Par Robert Fisk – Le 15 novembre 2016 – Source CounterPunch
Des foutaises prévisibles seront proférées sur Trump et le Moyen-Orient. Comment le monde musulman peut-il traiter avec un islamophobe ? Car c’est bien ce qu’est Trump. Il est une honte pour son pays et pour son peuple – qui, grands dieux, a élu le bonhomme.
Mais voici une pensée apaisante. Le prestige américain dans la région est tombé si bas, la croyance du monde arabe (et peut-être même la croyance israélienne) dans le pouvoir américain est si brisée par la stupidité et l’ineptie de Washington, que je soupçonne plutôt peu d’attention accordée à Donald Trump.
Je ne suis pas tout à fait sûr que le respect de la gouvernance américaine a commencé à s’effondrer. Elle était certainement à son apogée quand Eisenhower a dit aux Britanniques, aux Français et aux Israéliens d’évacuer le canal de Suez en 1956. Peut-être que Ronald Reagan, mélangeant ses notes, et prenant sa présidence dans les premiers stades de la maladie d’Alzheimer, a eu un effet plus grand que nous ne le pensions. Une fois, j’ai rencontré un diplomate norvégien qui s’est assis avec Reagan pour parler d’Israël et de la Palestine, et s’est retrouvé devant un vieillard citant un article sur l’économie américaine. La paix de Bill Clinton au Moyen-Orient n’a certainement pas aidé.
Je pense que c’est George W. Bush qui a décidé d’attaquer l’Afghanistan, même si aucun Afghan n’avait jamais attaqué les États-Unis, et qui a créé un État musulman chiite en Irak dans un État musulman sunnite – au grand dégoût de l’Arabie saoudite – qui a fait plus de mal que la plupart des présidents américains à ce jour. Les Saoudiens – d’où venaient 15 des 19 tueurs impliqués dans le 11 septembre – ont lancé leur guerre contre le Yémen, sans trop se soucier de Washington.
Et Obama semble n’avoir fait, à chaque fois, que des gaffes au Moyen-Orient. Il vaut mieux oublier sa «poignée de main» à l’islam au Caire, son prix Nobel (pour avoir parlé en public), sa «ligne rouge» en Syrie – qui a disparu dans le sable au moment où il a été sauvé par les Russkoffs. Ce sont les Soukhoïs et les Migs de Vladimir Poutine, qui battent la mesure dans la terrible guerre syrienne. Et dans des contrées où les droits de l’homme ne comptent pas pour la plupart des dictateurs, le Kremlin n’a guère fait de détails. Poutine a même été accompagné à l’opéra du Caire par le Maréchal président Al-Sisi.
Et tout est là. Poutine parle et agit. En fait, en traduction du moins, il n’est pas terriblement éloquent, plus homme d’affaires que politicien. Trump parle. Mais peut-il agir ? Mettez de côté la relation étrange que Trump pense qu’il a avec Poutine. C’est Trump qui va avoir besoin d’une traduction des mots de Poutine, pas l’inverse. En fait, les Arabes et les Israéliens, je pense, passeront beaucoup plus de temps pendant la présidence Trump à écouter Poutine. Car le fait est que les Américains se sont avérés non fiables et inconstants au Moyen-Orient, comme l’était la Grande-Bretagne dans les années 1930.
Même le bombardement américain contre ISIS n’a pas vraiment commencé avant que Poutine n’ait envoyé ses propres chasseurs-bombardiers en Syrie – à ce sujet-là, de nombreux Arabes se demandent pourquoi Washington n’a pas réussi à détruire la secte. Revenons aux révolutions arabes – ou printemps, comme les Américains les appelaient pathétiquement – et vous voyez Obama et son secrétaire d’État malheureux (oui, Hillary) faire de nouvelles gaffes, ne comprenant pas que ce réveil public massif dans le monde arabe était réel et que les dictateurs allaient partir – la plupart d’entre eux, du moins. Au Caire en 2011, la seule décision prise par Obama a été d’évacuer les citoyens américains de la capitale égyptienne.
Il est facile de dire que les Arabes sont consternés qu’un islamophobe ait remporté la Maison Blanche. Mais pensaient-ils qu’Obama ou l’un de ses prédécesseurs – démocrate ou républicain – avait une préoccupation particulière pour l’islam ? La politique étrangère américaine au Moyen-Orient a été une série spectaculaire de guerres, de raids aériens et de retraits. La politique russe – pendant la guerre du Yémen, à l’époque de Nasser et en Afghanistan – a été assez destructrice, mais l’État post-soviétique semble avoir rentré ses griffes jusqu’à ce que Poutine envoie ses hommes en Syrie.
Sans aucun doute, Trump se retrouvera au Moyen-Orient avant longtemps, pour flagorner devant les Israéliens et répéter le soutien infaillible de l’Amérique à l’État israélien, et pour assurer aux riches autocrates du Golfe que leur stabilité est assurée. Ce qu’il dit au sujet de la Syrie sera, bien sûr, fascinant, compte tenu de ses vues sur Poutine. Mais peut-être qu’il laissera juste la région à ses laquais, aux secrétaires d’État et aux vice-présidents qui devront deviner ce que ce type pense réellement. Et c’est, bien sûr, où nous en sommes tous maintenant. Qu’est-ce que Trump pense ? Ou, plus précisément, pense-t-il ?
Robert Fisk
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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