Par Ron Unz − Le 13 novembre 2023 − Source Unz Review
Depuis presque 3 semaines, je suggère l’idée avec de plus en plus de force que le nombre officiel de 1400 morts israéliens suite aux attaques du Hamas [du 7 octobre 2023, NdT] a peut-être été considérablement exagéré. Voici ce que j’ai affirmé lundi dernier :
Le nombre total de décès israéliens reste incertain. Le gouvernement a proclamé le nombre de 1400 morts, un nombre universellement repris dans les médias de toute la planète, mais presque un mois après la fin de ces combats, moins de 1100 noms ont été publié, ce qui soulève de sérieux doutes vis-à-vis de la réalité du nombre total. De fait, Blumenthal a indiqué que lorsque l’ambassadeur d’Israël à l’ONU a distribué les terribles images de corps de civils israéliens tués par le Hamas, nombre d’entre eux se sont avérés être des corps de combattants du Hamas tués par les Israéliens. Il semble donc tout à fait possible que plusieurs centaines de militants du Hamas morts aient été intégrés au départ dans le total de 1400, et que le gouvernement israélien se soit par la suite senti trop embarrassé pour reconnaître son erreur première.
Pour autant que je puisse en juger, j’ai été quasiment le seul sur Internet à émettre ces suppositions téméraires, et j’ai bien évidemment été l’objet de vives critiques pour mon mode de pensée « conspirationniste ». Mais samedi matin, le New York Times a fait paraître cette brève :
Guerre entre Israël et le Hamas : Israël abaisse le bilan estimé du 7 octobre à 1200 morts.
Israël a peiné pour distinguer les restes des victimes du 7 octobre de ceux des attaquants
Aaron Boxerman • The New York Times • 11 novembre 2023 • 600 Mots
Certains observateurs ont affirmé que même ce nouveau total de 1200 semble intégrer de nombreux soldats israéliens qui ont été tués à Gaza dans les semaines suivant l’attaque initiale, si bien que ce nombre pourrait être considérablement exagéré.
Note du Saker francophone
La rédaction ne se prononce ni ne prend parti pour aucune des parties au conflit en cours dans la bande de Gaza. Notre meilleur constat est que les principales victimes sont des civils innocents, de part et d’autre ; et que l’agitation politique et l’extrême polarisation du débat n’est que de nature à attiser les haines et à amplifier les pertes. Nous apportons ici un éclairage très différent du commentaire ambiant et autorisé. Que chacun se fasse son opinion ; c’est l’histoire qui jugera. Nous appelons chacun à la retenue et au respect de toute personne et des opinions d’autrui.
Comme je l’avais soutenu, la raison apparente de l’erreur de décompte israélienne a été qu’une vaste partie des corps récupérés avaient été tellement carbonisés qu’il était impossible de les identifier, ce qui a rendu très difficile la tâche de faire la différence entre Israéliens et attaquants du Hamas. Mais comme les combattants du Hamas n’étaient armés que de fusils et autres armes légères, toutes ces victimes ont dû être tuées par des obus explosifs tirés par des chars ou par des missiles Hellfire. De fait, des vidéos récemment publiées révèlent que des centaines de véhicules israéliens avaient été incinérés par des munitions de ce type, ce qui suggère que nombre des Israéliens qui ont été tués alors qu’ils essayaient de s’enfuir du festival de danse sont probablement morts de munitions lancées par des pilotes d’Apache à la gâchette facile, qui ont indiqué avoir ouvert le feu sur tout ce qui bougeait.
Des hélicoptères Apache israéliens ont tué leurs propres soldats et des civils le 7 octobre : rapport.
De nouveaux enregistrements vidéos confirment les rapports précédents qui affirmaient que l’armée israélienne est responsable d’un grand nombre de pertes israéliennes durant le premier jour de l’attaque du Hamas (« Opération déluge d’Al-Aqsa »)
The Cradle • 9 novembre 2023 • 1,000 Mots
BREAKING🚨: Israel admits apache helicopters fired on their own civilians running from the Supernova music festival.
“The pilots realised that there was tremendous difficulty in distinguishing within the occupied outposts and settlements who was a terrorist and who was a… pic.twitter.com/wv6wR710qO
— Syrian Girl 🇸🇾 (@Partisangirl) November 9, 2023
En combinant ces faits avec les interviews d’anciens otages israéliens qui décrivent le traitement très décent dont ils ont fait l’objet par leurs ravisseurs du Hamas, il apparaît comme probable qu’une majorité, voire une forte majorité de l’ensemble des civils israéliens décédés aient été tués par l’armée de leur propre pays. De fait, sur la base de ces éléments, Scott Ritter, ancien inspecteur en chef des armements pour l’ONU, annonce le nombre de 80%.
Au vu du bilan abaissé et des indications selon lesquelles plus de la moitié des pertes israéliennes ont apparemment été des militaires ou des membres du personnel de sécurité, il est tout à fait possible que le nombre de civils israéliens désarmés tués par des militants du Hamas ait été d’à peine plus de cent. Ce nombre apparaît comme minuscule en comparaison des milliers de civils palestiniens tués par les Israéliens au cours des dernières années.
Dans le même temps, les bombardements incessants pratiqués par Israël contre la bande de Gaza qui reste sans défense et densément peuplée se sont poursuivis ; le nombre officiel de morts rapporté par le ministère de la santé de Gaza dépasse désormais les 10 000. Qui plus est, comme les observateurs l’ont noté, ces nombres sont limités aux corps qui ont pu être récupérés et identifiés ; étant donné l’ampleur des destructions, des milliers d’autres victimes sont peut-être restées ensevelies sous les décombres, et rapportées comme « disparues ». Après à peine un mois, il serait donc possible que le bilan des pertes civiles côté palestinien approche rapidement les 20 000, plus du double des deux camps combinés en vingt mois de guerre en Ukraine. Et la proportion d’enfants tués est également d’un ordre de grandeur nettement plus élevé. Par conséquent, depuis le matin du 7 octobre, c’est peut-être 100 civils palestiniens qui sont morts pour chaque Israélien tué, un ratio que nos médias dominants n’évoquent guère.
Mais que le bilan exact de ces morts soit plus proche de 10 000 ou de 20 000, le désastre qui est en train de se dérouler constitue sans aucun doute le massacre télévisé de civils le plus important de toute l’histoire du monde, et un crime de guerre patent, dont le gouvernement étasunien s’est montré pleinement complice, ce qui pourrait avoir des conséquences géopolitiques très graves.
Malgré cette situation sinistre, la société israélienne semble s’être totalement ralliée aux actions de son gouvernement, jadis impopulaire. Comme l’indique Alastair Crooke, l’ancien diplomate britannique, les sondages montrent qu’environ 80% des Israéliens soutiennent actuellement leur attaque militaire très dure contre Gaza. De fait, une centaine de médecins israéliens ont récemment signé une déclaration de soutien au bombardement d’hôpitaux palestiniens.
Si bombarder des civils sans défense depuis les airs au moyen de munitions avancées livrées par les États-Unis est chose relativement facile, déterrer les combattants du Hamas cachés sous terre s’avère chose bien plus difficile et bien plus dangereuse, et on ne connait pas très bien à ce stade les résultats produits par l’offensive terrestre israélienne, ni le profil des pertes subies par l’armée israélienne ; les Israéliens d’une part et le Hamas d’autre part revendiquent des bilans propagandesques et divergents.
Au vu des difficultés pratiques que pose le combat rapproché, certaines personnalités politiques israéliennes ont affirmé que des moyens plus musclés devaient être employés. La semaine dernière, Amichay Elihayu, membre du cabinet ministériel, a suggéré durant une interview que des armes nucléaires israéliennes soient employées pour annihiler Gaza et ses deux millions d’habitants. Bien qu’il ait rapidement été suspendu pour s’être exprimé aussi librement, une grande partie des critiques formulées à son encontre semblent avoir porté sur le fait qu’il ait reconnu publiquement l’existence de l’arsenal nucléaire illégal détenu par Israël plutôt que sur le fait qu’il ait proposé de l’utiliser pour éradiquer les Palestiniens.
Et de fait, quelques jours plus tôt, le premier ministre Benjamin Netanyahu avait bel et bien exprimé des sentiments parallèles. S’adressant à sa base politique ardemment religieuse, Netanyahu a identifié les Palestiniens à la tribu biblique des Amalek, qui, selon les ordres divins, doivent être exterminés jusqu’au dernier nouveau-né, et des armes nucléaires pourraient supposément constituer un moyen acceptable de mettre en œuvre ce type de génocide.
Il y a trois ans, les États-Unis et leurs campus universitaires avaient connu une énorme éruption, au travers d’une vague colossale de manifestations et protestations après le destin malheureux connu par George Floyd, un homme qui avait vécu une vie de crimes et qui était mort d’une overdose durant sa garde à vue. Il n’est donc guère surprenant que certains Étasuniens se sentent quelque peu déconcertés par le massacre télévisé à l’échelle mondiale de 10 000 à 20 000 civils gazaouis sans défense, et se mettent à exprimer une certaine hostilité envers ceux qui soutiennent fièrement ces actions menées par Israël, cependant que ces derniers exigeaient que ce type de critique soit fermement muselé.
Dans la plupart des pays européens, la liberté d’expression a depuis longtemps été sévèrement restreinte, si bien que l’Allemagne a rapidement interdit toute manifestation favorable à la Palestine, et que la France est en train d’envisager d’infliger de longues peines de prisons à quiconque se verrait reconnu coupable d’inciter à l’hostilité envers Israël.
Note du Saker Francophone
En France, la teneur du débat est assez éloignée de l’idée de manifester un soutien au camp palestinien : le débat a plutôt porté sur le droit de tel ou tel parti politique à prendre part à la manifestation du dimanche 12 novembre contre l’antisémitisme. Cela constitue peut-être en effet un indicateur de l’état d’esprit général et de ce qui est considéré comme acceptable ou non par la doxa.
Mais aux États-Unis, au vu des protections assurées par le premier amendement, la situation est assez différente, et ces limitations idéologiques ne peuvent être mises en œuvre que de manière désordonnée. Le New York Times a publié deux articles majeurs à la suite, le premier en première page, au sujet des tentatives menées par nos campus d’élite pour lutter contre ce que les étudiants pro-Israël appellent des sentiments antisémites, certaines universités allant jusqu’à interdire les groupes étudiants soutenant les Palestiniens.
Après des attaques antisémites, les Universités débattent de la nature des débats qui dépassent les bornes
Des étudiants pro-palestiniens affirment parler au nom d’un peuple opprimé, mais les critiques affirment que leur rhétorique est profondément offensante.
Anemona Hartocollis et Stephanie Saul • The New York Times • 11 novembre 2023 • 2,400 Mots
Harvard, Columbia et Penn promettent de lutter contre l’antisémitisme sur les campus
Les Universités essayent de répondre à la critique en interdisant les groupes étudiants pro-palestiniens, en condamnant les slogans et en lançant des groupes de travail pour répondre à l’antisémitisme.
Anemona Hartocollis et al • The New York Times • 12 novembre 2023 • 1,100 Mots
Les administrations de nos universités de pointe sont notoirement libérales, mais des dénonciations très similaires de tout sentiment opposé à Israël ont été uniformes parmi les participants conservateurs du récent débat présidentiel Républicain.
🇺🇸🇮🇱 The United States of Israel. pic.twitter.com/U6k1jSSKFk
— Censored Men (@CensoredMen) November 10, 2023
Pourtant, malgré ces tentatives menées par les élites, la résistance populaire est considérable. Au cours du week-end, la ville de New York, qui héberge une très importante communauté juive, a vu de grandes manifestations dénonçant Israël et ceux qui sont perçus comme des soutiens aux politiques israéliennes, dont notablement le New York Times.
Vidéo non disponible
Dans une certaine mesure, la situation rappelle les événements qui se sont produits il y a un demi-siècle, lorsque les gouvernements du Tiers Monde et pro-soviétiques avaient constitué une majorité à l’Assemblée Générale de l’ONU et adopté une résolution qualifiant le sionisme de racisme, une perspective qui a été ressuscitée par des groupes de gauche et communistes, qui intègrent désormais des dénonciations de ce type dans leurs déclarations publiques et sur les pancartes brandies en manifestation.
Au vu de ces affirmations controversées, je pense qu’il est utile d’enquêter sur les origines et sur l’histoire du Sionisme, le mouvement idéologique fondé à la fin du XIXème siècle, et qui a fini par déboucher sur la création de l’État d’Israël. Après tout, on trouve parmi ceux qui se montrent parfois très critiques de telle ou telle politique israélienne des personnes pour se déclarer « fièrement sionistes. »
Dès sa constitution, le Sionisme a promu la création d’un État-nation juif très proche de nombres des exemples établis ou promus dans l’Europe du XIXème siècle, État qui devait ensuite être peuplé par la plus grande partie des Juifs de la diaspora mondiale, et privilégiant pour son implantation l’ancienne terre juive de Palestine.
La plupart des descriptions modernes du mouvement sioniste suggèrent qu’il est apparu en Europe en réaction au fort antisémitisme subi par trop de Juifs d’Europe durant le XIXème siècle, et c’est également comment le présentent mes manuels d’histoire en introduction.
Theodore Herzl, universellement reconnu comme père du Sionisme, était un journaliste austro-hongrois, dont le nom marque fortement le pays moderne qu’il a inspiré, comme l’indique le nom de la ville de Herzilia, ou encore celui de la métropole de Tel Aviv, qui était à l’origine le titre de l’un de ses romans sionistes.
La France révolutionnaire aura été le premier pays d’Europe à accorder la pleine citoyenneté à sa petite minorité juive, et durant les guerres napoléoniennes qui ont suivi, les armées françaises ont imposé la même réforme à de nombreux pays qu’elles sont occupé, libérant les Juifs de leurs invalidités juridiques traditionnelles. Durant un siècle, la France et sa population juive bien intégrée ont ainsi été considérées comme le firmament de la communauté juive européenne, dont la plus grande partie connaissait des conditions de vie bien pires en Europe de l’Est, surtout l’énorme population de Juifs opprimés qui souffraient au sein de l’Empire russe tsariste farouchement antisémite.
Mais en approchant de la fin du XIXème siècle, la société française a été secouée durablement par l’un des incidents antisémites les plus notables de l’histoire, la condamnation injuste et le cruel emprisonnement d’Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée française, accusé à tort d’espionnage en raison de son origine ethnique, sur la base de preuves fabriquées.
Herzl vivait et travaillait à Paris à l’époque et, selon le récit qu’il en a fait par la suite, l’épouvantable vague de haine française anti-juive à laquelle il a assisté durant le procès Dreyfus l’a convaincu qu’une assimilation des Juifs était impossible, et que seul un État-nation dirigé par des Juifs pouvait protéger les intérêts de son peuple si souvent persécuté. Cela l’a amené à publier The Jewsih State en 1896, ouvrage fondateur du mouvement sioniste.
Voilà le type de présentation rapide qu’en faisaient mes manuels d’histoire, et je l’avais toujours acceptée. La tristement célèbre affaire Dreyfus avait bouleversé la vie politique française durant plus d’une décennie, et on la considérait le plus souvent comme l’un des incidents antisémites les plus choquants de l’histoire du monde, si bien que son rôle centrale dans l’éclosion du mouvement sioniste faisait sens. Mais il y a plusieurs années, j’ai lu un récit salué de toutes parts sur l’antisémitisme, publié par un universitaire de premier plan, et j’ai découvert que les faits véritables étaient en réalité quelque peu différents.
En 1991, Cambridge University Press a publié The Jew Accused, écrit par Albert Lindemann, un universitaire réputé pour son expertise des mouvements idéologiques européens, et son ouvrage était centré précisément sur cette ère et sur ce type d’incident. Bien que le corps du livre soit relativement court — il s’étale sur moins de 300 pages —, Lindemann a établi sa discussion sur un énorme socle de littérature secondaire, et ses notes de bas de page font référence à 200 ouvrages compris dans sa bibliographie étendue. Pour autant que je puisse en juger, il avait l’air d’un universitaire très minutieux, apportant le plus souvent les multiples récits, souvent contradictoires entre eux, d’un incident donné, et tirant ses propres conclusions avec une hésitation considérable.
Cette approche est tout à fait prégnante dans la première de ses affaires majeures, la célèbre affaire Dreyfus dans la France de la fin du XIXème siècle, sans doute l’un des incidents antisémites les plus célèbres de l’histoire. Bien qu’il conclue que le capitaine Alfred Dreyfus fût très probablement innocent de l’accusation d’espionnage, il note que les éléments qui avaient amené à son arrestation et à sa condamnation avaient pu sembler très étayés, et il établit — contrairement au mythe créé par la suite par de nombreux auteurs — que rien n’indique que ses origines juives aient joué le moindre rôle dans cette situation difficile.
Mais il note également le contexte social sous-jacent à cette dure lutte politique. Alors qu’un Français sur mille seulement était juif, quelques années auparavant, un groupe de Juifs s’était illustré comme coupable principal de plusieurs énormes scandales financiers qui avaient mis sur la paille de nombreux petits investisseurs, et les escrocs avaient ensuite échappé à toute punition en faisant usage d’influences politiques et de pots de vin. Au vu de cette histoire, une grande partie de l’indignation ressentie par les anti-Dreyfusards provenait sans doute de leurs craintes qu’un espion militaire juif issu d’une très riche famille pût s’en sortir en usant de tactiques semblables, et les affirmations publiques selon lesquelles le frère de Dreyfus offrait des pots-de-vin énormes pour assurer sa libération ont sans aucun doute renforcé ces préoccupations.
La conclusion sans équivoque de l’analyse de Lindemann était que, dans le cas de l’affaire Dreyfus, si le défenseur n’avait pas été juif, il aurait subi la même arrestation et la même condamnation, mais faute de disposer d’une communauté juive riche et politique mobilisée autour de lui, il aurait reçu sa punition, juste ou injuste, et serait immédiatement tombé dans l’oubli. Mais comme en l’instance il était juif, le soutien massif que sa communauté à déployé autour d’une personne considérée par beaucoup comme un traître a fini par provoquer d’énormes retombées négatives dans la population non juive. Et comme le note Wikipédia, Herzl semblait croire en la culpabilité de Dreyfus, ce qui soulève d’importants doutes sur l’idée que cette affaire ait véritablement pu tenir lieu d’inspiration au sionisme.
Bien que des Juifs d’Europe centrale, comme Herzl, aient lancé et ensuite dirigé le mouvement sioniste, ils ne sont pas parvenus à rallier un fort soutien populaire au sein de leurs propres communautés juives, qui étaient assez bien installées et prospères. L’affaire Dreyfus a pu dominer la politique française pendant une bonne dizaine d’années, mais les Dreyfusards ont fini par triompher, et l’officier juif emprisonné à tort a été libéré et a vu son honneur lavé, cependant que ses persécuteurs ont été brisés politiquement.
Dans le même temps, les Juifs de l’empire tsariste, misérables et pauvres, restaient largement confinés à leur Zone de Résidence, et ils vivaient souvent dans la crainte de pogroms réguliers, et l’on pense que le gouvernement hostile a pu organiser ou encourager des massacres par la foule. Au vu de leur énorme mécontentement, ils ont rapidement pris une place importante dans la base populaire du mouvement sioniste, et après la mort de Herzl en 1904, ils ont fini par en prendre également la direction, avec Chaim Weizmann, le chimiste né en Russie, qui s’est illustré comme figure proéminente du mouvement. C’est Weizmann qui est parvenu à obtenir la Déclaration Balfour en 1917 de la part de la Grande-Bretagne, qui promettait la création d’une patrie juive en Palestine et il est finalement devenu le premier président d’un Israël indépendant, une fois l’État établi, en 1949.
Mais ici également, le travail universitaire minutieux mené par Lindemann a décortiqué de nombreux mythes au sujet de l’antisémitisme tsariste, supposé avoir propulsé le mouvement sioniste à l’époque, et que j’avais toujours accepté sans sourciller.
La discussion de Lindemann au sujet des relations souvent difficiles entre la minorité juive rétive de Russie et l’immense majorité slave du pays est également des plus intéressantes, et il montre que de nombreuses instances d’incidents majeurs, supposés démontrer l’attrait considérable d’un antisémitisme vicieux, se sont en réalité de manière très différente de ce qu’en a retenu la légende. Le célèbre pogrom de Kishinev, en 1903, a évidemment résulté de fortes tensions ethniques dans cette ville, mais contrairement aux accusations répétées des auteurs ayant traité l’incident plus tard, il ne semble exister strictement aucun élément d’une implication du gouvernement à haut niveau, et les affirmations généralisées de 700 morts qui terrifient le monde entier ont été largement exagérées, puisqu’on a compté 45 personnes tués dans les émeutes urbaines. Chaim Weizmann, futur président d’Israël, a par la suite promu le récit selon lequel lui-même et d’autres Juifs courageux avaient personnellement défendu leur peuple, revolvers à la main, alors qu’ils avaient sous les yeux les corps mutilés de 80 victimes juives. Ce récit est totalement inventé, car il s’est révélé que Weizmann se trouvait à des centaines de kilomètres au moment où les émeutes se sont produites.
Il ne serait évidemment pas honnête d’affirmer que mensonges et exagérations seraient l’apanage exclusif des partisans politiques de la communauté juive de Russie, mais l’existence d’un puissant réseau international de journalistes juifs et d’organes de presse influencés par les Juifs ont assuré que des récits de propagande ainsi concoctés ont pu faire l’objet d’une immense distribution dans le monde entier, laissant la vérité pour le moins très à la traîne.
Pour des raisons proches, l’indignation internationale a souvent été centrée sur le confinement juridique de la plupart des Juifs de Russie à la « Zone de Résidence », ce qui suggérait une forme d’emprisonnement étroit ; mais cet espace était l’habitat traditionnel de la population juive, et englobait des territoires de la taille de la France et l’Espagne réunies. On a souvent supposé que l’appauvrissement croissant des Juifs d’Europe de l’Est durant cette ère était une conséquence de politiques gouvernementales hostiles, mais l’explication évidente réside dans l’extraordinaire fécondité des Juifs de l’époque, qui dépassait de loin celle de leurs compatriotes slaves, et les a rapidement amenés à déborder des occupations habituelles d’« intermédiaires », une situation qui s’est empirée du fait de leur réticence totale à se mettre à l’agriculture et aux autres activités de production primaire. Les communautés juives ont exprimé leur horreur face au risque de perdre leurs fils avec l’enrôlement militaire tsariste, mais cela ne constituait que l’avers de la pleine citoyenneté russe qui leur avait été accordée, et leurs compatriotes non juifs n’étaient en la matière pas logés à meilleure enseigne.
Il ne fait aucun doute que les Juifs de Russie ont fortement souffert de nombreuses émeutes et attaques de foule au cours de la génération qui a précédé la première guerre mondiale, et ces événements ont à l’occasion été substantiellement encouragés par le gouvernement, surtout au lendemain du rôle très important tenu par les Juifs lors de la Révolution de 1905. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’un conspirateur juif s’était trouvé impliqué dans le meurtre du Tsar Alexandre II, ni que des assassins juifs avaient également frappé plusieurs hauts ministres russes et de nombreux dirigeants gouvernementaux. Si les dix ou vingt dernières années avaient vu des Musulmans étasuniens assassiner un président étasunien en exercice, divers membres du Cabinet, ainsi qu’un grand nombre d’autres dirigeants élus ou nommés, il ne fait aucun doute que la situation des Musulmans aux États-Unis serait devenu très inconfortable.
Lindemann, dans sa description fidèle des tensions entre la population juive de Russie en croissance rapide et les autorités gouvernementales, ne peut éviter de faire mention de la notoire réputation des Juifs en matière de pots-de-vin, de corruption et de malhonnêteté générale, et il cite de nombreux personnages de toutes obédiences politiques qui notent la propension remarquable des Juifs à commettre le parjure dans les tribunaux, et comment cela a produit de graves problèmes dans l’administration efficace de la justice. E.A. Ross, l’éminent sociologue étasunien, a décrit par écrit en 1913 le comportement habituel des Juifs d’Europe de l’Est selon des termes très similaires.
Lindemann n’est absolument pas le seul à suggérer que l’antisémitisme rampant supposé de la Russie tsariste a souvent été grandement exagéré ou mal dépeint. Comme je l’ai expliqué :
Durant des décennies, la plupart des Étasuniens auraient classé Alexandre Soljenitsyne, le prix Nobel, parmi les plus grandes personnalités littéraires du monde, et son seul ouvrage l’Archipel du Goulag s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires. Mais son dernier ouvrage a été le récit en deux volumes de 200 années tragiques d’histoire commune entre les Russes et les Juifs, et malgré sa publication en 2002 en russe et sa traduction en de nombreuses autres langues, ce livre n’a encore jamais pu être publié en anglais, même si diverses éditions partielles ont pu circuler sur Internet sous forme de samizdat.
Une version intégrale en anglais a été disponible durant une brève période sur Amazon.com, et je l’ai achetée. En jetant un coup d’œil sur quelques sections du livre, le travail m’est apparu comme plutôt impartial et innocent, mais il semblait livrer un récit nettement plus détaillé et nettement moins censuré que tout ce qui avait pu être mis à disposition par le passé, ce qui constituait bien entendu le problème.
Le récit exhaustif livré par Soljenitsyne dépeint les efforts énormes entrepris par le gouvernement tsariste pour intégrer et satisfaire la population juive en croissance très rapide, allant jusqu’à lui mettre à disposition gratuitement les meilleures terres pour qu’elle s’y implante, tout en essayant de protéger la paysannerie slave vulnérable de l’exploitation juive à base d’usure, de vente d’alcool, et d’activités ouvertement criminelles.
La misère et l’appauvrissement croissants de la communauté juive de Russie durant cette période les a également amené à pencher vers diverses solutions à leurs maux, comme le sionisme, le marxisme et l’émigration, mais le facteur principal derrière leur déclin économique restait leur croissance démographique colossale, de loin la plus élevée de tous les groupes européens, qui avait vu leur nombre s’accroître d’un facteur proche de 10 en à peine un siècle ; Weizmann lui-même est issu d’une fratrie de quinze enfants. En contraste, l’antisémitisme, réel ou imaginé, n’a sans doute constitué qu’un facteur relativement mineur à cet égard. Et même si l’idéologie sioniste est devenue très populaire parmi les Juifs de Russie, seule une petite fraction de la communauté a essayé d’agir en s’implantant en Palestine ; au lieu de cela, la vaste majorité des émigrés choisissaient les États-Unis, la Grande-Bretagne, ou d’autres nations occidentales développées comme destination préférée.
De fait, parmi les Juifs de l’Empire russe, le sionisme a pu parfois sembler jouer davantage le rôle de véhicule idéologique assurant l’unité et la cohésion ethnique que manifester une véritable intention d’aller s’installer en Palestine. Et ceci met peut-être en lumière une inspiration centrale pour le sionisme, peut-être plus importante même que les provocations antisémites supposées sur lesquelles on insiste tellement dans nos récits standards.
Mes manuels historiques mentionnent tous Herzl comme fondateur du sionisme, et omettent presque tous le nom de Max Nordau, son allié et collaborateur le plus proche dans la création du mouvement, un compatriote austro-hongrois qui vivait à paris et qui a également affirmé s’être trouvé radicalisé du fait de l’affaire Dreyfus. Nordau, médecin et auteur, était déjà un intellectuel public de premier plan, et sa pleine adhésion à la nouvelle cause sioniste a apporté à celle-ci un dynamisme considérable, en comparaison à un Herzl relativement obscur. En outre, c’est Nordau qui a organisé les congrès sionistes internationaux qui sont devenus la pièce maîtresse du mouvement, dont il a pris la direction après la mort de Herzl.
Étant donné le rôle central joué par Nordau dans la création du sionisme, son nom aurait certainement dû être systématiquement cité de pair avec celui de Herzl dans tous nos récits historiques, mais il subit un facteur disqualifiant. Nordau est en fait mieux connu comme l’un des pères fondateurs du racialisme européen du XIXème, un courant idéologique qui livre sans doute un éclairage important sur les véritables racines du sionisme. Je soupçonne que son rôle central dans la création du sionisme a été soigneusement éludé de tous les récits populaires afin d’éviter d’attirer l’attention sur les liens très étroits qui existent entre ces deux mouvements intellectuels du XIXème siècle, qui sont désormais décrits suivant des termes totalement différents par les Juifs libéraux qui dominent notre vie universitaire et nos organes de presse.
De fait, bien que peu d’Occidentaux contemporains puissent même le soupçonner, des Juifs européens comme Nordau ont bel et bien joué un rôle absolument central dans la naissance du racialisme moderne, dont le sionisme peut être considéré comme un simple mouvement rejeton.
En 1911, Werner Sombart, l’éminent économiste politique allemand, avait publié Les Juifs et le Capitalisme Moderne, qui l’a rendu célèbre pour avoir affirmé que les racines de l’économie capitaliste européenne pouvaient être retracées jusqu’à l’influence de la population juive restreinte qui y habitait, et l’on pourrait également trouver des forts arguments pour avancer qu’il en est allé de même du racialisme européen. Dans Les Larmes d’Esau, une suite bien plus longue et bien plus complète à son premier livre sur l’histoire de l’antisémitisme, Lindemann a relevé le rôle par ailleurs peu reconnu de Benjamin Disraeli, premier ministre britannique né dans une famille juive, l’une des personnalités marquantes de la fin du XIXème siècle, et romancier de premier plan avant d’entrer en politique.
Lindemann note également l’insistance de Disraeli sur l’extrême importance de la race et des origines raciales, un aspect central de la doctrine religieuse traditionnelle juive. Il suggère à raison que cela a sans doute dû présenter une énorme influence sur la montée de ces idées politiques, étant donné que le profil public et la stature de Disraeli étaient nettement plus considérables que les quelques auteurs et activistes que nos livres d’histoires positionnent le plus souvent au centre du jeu. De fait, Houston Stewart Chamberlain, un théoricien racial de premier plan, a de fait cité Disraeli comme source clé de ses idées. Des intellectuels juifs comme Max Nordau et Cesare Lombroso sont déjà reconnus comme des personnalités de premier plan dans la montée de la science raciale de cette époque, mais le rôle sous-évalué de Disraeli a sans doute été bien plus important. Les profondes racines juives des mouvements racialistes européens sont des éléments que les Juifs d’aujourd’hui préfèrent voir tenus écartés de la connaissance du public.
La pravda américaine : la nature de l’antisémitisme
Ron Unz • The Unz Review • 30 juillet 2018 • 5,500 Mots
Le sionisme a toujours été reconnu comme mouvement nationaliste, et le nationalisme est cousin germain du racialisme. Mais le fait indéniable que le co-fondateur du sionisme était l’un des principaux racialistes d’Europe peut épargner des surprise vis-à-vis de certaines éléments de la trajectoire qu’il a ensuite suivie.
Au lendemain de la première guerre mondiale, le mouvement sioniste a été fortement impacté par plusieurs développement politiques d’importance.
La Grande-Bretagne avait pris la Palestine à l’Empire ottoman, et avait ouvert le pays à une immigration juive conséquente, sur la base de la déclaration de Balfour, ce qui avait permis un accomplissement des aspirations sionistes, mais avait évidemment provoqué des craintes et ressentiments parmi les habitants locaux arabes et palestiniens.
Presque en même temps que la déclaration publique de Balfour, la Révolution bolchevique avait balayé des siècles de règne tsariste sur la Russie, et après des années d’une dure guerre civile, la direction écrasante des Juifs sur l’appareil bolchevique a consolidé leur pouvoir sur le pays le plus grand au monde et son immense population. Dans le même temps, des soulèvements bolcheviques dirigés par des Juifs avaient de peu échoué à prendre le contrôle de la Hongrie et de parties de l’Allemagne, si bien que le reste du monde a pris très peur de cette nouvelle menace révolutionnaires, dont la base de soutien dans la plupart des pays résidait dans leur petite minorité juive.
Ces développements parallèles ont été le sujet d’un long article publié en 1920 par Winston Churchill, alors membre du cabinet des ministres, dans l’un des principaux journaux britanniques. Il a condamné le bolchevisme comme menace mondiale, et souligné la direction écrasante tenue par les Juifs sur ce mouvement. Mais il a également affirmé que sionisme et bolchevisme étaient bloqués dans une féroce lutte d’influence au sein de la communauté juive mondiale, et que la sécurité du monde dépendait du fait que la majorité des Juifs puissent s’orienter plutôt vers le premier mouvement que le second.
Dans le même temps, Benito Mussolini avait été l’un des socialistes italiens de premier plan, mais durant la guerre, il avait rejeté cette doctrine, et partageant les préoccupations de Churchill vis-à-vis de la menace du bolchevisme, il a créé son propre mouvement fasciste, qui l’a porté au pouvoir en 1922. Nombre de ses premiers soutiens d’importance provenaient de la petite population juive très bien assimilée en Italie.
Aussi, avec le bolchevisme soviétique et le fascisme italien tous deux considérés comme des mouvements idéologiques ayant réussi et connaissant un essor, ils ont bien entendu attiré leur lot d’admirateurs et d’imitateurs dans le monde entier, et le sionisme n’a pas été en reste. Les factions sionistes les plus importants ont suivi la voie du marxisme et ont été dominées par David Ben-Gourion, né en Russie, qui tenait Lénine pour une idole et a fini par devenir le premier premier ministre d’Israël. Mais des factions sionistes plus petites, et orientées à droite, ont quant à elles tiré leur inspiration du fascisme de Mussolini.
Dans un long article de 2018, j’avais décrit une partie de cette importante réalité historique, presque totalement inconnue de presque tous les Étasuniens vivant aujourd’hui, y compris ceux qui s’intéressent de près aux origines d’Israël. J’ai puisé dans les recherches époustouflantes menées par Lenni Brenner, un anti-sioniste appartenant au mouvement trotskyste et ayant des origines juives, qu’il avait publiées dans son ouvrage de 1983 Le sionisme à l’âge des dictateurs, ainsi que son livre compagnon, paru plus tard, 51 documents : collaboration sioniste avec les Nazis.
Entre autres choses, Brenner apporte des preuves considérables du fait que la faction sioniste de droite plus importante, et devenue plus dominante, dirigée par la suite par Menachem Begin, futur premier ministre d’Israël, était presque invariablement considérée comme un mouvement fasciste durant les années 1930, même sortie de sa chaude admiration envers le régime italien établi par Mussolini. Cela n’était pas du tout un secret à l’époque, étant donné que les principaux journaux de Palestine publiaient un éditorial régulier par un dirigeant idéologique de haut niveau sous le titre « Journal d’un Fasciste. » Au cours de l’une des conférences sionistes internationales majeures, Vladimir Jabotinsky, le dirigeant d’une faction, est entré dans le bâtiment suivi de ses adeptes en chemises brunes, en formation militaire, ce qui a amené la présidence à interdire les uniformes afin d’éviter une émeute, et sa faction a rapidement décliné politiquement, et a fini par se faire expulser de l’organisation parapluie sioniste. Ce revers majeur a largement découlé de l’hostilité généralisée que le groupe s’était attirée après que deux de ses membres avaient été arrêtés par la police britannique pour l’assassinat récent de Chaim Arlosoroff, l’un des dirigeants sionistes de plus haut rang installés en Palestine.
Et de fait, il y a quarante ans, le New York Times et d’autres grands journaux mondiaux ont révélé que durant la seconde guerre mondiale, la faction sioniste de droite dirigée par Yitzhak Shamir, premier ministre israélien en exercice, avait activement cherché à s’enrôler aux côtés des puissances de l’Axe :
Apparemment, à la fin des années 1930, Shamir et sa petite faction sioniste étaient devenus de grands admirateurs des fascistes italiens et des nazis allemands, et après que la seconde guerre mondiale a éclaté, ils ont à plusieurs reprises essayé de prendre contact avec Mussolini et les dirigeants allemands en 1940 et en 1941, dans l’espoir d’enrôler la Palestine parmi les puissances de l’Axe, de mener une campagne d’attaques et d’espionnage contre les forces britanniques locales, puis de partager le butin politique après l’inévitable triomphe de Hitler.
Entre autres choses, on trouve de longs extraits de lettres officielles envoyées à Mussolini dénonçant férocement les système démocratiques « décadents » britannique et français auxquels il était opposé, et assurant au Duce que ces notions politiques ridicules n’auraient aucune place à l’avenir dans l’État client totalitaire juif qu’ils espéraient établir sous ses auspices en Palestine.
Il s’est trouvé que l’Allemagne comme l’Italie étaient préoccupées par des sujets géopolitiques plus vastes à l’époque, et au vu de la petite taille de la faction sioniste de Shamir, ces tentatives n’ont pas débouché sur grand chose. Mais savoir que le premier ministre israélien en exercice avait passé ses premières années de guerre à essayer de devenir un allié nazi, fût-ce sans y parvenir, est sans aucun doute quelque chose qui travaille les esprits, et fort peu conforme au récit traditionnel de l’époque que j’avais toujours accepté.
Chose des plus remarquables, la révélation du passé pro-Axe de Shamir semble n’avoir eu qu’un impact relativement mineur sur sa stature au sein de la société israélienne. Je penserais que n’importe quelle personnalité étasunienne dont on découvrirait qu’elle avait soutenu une alliance militaire avec l’Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale aurait très fortement vu sa carrière politique compromise au vu de l’ampleur du scandale, et il en irait certainement de même en Grande-Bretagne, en France, et dans la plupart des pays occidentaux. Mais bien qu’un certain embarras ait pu être constaté au niveau de la presse israélienne, surtout après que ce récit choquant a fait les gros titres de la presse internationale, il semble que la plupart des Israéliens aient avalé l’ensemble sans broncher, et Shamir est resté en poste une année de plus, puis a de nouveau occupé le poste de premier ministre durant une période plus longue encore, de 1986 à 1992. Les Juifs d’Israël considéraient apparemment l’Allemagne nazie de manière très différente que ne le faisaient la plupart des Étasuniens, sans même parler des Juifs étasuniens.
On ne serait guère surpris qu’un mouvement idéologique farouchement racialiste inspiré par Mussolini ait pu essayer de rejoindre les puissances de l’Axe durant la seconde guerre mondiale. Mais chose ironique, comme l’ont révélé les remarquables recherches menées par Brenner, le mouvement sioniste dominant, malgré son orientation à gauche et ses croyances marxistes, a de fait passé la plus grande partie des années 1930 aligné sur l’Allemagne nazie au sein d’un partenariat bien plus important, et qui a joué un rôle central dans la création d’Israël.
La couverture de l’édition de poche de l’ouvrage de Brenner affiche en illustration la médaille commémorative frappée par l’Allemagne nazie pour marquer son alliance sioniste, avec une Étoile de David sur l’avers et une Swastika sur le revers. Mais chose étrange, ce médaillon symbolique n’avait absolument aucun lien avec les tentatives ratées de la petite faction de Shamir pour mettre en place une alliance militaire nazie durant la seconde guerre mondiale.
Bien que les Allemands ne prêtassent que fort peu d’attention à cette organisation mineure, le mouvement sioniste bien plus vaste et bien plus influent de Chaim Weizmann et de David Ben-Gourion en était totalement distinct. Et durant la plus grande partie des années 1930, ces autres sionistes avaient constitué un important partenariat économique avec l’Allemagne nazie, sur la base de communautés d’intérêts évidentes. Après tout, Hitler considérait le 1~ \% de population juive comme un élément perturbateur et potentiellement dangereux qu’il voulait expulser, et le Moyen-Orient lui apparaissait une destination tout aussi bonne qu’une autre. Dans le même temps, les sionistes avaient des objectifs très proches, et la création de leur nouvelle patrie nationale en Palestine avait évidemment besoin aussi bien d’immigrés juifs que d’investissements financiers juifs.
Après la nomination de Hitler comme chancelier en 1933, des Juifs scandalisés ont lancé un boycott économique dans le monde entier, dans l’espoir de mettre l’Allemagne à genoux, avec le Daily Express de Londres qui a marqué les esprits en affichant la bannière « La Judée déclare la Guerre à l’Allemagne. » L’influence politique et économique juive était alors, comme elle l’est toujours, considérable, et dans les profondeurs de la Grande Dépression, l’Allemagne appauvrie devait exporter ou mourir, si bien qu’un boycott à grande échelle des marchés allemands majeurs posait une menace potentiellement grave. Mais cette situation précise a apporté aux groupes sionistes une excellente opportunité de proposer aux Allemands un moyen de rompre cet embargo commercial, et ils ont demandé des conditions favorables pour les exportations de produits manufacturés allemands de haute qualité à destination de la Palestine, accompagnés de Juifs allemands. Lorsque cet « Accord de Transfert » ou Ha’avara conclu avec les nazis a été exposé au cours d’une convention sioniste, en 1933, de nombreux Juifs et sionistes se sont scandalisés, et cela a amené à de nombreuses ramifications et controverses. Mais l’accord économique était trop bon pour qu’on lui résiste, et il a vécu sa vie et connu une croissance rapide.
Il serait difficile de surestimer l’importance du pacte nazi-sioniste pour l’installation d’Israël. Selon une analyse produite en 1974 dans Jewish Frontier et citée par Brenner, entre 1933 et 1939, plus de 60 % de l’ensemble des investissements réalisés en Palestine juive provenaient d’Allemagne nazie. L’appauvrissement suscité dans le monde entier par la Grande Dépression avait drastiquement réduit le soutien financier juif en provenance de toutes les autres sources, et Brenner suggère que sans le soutien financier de Hitler, la colonie juive naissante, petite et fragile, aurait facilement pu se flétrir et mourir durant cette période difficile ; cette suggestion apparaît comme raisonnable.
Cette conclusion débouche sur des hypothèses fascinantes. Lorsqu’au départ je suis tombé sur des références à l’accord Ha’avara sur des sites internet à droite et à gauche, l’un des commentateurs sur le sujet suggérait sur le ton de la demi-blague que si Hitler avait gagné la guerre, on aurait sans doute érigé des statues à son effigie en Israël, et qu’il serait de nos jours reconnu par les Juifs du monde entier comme le dirigeant non-juif héroïque ayant joué le rôle central de rétablir une patrie nationale au peuple juif en Palestine après presque 2000 ans de dur exil.
Ce type de possibilité contre-factuelle édifiante n’est pas aussi absurde qu’elle pourrait le paraître aux esprits d’aujourd’hui. Nous devons reconnaître que notre compréhension historique de la réalité est façonnée par les médias, et les organes médiatiques sont contrôlés par les vainqueurs des principales guerres, et leurs alliés, et les détails gênants sont bien souvent supprimés de l’histoire pour induire le public en erreur. Il est indéniablement vrai que dans son livre de 1924, Hitler avait écrit toutes sortes de choses hostiles et agressives à l’encontre des Juifs, surtout ceux qui avaient immigré récemment depuis l’Europe de l’Est, mais lorsque j’ai lu ce livre, j’étais au lycée, j’avais été quelque peu surpris de découvrir que ces sentiments anti-juifs n’étaient pas du tout centraux dans son livre. Qui plus est, une ou deux années plus tard, un personnalité publique nettement plus éminente avait publié des sentiments presque aussi hostiles et agressifs, en la personne de Winston Churchill, ministre britannique ; en centrant ses propos sur les crimes monstrueux commis par les Juifs bolcheviques. Dans le livre Les Larmes d’Esau d’Albert Lindemann, j’ai eu la surprise de découvrir que l’auteur de la célèbre déclaration de Balfour, fondation du projet sioniste, était apparemment lui aussi très hostile envers les Juifs, et un élément de ses motivations a sans doute été de les exclure hors de Grande-Bretagne.
Après que Hitler a consolidé son emprise sur le pouvoir en Allemagne, il a rapidement déclaré hors-la-loi toutes les autres organisations politiques pour le peuple allemand, et seul le parti nazi et les symboles politiques nazis sont restés juridiquement autorisés. Mais une exception spéciale a été prononcée pour les Juifs allemands, et le parti sioniste local allemand a eu droit à des statuts juridiques en bonne et due forme, avec des manifestations sionistes, des uniformes sionistes, et autorisation a été prononcée d’arborer des drapeaux sionistes. Sous Hitler, toutes les publications allemandes étaient strictement censurées, mais le journal hebdomadaire sioniste était librement vendu dans tous les kiosques et coins de rue. Il semblait bien qu’un parti national-socialiste allemand était la demeure politique appropriée pour la majorité allemande des 99%, cependant que le national socialisme sioniste pouvait jouer le même rôle pour la petite minorité juive.
En 1934, les dirigeants sionistes ont invité un important dirigeant SS à passer six mois dans une colonie juive en Palestine, et à son retour, il a fait état de ses impressions très favorables de l’entreprise sioniste croissante dans une importante suite de articles parus dans le journal Der Angriff publié par Joseph Goebbel, organe médiatique amiral du parti nazi, sous le titre descriptif : « Un Nazi se Rend en Palestine. » Dans sa critique très verte de l’activité bolchevique juive, Churchill avait affirmé que le sionisme était bloqué dans une lutte farouche contre le bolchevisme pour s’emparer de l’âme de la communauté juive européenne, et que seule sa victoire pouvait assurer des relations amicales à l’avenir entre les Juifs et les Goys. Sur la base des éléments disponibles, Hitler et nombre d’autres dirigeants nazis semblent être parvenus à une conclusion peu ou prou similaire au milieu des années 1930.
Après l’éruption de la controverse sur les liens entre Shamir et les nazis jusque dans les gros titres de la presse internationale, les éléments mis en avant par Brenner ont fourni de la matière à Edward Mortimer, expert de longue date du Moyen-Orient, qui a produit un article dans les pages de l’auguste Times de Londres, et l’édition 2014 du livre intègre des extraits choisis de l’article de Mortimer paru le 11 février 1984 dans le Times, soulignant les sentiments extrêmement rudes manifestés par les dirigeants sionistes à l’égard de la diaspora juive, ce qui a contribué à expliquer pourquoi le partenariat sioniste avec l’Allemagne nazie était moins difficile qu’on aurait pu s’y attendre.
Qui a affirmé devant un auditoire berlinois, au mois de mars 1912, que « chaque pays ne peut absorber qu’un nombre limité de Juifs, s’il ne veut pas de problèmes intérieurs. L’Allemagne a déjà trop de Juifs. » ?
Non, ce n’était pas Adolf Hitler, mais Chaim Weizmann, qui est devenu par la suite président de l’organisation sioniste mondiale, et encore après premier président de l’État d’Israël.
Et d’où pensez-vous que provient l’affirmation suivante, composée au départ en 1917, mais republiée en 1936 : « Le Juif est la caricature d’un être humain normal, aussi bien physiquement que spirituellement. En tant qu’individu dans la société, il se révolte et rejette le harnais des obligations sociales, et ne connait ni ordre ni discipline » ?
Non pas dans Der Sturmer, mais dans Hashomer Hatzair, l’organisation des jeunes sionistes.
Comme le révèle la citation ci-avant, le sionisme encourageait et exploitait la haine de soi dans la Diaspora. Il a commencé sur la supposition que l’antisémitisme était inévitable et même en un sens justifié, tant que les Juifs vivaient hors des terres d’Israël.
Il est vrai que seule une franche extrême et lunatique du sionisme est allée jusqu’au stade de proposer en 1941 de rejoindre la guerre aux côtés de l’Allemagne, dans l’espoir d’établir « l’État juif historique sur une base nationale et totalitaire, et lié par un traité avec le Reich allemand. » Malheureusement, c’est ce groupe que le ministre actuel d’Israël a choisi de rallier.
J’ai résumé ces sentiments sionistes :
La vérité très inconfortable est que les descriptions peu amènes de la diaspora juive que l’on trouve dans les pages de Mein Kampf n’était pas très différentes de ce que clamaient les pères fondateurs du sionisme et ensuite les dirigeants de ce mouvement, si bien que la coopération entre ces deux mouvements idéologiques n’était pas si surprenante que cela.
Très ironique également a été le rôle d’Adolf Eichmann, dont le nom figure sans doute parmi les quelques nazis les plus notoires de l’histoire, du fait de son kidnapping en 1960 par des agents israéliens, suivi par son procès-spectacle public et son exécution comme criminel de guerre. Il se trouve qu’Eichmann avait été l’une des personnalités nazies centrales dans l’alliance sioniste ; il est allé jusqu’à étudier l’Hébreu et est semble-t-il devenu philosémite durant les années de son étroite collaboration avec les hauts dirigeants sionistes.
Mais au lendemain de la victoire alliée absolue après la seconde guerre mondiale, et la diabolisation massive de l’Allemagne nazie — et les anciens alliés juifs n’ont pas été les derniers à y prendre part, le rôle central du partenariat économique nazi-sioniste des années 1930 est devenu un secret à faire disparaître à tout prix pour le gouvernement israélien nouvellement établi, un secret qui aurait pu détruire le pays balbutiant s’il avait été largement connu. Il n’est pas impossible que la raison première de l’élimination d’Eichmann ait découlé de préoccupations sur l’idée qu’il aurait pu révéler cet accord dissimulé de longue date.
La Pravda américaine : Juifs et Nazis
Ron Unz • The Unz Review • 6 août 2018 • 6,800 Mots
La profondes racines racialistes et les liens historiques avec les Nazis du mouvement sioniste et de l’État d’Israël qu’il a créé apparaissent de manière frappante à quiconque enquête sur la nature de la société israélienne moderne, même si nos médias affichent un parti pris écrasant pour Israël et n’insistent pas du tout sur ces embarras idéologiques.
De manière plutôt ironique, Israël est aujourd’hui l’un des rares pays présentant un critère strict à base raciale pour le statut de citoyenneté et d’autres privilèges ; la politique d’immigration réservée aux Juifs est désormais souvent mise en œuvre en pratiquant des tests ADN, et les mariages entre Juifs et non-Juifs sont juridiquement interdits. Il y a quelques années, les médias mondiaux ont également relaté l’histoire remarquable d’un Arabe palestinien condamné à de la prison pour viol pour avoir eu des relations sexuelles consenties avec une femme juive en s’étant fait passer pour Juif.
Comme le judaïsme orthodoxe est strictement matrilinéaire et contrôle la loi d’Israël, même les Juifs provenant d’autres branches peuvent connaître des difficultés inattendues en raison de conflits entre identités ethniques personnelles et statuts juridiques officiels. La vaste majorité des riches et influentes familles juives vivant dans le reste du monde ne suit pas les traditions religieuses orthodoxes, et au fil des générations, ont souvent épousé des femmes non juives. Pourtant, même si ces dernières s’étaient converties au judaïsme, leur conversion est considérée comme invalide par les rabbins orthodoxes, et aucun de leurs descendants n’est reconnu comme juif. Et si certains membres de ces familles développent par la suite un profond engagement envers leur héritage juif et décident d’aller vivre en Israël, ils sont parfois scandalisés de découvrir qu’ils ont été classifiés officiellement comme « goyims » suivant la loi orthodoxe, et n’ont pas le droit juridiquement de se marier avec des personnes juives. Ces controverses politiques majeures font régulièrement éruption et se frayent parfois un chemin jusque dans les médias internationaux.
Il me semble que tout dirigeant étasunien qui proposerait des tests ADN pour décider l’admission ou de l’exclusion de candidats à l’immigration connaîtrait les plus grandes difficultés à conserver son poste, et les activistes juifs d’organisations comme l’ADL ne seraient sans doute pas les derniers à mener l’attaque. Et il en irait sans doute de même pour tout procureur ou juge qui enverrait des non-blancs en prison pour le crime de « se faire passer pour » blanc et réussir ainsi à séduire des femmes blanches. Et il en irait de même en Grande-Bretagne, en France, et dans la plupart des pays occidentaux, où des organisations comme l’ADL ne manqueraient pas de jouer un rôle important. Pourtant, en Israël, ces lois existent, provoquent un certain embarras temporaire lorsqu’on en parle dans les médias internationaux, mais restent invariablement en place après qu’on a arrêté de parler de l’affaire. Ce type de sujet est considéré comme n’ayant guère plus d’importance que les liens entretenus par le premier ministre israélien des années 1980 avec les nazis durant la guerre.
Mais peut-être que la solution à ces différences troublantes dans le fonctionnement des réactions publiques réside dans une vieille blague. Un esprit de gauche a jadis affirmé que la raison pour laquelle les États-Unis n’avaient jamais connu de coup d’État militaire était qu’il s’agissait du seul pays au monde qui n’a pas d’ambassade des États-Unis pour organiser ce type d’activité. Et contrairement aux États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, et de nombreux autres pays traditionnellement blancs, Israël ne dispose pas d’organisations activiste juive pour remplir le rôle puissant de l’ADL.
Au cours des dernières années, de nombreux observateurs extérieurs ont noté une situation politique apparemment très étrange en Ukraine. Ce pays malheureux possède de puissants groupes militants, dont les symboles publics, l’idéologie affirmée, et les affiliations politiques les marquent sans coup férir comme néo-nazis. Pourtant, ces éléments néo-nazis violents se font tous financer et contrôler par un oligarque juif qui bénéficie de la double nationalité israélienne. Qui plus est, cette étrange alliance a été enfantée et bénie par des personnalités néoconservatrices juives parmi les plus en vue aux États-unis, comme Victoria Nuland, qui a réussi à faire usage de son influence médiatique pour maintenir des éléments aussi explosifs loin des yeux du public étasunien.
Au premier coup d’œil, une relation étroite entre Juifs israéliens et néo-nazis européens apparaît comme une alliance parfaitement grotesque et bizarre, mais après avoir lu le livre fascinant de Brenner, mon point de vue a nettement changé. De fait, la principale différence entre le passé et le présent est que durant les années 1930, les factions sionistes représentaient un partenaire particulièrement insignifiant aux yeux d’un Troisième Reich puissant, alors que de nos jours, ce sont les Nazis qui tiennent le rôle de demandeurs face à la puissance formidable du sionisme international, qui domine désormais résolument le système politique étasunien, et à travers lui une grande partie du monde.
Considérons le traitement contrasté de l’antisémitisme, du racisme et du nationalisme juif connu sous le nom de sionisme dans notre monde occidental, dont les élites politiques et médiatiques dominantes assignent des valeurs morales extrêmement différentes à ces mouvements disparates. Il y a plusieurs années, j’ai exposé une manière permettant de comprendre la relation entre ces différentes idéologies.
Un groupe cohérent et organisé possède en général des avantages colossaux par rapport à une masse agglomérée d’individus atomisés, et c’est ainsi qu’une Phalange macédonienne disciplinée pouvait facilement vaincre un corps nettement plus nombreux d’infanterie désorganisée. Il y a de nombreuses années, sur un site internet, j’étais tombé sur un commentaire très perspicace au sujet du lien évident existant entre « antisémitisme » et « racisme, » que nos médias dominants identifient comme deux des pires maux du monde. Selon cette analyse, l’« antisémitisme » représente la tendance à critiquer ou à résister à la cohésion sociale juive, alors que le « racisme » représente les tentatives des non-juifs blancs à maintenir une cohésion sociale semblable entre eux. Dans la mesure où les émanations idéologiques en provenance de nos organes médiatiques centralisés servent à renforcer et à protéger la cohésion juive tout en attaquant et en dissolvant toute cohésion du même ordre de la part de leurs homologues non-juifs, les premiers en tirent évidemment des avantages colossaux dans la compétition aux ressources menées contre les seconds.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone