sent coincée et que la seule façon de s’en sortir est de céder par l’exercice de moyens coercitifs.
Les États-Unis observent avec frustration l’apparition de nouvelles équations régionales entre les nations musulmanes. Les ministres des affaires étrangères de l’Iran et de l’Arabie saoudite ont eu une nouvelle conversation téléphonique aujourd’hui. L’OCI a ensuite annoncé qu’un sommet extraordinaire se tiendrait à Riyad le 12 novembre à la demande du président en exercice, l’Arabie saoudite, pour discuter des attaques d’Israël contre le peuple palestinien.
Il est certain que le rapprochement irano-saoudien, médiatisé par Pékin, a profondément transformé l’environnement sécuritaire régional, les États de la région préférant nettement trouver des solutions à leurs problèmes sans ingérence extérieure, les vieux schismes et la xénophobie promus par les États-Unis pour perpétuer leur domination n’ayant plus de preneurs.
Alors que le nombre de morts à Gaza dépasse les 10 000, le monde musulman est en proie à de vives émotions. Le guide suprême iranien Ali Khamenei a déclaré aujourd’hui que « toutes les preuves et indications montrent l’implication directe des Américains dans la conduite de la guerre » à Gaza. Khamenei a ajouté qu’au fur et à mesure que la guerre se poursuivrait, les raisons du rôle direct des États-Unis deviendraient plus explicites.
L’agence de presse Fars, proche du Corps des gardiens de la révolution islamique, a également révélé que Khamenei avait tenu une « récente réunion à Téhéran » avec le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, au cours de laquelle il a déclaré à ce dernier que le soutien de Téhéran aux groupes de résistance constituait sa « politique permanente« .
Manifestement, Téhéran ne voit plus de problème à reconnaître ses liens fraternels avec les groupes de résistance. Il s’agit d’un changement de paradigme révélateur de l’évolution de la dynamique du pouvoir, que les États-Unis et Israël sont contraints de contrer par la force, la diplomatie de Washington n’ayant pas réussi à isoler l’Iran.
Le chef de l’état-major israélien, Herzi Halevi, a déclaré dimanche lors d’une réunion du commandement du Nord : « Nous sommes prêts à frapper dans le Nord à tout moment. Nous comprenons que cela peut arriver… Notre objectif est clairement de rétablir une situation sécuritaire nettement meilleure aux frontières, et pas seulement dans la bande de Gaza. »
Aucune puissance au monde ne peut arrêter Israël sur sa lancée. Sa stabilité et sa défense sont inextricablement liées à cette guerre, qui garantira également l’engagement permanent des États-Unis à l’égard de sa sécurité en tant que modèle clé des stratégies mondiales américaines dans un avenir prévisible. Par conséquent, la meilleure chance de survie d’Israël réside dans l’extension de la guerre de Gaza au Liban – et peut-être même à la Syrie – aux côtés des Américains.
Il ne fait aucun doute que l’emplacement du sous-marin nucléaire américain à l’est de Suez est une tentative d’intimider l’Iran pour qu’il n’intervienne pas, tandis qu’Israël, avec le soutien des États-Unis, ouvre un deuxième front au Liban. Les autorités israéliennes ont annoncé l’évacuation des habitants des colonies situées dans une zone allant jusqu’à cinq kilomètres de la frontière avec le Liban.
Une guerre d’une durée indéterminée est sur le point de commencer au Moyen-Orient. Alors que l’appel du djihad commence, inévitablement, on ne sait pas comment le président américain, âgé de 80 ans, va réagir.
Non, il ne s’agira pas d’une guerre mondiale. Elle se déroulera uniquement au Moyen-Orient, mais son issue aura un impact significatif sur la mise en place d’un nouvel ordre mondial multipolaire. Le mois dernier a montré le déclin précipité de l’influence des États-Unis et l’environnement mondial hautement volatile depuis le début de la guerre en Ukraine, en février dernier.
M.K. Bhadrakumar
Note du Saker Francophone
Un autre indice de l’ouverture de ce nouveau front est que dès le lendemain du discours de Nasrallah, avertissant qu’une extension de la guerre dépendrait de l’attitude d’Israël, ce dernier a tiré un missile sur la voiture d’un journaliste libanais, roulant sur le sol libanais, tuant sa sœur et ses enfants. Ce qui est bien sur être considéré par le Hezbollah comme une forte provocation et l’a forcé à lancer une riposte de même niveau.
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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