Par Gilbert Doctorow – Le 9 novembre 2023
Le forain américain du XIXe siècle P.T. Barnum est surtout connu pour son aphorisme “Il y a un pigeon qui naît à chaque minute“. C’est précisément le type de tricheur cynique qui symbolise aujourd’hui l’establishment politique américain, selon l’avis d’experts et de législateurs russes participant à l’émission télévisée Evening with Vladimir Solovyov, très regardée. Ils ont dans leur ligne de mire ce qu’ils appellent “le Biden collectif“, c’est-à-dire le fou sénile et désorienté qui a le doigt sur le bouton rouge et l’État profond qui écrit ses discours et oriente ses décisions. Cela englobe également les crapules du Sénat américain comme Chuck Schumer, mon camarade de classe (Harvard 67) Mike Blumenthal et le célèbre Lindsey Graham. Des extraits de leurs déclarations sont très souvent affichés à l’écran pour permettre au public russe de mieux comprendre ce que disent les anciens “partenaires” de la Russie à l’étranger.
Ceux d’entre vous qui suivent RT (Russia Today) n’ont jamais été exposés à ce genre d’analyse tranchée et de mépris total pour les classes politiques américaines. Cela va bien plus loin que ce que l’on pourrait imaginer lorsque les grands médias occidentaux concèdent qu'”il y a peu de confiance entre les deux parties“.
Si l’on creuse un peu, le mépris des commentateurs politiques russes, dont beaucoup sont titulaires de diplômes universitaires de haut niveau, repose sur leur conviction que les hommes politiques américains, comme leurs homologues de l’Union européenne aujourd’hui, sont peu éduqués, voire tout simplement des ignorants. Par une curieuse ironie du sort, les Américains apparaissent aux yeux des élites russes comme les péquenauds que les Américains voyaient autrefois dans les dirigeants soviétiques de l’époque de Khrouchtchev.
Nous avons tous pu rire aux dépens de la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a déclaré il y a quelques mois que “Vladimir Poutine doit changer de cap à 360 degrés“. Mais à Moscou, on a surtout ri aux dépens de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président, apparemment bien formé et diplômé de Yale, et de sa citation, jamais démentie, datant de quelques semaines avant l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre, selon laquelle “le Moyen-Orient est plus calme aujourd’hui qu’il ne l’a été depuis deux décennies“.
Ces panélistes russes rient aux larmes. La valeur d’une éducation de l’Ivy League, autrefois considérée comme le nec plus ultra par les parents oligarques ambitieux de Moscou, se révèle comme étant nulle. Plus important encore, ils ne voient aucune alternative à la préparation aux pires atrocités qui pourraient être déclenchées par les États-Unis contre les alliés de la Russie, comme l’Iran, à tout moment. C’est l’allusion subtile qu’ils associent au stationnement actuel d’un sous-marin américain à armement nucléaire en mer Rouge. Ils prévoient le déclenchement d’une guerre directe avec Washington à tout moment. C’est pourquoi les Russes sont déterminés à augmenter encore les dépenses militaires et à multiplier leur complexe militaro-industriel dans l’avenir immédiat. Pour reprendre la perspective de Lev Tolstoï dans l’épilogue de Guerre et Paix, Vladimir Poutine est l’instrument des élites russes autant, sinon plus, qu’il n’en est l’éclaireur.
Je mentionne tout ce qui précède pour aider les lecteurs à comprendre comment les élites politiques russes et le Kremlin considèrent les suggestions qui font actuellement surface dans les médias américains et occidentaux, à savoir que la guerre entre la Russie et l’Ukraine est dans une impasse et qu’il est temps pour les parties de négocier une paix.
Pour les Russes, cela signifie que les États-Unis ont déplacé leurs priorités vers le conflit au Moyen-Orient et vers la préparation de la confrontation armée à venir avec la Chine. Kiev peut maintenant être lâché sans attirer indûment l’attention sur le manque de fiabilité de l’Amérique en tant que garante de la défense, car les médias mondiaux se concentrent sur la lutte entre le Hamas et Israël.
Cependant, du point de vue des élites russes, la guerre en Ukraine a basculé de manière décisive en faveur de Moscou, maintenant que Kiev a largement épuisé ses réserves humaines et matérielles pour faire la guerre. Ces élites ne sont absolument pas intéressées par une solution semblable à celle de la Corée, par un “conflit gelé” qui pourrait être réchauffé à tout moment dans l’avenir, lorsque Washington le décidera. Non, elles ne s’assiéront pas à la table des négociations tant que Kiev ne capitulera pas et n’acceptera pas ce qui équivaut à la neutralité et au retrait du régime néo-nazi de Zelensky. Moscou est prête à se battre “aussi longtemps qu’il le faudra” pour atteindre ses objectifs.
Gilbert Doctorow
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.