Le sénat américain ouvre les vannes … pour inonder les marchés


La Loi pour la stimulation de l’économie votée par le Sénat étasunien. Pourquoi ce ne sera pas suffisant


Par Dr Jack Rasmus − Le 25 mars 2020 − Source Global Research

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Juste après minuit le 25 mars 2020, heure de la côte Est, le Sénat étasunien a adopté un projet de Loi de compromis sur les dépenses fiscales pour faire face à l’accélération du déclin économique. Les dirigeants Démocrates et Républicains du Sénat sont convenus des conditions. La présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, a indiqué qu’elle précipiterait l’approbation du paquet fiscal pour obtenir un vote unanime de la Chambre des représentants.

Voici à quoi ressemblent les termes du plan de stimulation, selon les premiers résumés du Washington Post et de CNN publiés dans les minutes qui ont suivi l’adoption du projet de loi :

Les ménages de la classe moyenne et les travailleurs recevraient $500 Mds, dont $250 Mds sous forme de chèques directs et $250 Mds sous forme d’augmentation des prestations d’assurance-chômage pour les quatre prochains mois.

Les sociétés multinationales et autres entreprises obtiendraient ainsi $867 Mds, dont $367 Mds pour les petites entreprises, et $500 Mds pour les grandes sociétés comme les compagnies aériennes, les compagnies de défense, les croisiéristes, les hôtels et d’autres sociétés.

Un financement supplémentaire de $130 Mds irait aux hôpitaux pour leur permettre d’acheter les fournitures médicales nécessaires. L’État et les gouvernorats locaux obtiennent $150 Mds. D’autres fonds seraient fournis par la SBA (Administration des petites entreprises — Small Business Administration) du gouvernement, $10 Mds pour les aider à rembourser leurs dettes. Une référence est également faite dans le paquet à un autre plan de sauvetage agricole de $20 Mds, portant le total des dépenses à ce jour pour la guerre commerciale sino-étasunienne de $30 Mds à $50 Mds. Bien qu’il semblerait que les $130 Mds pour les hôpitaux et les $150 Mds pour les gouvernorats locaux s’ajoutent aux $867 Mds pour les entreprises et aux $500  Mds pour les ménages, nous ne savons pas clairement si le renflouement agricole de $20 Mds et le SBA supplémentaire de $10 Mds sont inclus dans les $867 Mds ou pas.

Voici un détail supplémentaire sur la répartition de ces montants :

 1. $500 Mds aux entreprises

Les compagnies aériennes obtiennent les $58 Mds pour lesquels elles ont fait du lobbying. Et les dépannages antérieures nous ont appris qu’environ la moitié des $58 Mds prendront la forme de subventions directes aux compagnies aériennes ; le reste prendra la forme de prêts. Il est également difficile de savoir si les prêts seront «annulés» dans six mois, comme cela avait été proposé dans les versions précédentes du projet de loi du Sénat.

Un autre $17 Mds – sur les $500 Mds – sera réservé aux entreprises de défense considérées comme importantes pour la sécurité nationale. Aucun détail n’est dévoilé sur leur identité et pourquoi celles-ci, qui ne sont pas affectées par la demande des consommateurs, devraient recevoir une telle somme. Peut-être pour rembourser l’argent qui leur a été demandé par Trump pour aider à payer son mur.

Trump a également indiqué qu’il avait l’intention de consacrer une partie des $500 Mds aux croisiéristes et aux hôtels qui, avec les compagnies aériennes, sont essentiels pour les affaires de sa propre entreprise.

Le reste des $500 Mds est destiné aux dépenses pour soutenir d’autres industries. Que ce soit sous forme de prêts, de subventions ou d’autres formes d’aide, on ne sait toujours pas.

2. $367 Mds aux petites entreprises

Le projet de loi du Sénat comprenait toujours $350 Mds de prêts aux petites entreprises, et une disposition selon laquelle les prêts se transformeraient en subventions directes s’ils étaient utilisés pour payer les salaires et les charges sociales. Il ne sera pas nécessaire d’avoir une comptabilité sophistiquée pour masquer l’utilisation des $350 Mds, destinés à couvrir les salaires et les compensations – les charges sociales, etc. -, en transfert vers d’autres domaines de leurs comptes de résultats. Considérez donc les $350 Mds de dollars comme de l’argent qui ne sera pas remboursé, c’est-à-dire que ce ne sont pas des prêts.

En plus des $350 Mds$17 Mds supplémentaires sont désormais ajoutés pour les petites entreprises afin de couvrir les intérêts sur leurs prêts existants pendant six mois. Enfin, il y a les $10 Mds de la SBA pour aider à payer les dettes, qui peuvent ou non faire partie des autres totaux, le flou subsiste.

Ajoutez les $20 Mds pour le soutien agricole, les $10 Mds de la SBA et les $130 Mds aux hôpitaux, cela signifie que dans le nouveau plan de relance convenu entre le Sénat et la Chambre des Représentants, les grandes et petites entreprises obtiennent ainsi $1 027 Mds d’assistance directe du gouvernement.

Un autre point demandé par les Démocrates, et qu’ils ont obtenu en partie, était un Conseil de surveillance pour examiner comment les grandes sociétés et entreprises dépensent réellement l’argent du gouvernement. En 2009, dans la précédente législation de reprise économique d’urgence, une grande partie de l’aide directe était «gérée» par les entreprises qui l’avaient reçue. Certaines l’avaient même utilisé pour racheter leurs actions et attribuer des primes à leurs dirigeants. Le Conseil de surveillance est censé empêcher cela. Mais on verra. Celui qui sera choisi pour gérer le Conseil fera toute la différence. Cela peut laisser supposer que le Sénat ou Trump le feront. Comme Trump l’a déclaré publiquement lorsqu’on lui a demandé qui «superviserait» la distribution des fonds aux entreprises, il a répondu «Je serai le surveillant».

Les familles de la classe moyenne et les travailleurs obtiennent un total de $500 Mds selon l’accord, ce qui était déjà le cas avant la crise de la Covid-19. L’argent semble-t-il aurait été «réaffecté».

3. Aide directe en espèces aux ménages

Concernant l’allocation de $3 000 par ménage, le chèque est maintenant passé à $1 200 pour un célibataire et $2 400 pour un couple marié, auquel s’ajoutent $500 par enfant. On ne sait pas si c’est pour tous les enfants d’une famille ou limité à deux.

Pour obtenir l’aide complète de $1 200/$2 400, une personne ne doit pas gagner plus de $75 000 par an. Les revenus supérieurs à $75 000 voit l’aide diminuer progressivement jusqu’aux plafond de $99 000, après quoi aucune aide n’est attribuée. Pour les couples, le plafond est de $199 000 par ménage.

4. Augmentation des prestations d’assurance-chômage

Le forfait comprend une augmentation de $600 du niveau défini des prestations de chômage versées par l’État local – qui varient considérablement d’un État à l’autre. Mais il n’est pas dit clairement si les $600 s’ajoutent aux indemnités les plus élevées payées par l’État ou s’ils le sont à tous les niveaux d’indemnités. Par exemple, en Californie, le paiement maximum est de $450 par semaine. Le nouveau paiement passerait donc à $1 050 par semaine. Mais ceux qui reçoivent moins de $450 recevront-ils également $600 ?

Un avantage de l’assurance chômage est qu’elle s’appliquera également au travail intérimaire : c’est-à-dire au temps partiel, à l’intérim, au travail au contrat et pas seulement aux employés à temps plein qui sont licenciés suite aux fermetures d’entreprises ayant pour cause l’effet virus.

Le côté négatif est que toutes ces améliorations de l’assurance-chômage ne dureront que quatre mois.

Il est donc clair que les familles de la classe moyenne ne recevront que les $500 Mds qui leur étaient déjà alloués auparavant – $250 Mds sous forme d’espèces et un autre $250 Mds de prestations chômage améliorées pendant quatre mois. Il semble qu’une partie de l’aide en espèces aient été réorientée vers l’amélioration des prestations d’assurance-chômage, mais aucune augmentation nette du total de $500 Mds sur la table des négociations par rapport à précédemment.

En d’autres termes, dans le projet de loi de relance final, les entreprises reçoivent plus du double que les ménages et la classe ouvrière !

5. Gouvernements Fédéral et locaux

Un montant supplémentaire de $150 Mds est alloué dans le projet de loi pour aider les gouvernements locaux.

Récapitulation

Le total des dépenses semble donc s’élever à environ $1 650 Mds ! Il est censé provoquer un effet de relance de $2 000 Mds et une augmentation du PIB étasunien dans son ensemble. Comme le conseiller de Trump, Larry Kudlow l’a déclaré lors d’une occasion précédente, les $2 000 Mds représentent les dépenses plus «l’effet multiplicateur». Les $2 000 Mds ne sont donc pas les dépenses réelles. Celles-ci sont estimées à $1 650 Mds. La différence est un effet multiplicateur d’environ $400 Mds.

Mais c’est une estimation généreuse du multiplicateur. Il est basé sur des conditions économiques normales. Et l’effondrement actuel de l’économie étasunienne réelle et financière est tout sauf normal. Le multiplicateur sera donc beaucoup moindre. En effet, une grande partie des dépenses du gouvernement fédéral, tant pour les entreprises que pour les ménages, sera utilisée pour rembourser la dette, thésauriser l’argent en raison des attentes de bénéfices futurs et de l’insécurité de l’emploi, ou pour couvrir la flambée des prix pratiquée par les entreprises vendant des produits de première nécessité.

L’économie étasunienne dépense chaque mois l’équivalent de $1 700 Mds. Le plan de relance du Sénat représente donc au mieux un mois de dépenses ! Comme cet auteur l’a fait valoir ces derniers jours, le stimulus nécessaire pour passer l’été devra être de $4 000 Mds, et non de $1 650 Mds.

Les $2 000 Mds (dépenses+multiplicateur) sont actuellement estimés à environ 9% du PIB étasunien. Une augmentation du PIB de 20% est nécessaire, ce qui fait passer les dépenses publiques totales en termes de PIB de 21% actuellement à 40%.

Ce ration de 40% du PIB a été prélevé pour les dépenses du gouvernement étasunien en 1942, lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait là d’une augmentation de 15% par rapport à l’avant-guerre. Si la lutte contre le nouvel ennemi, le Covid-19, est une sorte de «guerre économique», alors les États-Unis devront à nouveau mobiliser leur économie et la mettre sur le pied de guerre. L’activation par Trump du War Production Act, puis ne rien faire d’autre par la suite, n’est pas une mobilisation de guerre. Trump n’est pas un «président de guerre», comme il le prétend. En effet, il a permis à l’ennemi de pénétrer réellement sur notre sol et de se propager parmi nous en retardant l’arrêt des voyages en avion et des croisières. Ce n’est pas un hasard si les plus grandes concentrations d’infections virales se trouvent dans nos ports et aéroports côtiers — l’État de Washington, la Californie, New York, et de plus en plus la Nouvelle-Orléans, Philadelphie, Chicago et Miami.

 Trump comme «président de guerre» et autres fictions

Contrairement à nos précédents présidents de guerre, Roosevelt et Truman, Trump ne mobilise pas la production et la distribution de ressources et de fournitures clés pour combattre l’ennemi. Il demande simplement au secteur privé de le faire et donne ensuite ses «arguments de vente» quotidiens lors de conférences de presse nationales pour dire ce qu’il fait alors qu’il ne le fait pas réellement. Les fournitures de guerre – masques, respirateurs, EPI – sont promises mais tardent à apparaître, si jamais cela se fait.

La question se pose alors de savoir si l’actuel projet de loi de relance du Sénat et de la Chambre des Représentants est un stimulant suffisant pour protéger l’économie étasunienne. La réponse est non. Ce n’est même pas la moitié de l’aide qui serait nécessaire à l’homme de la rue.

En revanche, la Réserve fédérale, la banque centrale étasunienne, a rapidement alloué, jusqu’à ce jour, pas moins de $6 200 Mds pour renflouer les banques et les investisseurs, cette fois ci avant même qu’ils ne s’effondrent. Elle promet de faire plus si nécessaire et aussi longtemps que nécessaire. C’est rédiger un chèque en blanc pour les banquiers et les investisseurs.

Pendant ce temps, le Congrès en fournit un quart, et seulement un tiers de ce quart, pour l’homme de la rue, les travailleurs et les familles de la classe moyenne.

Enfin, il ressort clairement des déclarations de Trump de ces derniers jours qu’il a parfaitement conscience que cette relance de l’économie n’est qu’une bouffée d’air d’un mois. C’est pourquoi lui – et les investisseurs capitalistes qui ont exercé de fortes pressions sur lui la semaine dernière – lancent le message que nous devrions tous recommencer à travailler à la mi-avril.

Comme le dit Trump, le moment est «beau», à Pâques. Mais ce ne sera pas si beau quand une nouvelle flambée d’infections et de décès surviendra au début de l’été.

Mais les profits et l’argent sont plus importants pour ce bonimenteur, spéculateur immobilier, commercial capitaliste à la Maison Blanche. Avec le déficit budgétaire étasunien de cette année dépassant presque certainement les $3 000 Mds, et les élections imminentes, Trump et ses amis considèrent Wall Street et les intérêts commerciaux étasuniens comme plus importants que l’augmentation du taux de mortalité qui est inévitable si nous retournons au travail avant la mi-avril. Une telle action submergera, sans aucun doute, le système hospitalier étasunien, entraînant un taux de mortalité encore plus élevé et un effondrement encore plus important de l’économie et du système financier étasunien par la suite.

Trump peut penser qu’il est en guerre contre le coronavirus, mais c’est le virus qui gagne ! Et son incompétence stratégique aide et encourage cet ennemi. Malheureusement, le public étasunien — et en particulier les personnes âgées et les infirmes — deviennent de la «chair à canon» dans la guerre bidon de Trump.

Dr. Jack Rasmus

Traduit par Alexandre Moumbaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone

Note du Saker Francophone

Pour discréditer définitivement la posture de ceux qui tiennent le discours - imposteur - sur l'état de guerre, dans lequel nous mettrait le Covid-19, à commencer par notre général président Gamelin et sa ligne Maginot mentale, il suffit de remarquer que, d'une part, une guerre peut toujours s'arrêter suite à une négociation ou à la reddition d'un des protagonistes - évidemment l'homme en l'espèce, et d'autre part que lors d'une vraie guerre, les bistrots, restaurants, boîtes de nuit et autres lieux de réjouissance, restent ouverts !
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