Les centres d’excellence de l’OTAN dans les pays baltes


Par Leonid Savin – le 15 juin 2018 – Source geopolitica.ru

Les infrastructures de l’OTAN ne sont pas réduites aux contributions militaires qu’en font les pays membres de l’alliance, mais comportent également tout un réseau de centres spéciaux répartis en Europe ; ces installations restent sous la compétence formelle du centre de commandement de l’OTAN à Bruxelles. Ce mécanisme permet non seulement à l’organisation de s’enraciner dans les différents pays et de recruter des soldats professionnels dans les processus de l’OTAN, mais encore d’impliquer des civils, y compris issus de pays qui ne sont pas membres de l’alliance. Dans ce contexte, des méthodes de communications stratégiques sont mises en œuvre : il s’agit d’une approche complexe, impliquant un mélange d’éducation, de technologies de manipulation des foules, de propagande, de science et de sécurité.

On trouve un exemple typique de ce type de politique d’« enracinement » dans les pays baltes : trois centres spécialisés ont été ouverts en Estonie, Lettonie et Lituanie. Ils sont dénommés « Centres d’excellence », et chacun d’entre eux est spécialisé sur des vecteurs spéciaux.

L’OTAN dispose de 19 centres pleinement fonctionnels, et trois autres en cours d’établissement. Dans le cadre de cet article, nous n’en examinerons que trois.

Le Centre d’excellence coopératif de cyber-défense, localisé à Tallinn – capitale de l’Estonie – fut la première installation de ce genre à apparaître dans l’espace post-soviétique. Les représentants de l’OTAN ou les experts américains se plaisent à répéter que la décision de créer ce centre avait suivi les incidents survenus autour d’un monument commémoratif dédié aux soldats soviétiques en 2007. D’après ce qu’on disait, des pirates russes avaient fait tomber les cyber-infrastructures estoniennes : les banques étaient hors service, et les serveurs informatiques de l’État étaient paralysés. Mais en réalité, la demande de création d’un cybercentre à Tallinn remonte à 2004 [mention en est faite tout en haut de la page, NdT], juste après que l’Estonie a rejoint l’OTAN. En 2006, le quartier général de l’OTAN avait validé définitivement la décision, et les négociations menant à l’établissement du centre avaient débuté en 2007.

Le premier mémorandum avait été signé en mai 2008, et l’OTAN avait commencé à financer le centre en question après l’avoir accrédité en octobre 2008. Il avait alors reçu le statut d’organisation militaire internationale.

Quand on considère cette séquence, une question peut se poser : le mythe des pirates russes aurait-il pu être un élément de propagande, visant à sécuriser le financement du centre par les pays de l’Union Européenne ? Si l’on en juge par le fait qu’à partir de 2007 le nombre de publications sur ce sujet avait nettement augmenté dans les médias occidentaux, et que les experts de l’OTAN ainsi que divers centres d’analyses politiques de pays occidentaux s’étaient mis à parler d’« interférences russes » et d’évoquer le besoin de mesures de sécurité efficaces, cette hypothèse pourrait coller avec les faits.

L’apparition des « cyber-lignes directrices de Tallinn » est également liée à ce centre. Même si ce document n’est qu’une présentation d’opinions émises par un expert, et pas un guide opérationnel ou stratégique, il est souvent cité en occident comme jeu de règles fondamentales pour les cyber-conflits.

Le centre héberge des formations techniques pour spécialistes, ainsi que des cours sur les implications légales des actions dans l’espace virtuel. À cet égard, il est notable de rappeler que ni les membres des Nations Unies, ni les principaux acteurs mondiaux en la matière ne se sont encore accordés pour convenir d’une norme internationale au sujet d’Internet. Les travaux du centre de Tallinn sont nettement axés sur un point de vue légal purement occidental.

Ceci étant posé, on trouve sur le site du centre de Tallinn des documents dédiés à ce sujet ; ces documents comportent également les fondements de l’approche de cyber-sécurité de l’OTAN. En outre, à partir de 2012, le centre réalise régulièrement des cyber-manœuvres qui, de par la nature mondiale du réseau internet, ne se cantonnent pas aux pays de l’OTAN.

En 2012, le Centre d’excellence à la sécurité énergétique était créé à Vilnius. Sa mission est d’assister le Commandement stratégique de l’OTAN, d’autres sous-divisions, les États membres de l’OTAN, ainsi qu’un ensemble d’autres partenaires. Son objectif principal est de proposer des conseils émis par des experts sur tous les sujets de sécurité énergétique, y compris la logistique des besoins militaires et la coopération entre cercles académiques et le secteur industriel.

Le centre organise des cours et propose des stages étudiants (dont les frais de soutien et d’études sont financés par l’OTAN).

En outre, des journaux thématiques et des résultats de recherches sont publiés ; ces publications mentionnent souvent le besoin européen de se libérer de sa « dépendance énergétique envers la Russie ».

La menace russe sur la sécurité énergétique de l’Ukraine constitue l’un des sujets très récurrents des dernières publications. Mais les autres zones de l’espace post-soviétique ne sont pas laissées pour compte, ni l’Europe dans son ensemble.

Le leitmotiv d’une « guerre énergétique » contre la Russie ne figure pas parmi les attributions officielles du centre, mais apparaît non seulement dans les publications de l’institution, mais est également mis en exergue lors des événements qu’elle organise. Qui plus est, des tentatives répétées et marquées sont observées d’attirer les pays neutres bordant la Russie dans l’orbite de l’OTAN.

Par exemple, une conférence dédiée aux « Solutions énergétiques innovantes pour les applications militaires », qui se tiendra en 2018, est organisée avec la participation du ministère géorgien de la défense.

Le Centre d’excellence de l’OTAN aux communications stratégiques, l’une de ses dernières sous-divisions en date, est quant à lui établi à Riga. Il a commencé à fonctionner en janvier 2014, et a reçu l’accréditation de l’OTAN le 1er septembre 2014. Ses cofondateurs sont des représentants des États d’Estonie, d’Allemagne, d’Italie, de Lettonie, de Lituanie, de Pologne et du Royaume-Uni.

On peut lire sur le site internet du centre que ses fonctions et capacités comportent : diplomatie publique ; collaboration avec les organes de presse grand public pour présenter les activités de l’OTAN ; relations entre civils et militaires ; campagnes d’informations et campagnes psychologiques.

Ce centre en particulier dispose d’une portée particulière, en raison du caractère complexe des tâches qui lui incombent. Il héberge régulièrement des conférences, et publie des journaux et des comptes-rendus de recherches spéciales. Les sujets traités sont très larges : guerre génétique ; méthodes de guerre informationnelle appliquées par l’État Islamique ; récits extrémistes ; sécurité de l’UE ; guerre cybernétique ; nationalisme ; technologies biométriques, etc. La Russie y fait également l’objet d’un intérêt particulier.

Ainsi, en novembre 2016, deux documents dédiés à la Russie ont été publiés par ce centre : « Quand la guerre hybride vient au service de l’idéologie : Russia Today » et « La stratégie du Kremlin. Comprendre les influences russes en Europe centrale et orientale. » Ces articles étaient précédés de documents sur « les interférences russes en Ukraine », les sanctions, les technologies de l’information de l’armée russe, des travaux avec des ONG européennes, etc. Le pic de ce type de publications a eu lieu en 2015 et 2016.

Il est également significatif de voir que ces documents sont intercalés d’études analogues dédiées aux organisations terroristes et aux groupes extrémistes. Ce séquençage est monté de manière délibérée, afin d’induire dans le subconscient des groupes cibles et des visiteurs occasionnels du centre l’existence d’un lien existant entre les deux groupes.

L’utilisation de publications partenaires, récupérées auprès d’autres entités comme la RAND Corporation, le Centre d’études stratégiques et internationales situé à Washington, l’Institut britannique royal aux affaires internationales (Chatham House), ainsi que les centres scientifiques de l’OTAN dans différents pays donne une apparence de confiance et d’intérêts partagés, et contribue à stimuler le contenu du site.

Intéressant également que le centre lui-même ait été établi à la veille du coup d’État en Ukraine, alors que le pays était déjà pris dans les manifestations soutenues depuis l’étranger.

Outre leurs domaines d’expertises, les trois centres constituent en même temps des éléments du réseau de l’OTAN et des points d’appui qui sécurisent l’influence idéologique et sociale [de l’OTAN, NdT] sur les habitants de leurs pays hôtes.

Cet article est traduit depuis la version anglaise, elle-même traduite par Julian Orlov depuis sa version originale en russe

Traduit par Vincent, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone

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