Le meurtre du journaliste saoudien à l’ambassade d’Arabie Saoudite en Turquie.


Qui s’en soucie vraiment ?


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 10 octobre 2018

Il ne fait aucun doute que le gouvernement saoudien a enlevé ou tué le journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Mais que savait l’administration Trump de la menace qui pesait sur Khashoggi ? Les services de renseignements américains l’ont-ils averti comme l’exige leur règlement ? Un tel avertissement a-t-il été bloqué par la Maison-Blanche ? Et que fera Trump à propos de cette affaire ?

Le gouvernement turc a publié des photos de 15 hommes venus d’Arabie saoudite qui sont arrivés au consulat saoudien d’Istanbul peu avant que Khashoggi ne s’y rende pour obtenir ses papiers de divorce. Ils ont transféré Khashoggi à la résidence du consul et, plus tard dans la journée, ils ont embarqué dans les mêmes deux jets privés saoudiens qui les avaient amenés à Istanbul.

Au moins 8 des 15 hommes ont été identifiés comme étant des militaires saoudiens. Au moins trois sont des gardes du corps du prince clown saoudien Mohammad bin Salman(MbS). Il est donc évident que c’est le prince clown lui-même qui a donné l’ordre de l’opération. Salah Muhammed Al-Tubaigy, chef de l’institut médico-légale au Département saoudien de la Sûreté générale, faisait partie du groupe de 15 personnes.

Des sources turques anonymes affirment que Khashoggi a été tué, son corps découpé en morceaux et emmené. Ils prétendent même qu’il existe une vidéo du meurtre :

Le fonctionnaire a décrit une opération rapide et complexe au cours de laquelle M. Khashoggi a été tué dans les deux heures suivant son arrivée au consulat par une équipe d’agents saoudiens, qui ont démembré son corps avec une scie à os apportée à cette fin.
« C’était comme dans « Pulp Fiction », a dit le fonctionnaire.

Erdogan a été informé des conclusions samedi, selon plusieurs personnes ayant eu connaissance des séances d’information, et il a depuis lors dépêché des fonctionnaires pour informer anonymement une myriade de médias, dont le New York Times, que Khashoggi avait été tué au consulat saoudien.

Une autre personne au courant de l’affaire, s’exprimant sous couvert de l’anonymat pour divulguer des détails confidentiels, a déclaré samedi au Times que les services de renseignement turcs avaient obtenu une vidéo du meurtre, réalisée par les Saoudiens pour prouver que le meurtre avait bien été exécuté.
Un commentateur proche du gouvernement de M. Erdogan l’a dit publiquement mardi.
Kemal Ozturk, chroniqueur dans un journal pro-gouvernemental et ancien directeur d’une agence de presse semi-officielle, a déclaré dans une interview accordée à une chaîne de télévision pro-gouvernementale, citant des responsables de la sécurité non identifiés, « que le moment de sa mort a été filmé ».

Il n’est pas étonnant qu’Erdogan pousse cette histoire de ‘Pulp Fiction’. Ses troupes protègent le Qatar d’une attaque saoudienne et le Qatar soutient l’économie turque avec des investissements de plusieurs milliards de dollars. Il y a aussi le vieil antagonisme ottomans contre arabes pour le leadership au Moyen-Orient.

Mais pourquoi les Saoudiens tueraient-ils Khashoggi ? Pourquoi ne pas le droguer, le transporter à l’aéroport et le ramener à Riyad en tant qu’« urgence médicale » ? Pourquoi ne pas le mettre dans une grande caisse et le transporter comme bagage diplomatique privilégié ? Si les Saoudiens avaient l’intention de tuer Khashoggi, ils auraient pu engager un type pour le tuer dans la rue. Cela aurait été une opération beaucoup plus simple et beaucoup moins suspecte.

Tuer Khashoggi dans un consulat officiel n’a aucun sens ; à moins que MbS n’ait pour but cette indignation publique actuelle. Est-ce un avertissement à tous ses ennemis ? Est-ce pour démontrer qu’il peut s’en tirer même en faisant n’importe quoi ?

Le Washington Post rapporte que le gouvernement américain savait que Khashoggi était en danger :

Avant la disparition de Khashoggi, les services de renseignements américains ont intercepté des communications de responsables saoudiens discutant d’un plan pour le capturer, selon une personne au courant de l’information. Les Saoudiens voulaient attirer Khashoggi en Arabie saoudite et le choper là-bas, a déclaré cette personne. On ne sait pas si les Saoudiens avaient l’intention d’arrêter et d’interroger Khashoggi ou de le tuer, ou si les États-Unis avaient averti Khashoggi qu’il était une cible, a-t-elle ajouté.

Si les services de renseignement américains étaient au courant du danger pour Khashoggi, la Directive 191 – Obligation d’avertir (pdf) aurait dû être appliquée :

Un membre des services de renseignement qui recueille ou acquiert des informations crédibles et précises indiquant une menace imminente de meurtre intentionnel, de blessure corporelle grave ou d’enlèvement visant une personne ou un groupe de personnes (ci-après dénommée « victime visée ») a le devoir d’avertir la victime visée ou les personnes chargées de protéger la victime visée, le cas échéant. Cela comprend les menaces lorsque la cible est une institution, un lieu d’affaires, une structure ou un emplacement. L’expression  » victime visée  » comprend à la fois les citoyens étatsuniens, au sens de l’article 3.5(k) du Décret no 12333, et les personnes non étatsuniennes.

Lis clairement, ICD 191 prévoit que les services de renseignements américains auraient dû avertir Khashoggi de la menace saoudienne. L’ont-ils fait ou pas ?

Il y a quelques exceptions dans la directive qui permettent de ne pas avertir. Si l’information provient d’un service de renseignement ami, la protection des sources et des méthodes a priorité sur l’avertissement (point E.3.e. du règlement).

Si les services de renseignements américains avaient obtenu l’information par l’intermédiaire du GHCQ britannique, un avertissement à Khashoggi aurait pu révéler que le GHCQ a mis sur écoute tous ces téléphones Cisco que la famille royale saoudienne affiche si fièrement. Mais il y avait peu de danger qu’un avertissement à Khashoggi révèle quoi que ce soit. Les Saoudiens s’attendent certainement à ce que les services de renseignements américains, britanniques et autres écoutent même leurs communications privées.

Il peut y avoir eu d’autres raisons de ne pas avoir averti. Jared Kushner, le gendre de Trump et assistant principal, entretient de bonnes relations personnelles avec MbS. En mars, The Intercept rapportait que, selon MbS, Kushner lui avait révélé des données du renseignement américain concernant les ennemis intérieurs de MbS.

Après la réunion, le prince héritier Mohammed a déclaré à des personnes de confiance que Kushner avait révélé des noms de Saoudiens déloyaux envers le prince héritier, selon trois sources qui ont été en contact avec des membres des familles royales saoudienne et émiratie depuis la répression.

Cette réunion a eu lieu fin octobre 2017. Environ une semaine plus tard, le prince clown saoudien a incarcéré des centaines de ses riches parents et d’autres milliardaires saoudiens à l’hôtel Ritz à Riyadh et les a contraints à remettre leurs biens.

Kushner n’a évidemment pas hésité à dénoncer les personnes qui ont critiqué MbS en privé.

(En février 2018, Kushner a perdu l’accès aux séances d’information de sécurité de haut niveau parce que son habilitation de sécurité provisoire a été révoquée. C’était peut-être la vengeance de l’État pour son indiscrétion. Kushner a finalement obtenu une nouvelle autorisation complète en mai.)

Ne pas prévenir Khashoggi pourrait bien être une décision de la Maison-Blanche. La politique de l’administration Trump est de ne pas défier ses alliés sur les questions de droits de l’homme. Le département d’État a même produit une note de service expliquant que la critique des droits de l’homme ne s’applique qu’aux  » ennemis «  des Etats Unis.

Si les Saoudiens veulent attraper Khashoggi, la Maison-Blanche a très bien pu penser « pourquoi ne pas le laisser faire » ?

La politique étrangère de Trump dépend de ses bonnes relations avec les Saoudiens :

L’administration de Trump, depuis le bas de l’échelle jusqu’au président, est fortement investie dans les relations avec l’Arabie saoudite. Robin Wright, un chercheur du groupe de réflexion du Wilson Center et ami proche de l’écrivain disparu, a déclaré que cela ne changera probablement pas. Le programme de l’administration pour le Moyen-Orient dépend fortement des Saoudiens, y compris les efforts pour contrer l’influence iranienne dans la région, combattre l’extrémisme et renforcer le soutien à son plan de paix entre Israël et les Palestiniens, plan de paix qui n’est pas encore public.

Les dirigeants turcs et qatariens ainsi que leurs médias font de leur mieux pour propager l’affaire et faire monter la rage contre le régime saoudien. Le Washington Post, pour lequel Khashoggi écrivait, ne lâchera sûrement pas l’affaire. D’autres médias et journalistes  » occidentaux «  sont également furieux de cette affaire. Khashoggi était l’un d’entre eux et l’élite aristocratique, comme elle se voit elle-même, ne mérite pas un tel sort.

MbS et le régime Trump peuvent-ils vraiment rester les bras croisés et ne pas répondre aux demandes de rétorsions concernant cette affaire ?

C’est bien possible. Après tout, personne ne conteste l’alliance américano-saoudienne qui tue quotidiennement au Yémen et ailleurs. Si les Saoudiens ont enlevé Khashoggi, et fournissent des preuves qu’il est vivant, l’indignation des médias s’atténuera bientôt. Si le gouvernement turc publie la vidéo du meurtre qu’il prétend avoir, cela ne prendra qu’un peu plus longtemps avant que d’autres informations ne fassent la une des journaux et fasse oublier celle-là.

Il n’y a aucune raison réelle pour que MbS, ou Trump, s’en soucie.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

 

 

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