Les narrations sont devenues des missiles de croisière intelligents : dites “l’Iran n’est pas une menace pour l’Amérique” ; dites “les Etats-Unis devraient cesser de recevoir des instructions de l’AIPAC” – et un missile narratif tombera du ciel, vous pulvérisant.
Par Alastair Crooke – Le 26 juillet 2021 – Source Al Mayadeen
Vieux, absurdes et inadaptés – comment décrire autrement les récits de politique étrangère de l’Amérique en ce qui concerne le Russiagate, mais plus particulièrement l’Iran ? Les ambitions nucléaires de l’Iran constituent une “menace” ; l’Iran est un “acteur malveillant”, qui sape l’ordre fondé sur des règles, et sa nature est faite de “tromperie et de mensonge”.
Pourtant, l’équipe Biden souhaite un accord avec Téhéran.
Il existe une contradiction évidente entre la narration américaine et l’intérêt actuel des États-Unis à s’engager avec l’Iran. Alors pourquoi Washington s’en tient-il à ces narrations qui sont si manifestement inadaptées ? Pourquoi tout est figé sur des récits anciens et absurdes de l’ère Obama, établis par des faucons néoconservateurs ? Ils entravent la marge de manœuvre de l’Amérique.
Le journaliste américain Matt Taibbi donne une réponse : les États-Unis sont enfermés dans un échange intérieur mortel de “missiles” narratifs intelligents ; l’argumentation ou la stratégie rationnelles sont “exclues”. Quiconque sort la tête de la “tranchée narrative” sera éliminé. La sécurité est dans le récit.
Taibbi écrit :
Voici ce que nous faisons maintenant, au lieu d’argumenter : nous lançons des termes comme “suprémaciste blanc”, “transphobe”, “théoricien du complot” et “fasciste”, sachant que si les mots collent, ils mènent à des résultats : boycotts, licenciements, retrait des plateformes Internet, etc. Lorsque [une personnalité éminente est comparée – disons – à] Alex Jones, ils le font, sachant que Jones a été expulsé d’Internet – c’est donc une façon pas si subtile de voter pour ce même résultat.
C’est devenu notre style d’argumentation politique : asséner à quelqu’un une accusation à laquelle on ne peut pas répondre, puis, comme le dirait Lyndon Johnson, “faire en sorte que ce fils de pute la nie”.
C’est pourquoi tant d’efforts ont été déployés pour dénoncer l'”anxiété économique” comme un “code” pour le racisme, pourquoi Hillary Clinton a accusé Jill Stein et Tulsi Gabbard d’être des agents étrangers… Ce sont toutes des stratégies de préparation au débat. Lorsque Clinton s’en est pris à Gabbard, nous avons cessé de discuter pour savoir si l’intervention militaire en Syrie était une bonne idée ou non, et nous sommes passés à un débat pour savoir si Gabbard était complice d’un génocide. Dès le début, les détracteurs du Russiagate ont dû déterminer leur degré de motivation car ils allaient être accusés de soutenir Poutine ou Trump… Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ? Combien pouvez-vous vous permettre d’en prendre ?
C’est devenu la norme, surtout dans la politique du parti Démocrate (mais aussi plus récemment du côté Républicain), d’embrasser cette forme maximaliste de débat au motif qu’elle fonctionne. Le retrait des plates-formes fonctionne, les boycotts fonctionnent, la honte fonctionne. Les deux partis l’ont fait, et le font encore aujourd’hui, sous une forme exacerbée : les Républicains de l’ère Bush parlaient du libéralisme comme d’un “trouble mental”, voire d’une “trahison”. Aujourd’hui, les Républicains sont considérés comme la première “menace pour la sécurité nationale de la démocratie américaine”. Cette polarisation radicale n’inclut volontairement aucune vision pour l’autre moitié de l’Amérique – sauf une abjuration digne d’un autodafé, ou une carrière menée au bûcher.
La version la plus puissante, qui prévaut aujourd’hui chez les Démocrates, cherche à mettre en place une politique de non-engagement woke (ou d’annulation) – avec un bâton “raciste”/suprémaciste/“autre” privilégié, en utilisant des outils supplémentaires tels que la censure des plateformes et la surveillance nationale.
Les narrations sont devenues des missiles de croisière intelligents : dites “l’Iran n’est pas une menace pour l’Amérique” ; dites “les États-Unis devraient cesser de recevoir des instructions de l’AIPAC“ – et un missile narratif tombera du ciel, vous pulvérisant.
“L’Iran peut se plier aux exigences de négociation des États-Unis ; l’Iran peut se conformer au JCPOA ; il peut se soumettre aux inspections renforcées de l’AIEA“ – rien ne changera. Le discours restera verrouillé. L’Iran restera une “menace”.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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