Par Omar Kami – le 1er octobre 2018 – Source Chronique de Palestine
Ce mois-ci a été marqué par le 25e anniversaire du début des accords d’Oslo et de la signature de la Déclaration de principes à Washington en 1993.
Les accords ont été présentés comme le seul moyen de parvenir à une paix durable entre Palestiniens et Israéliens, une paix fondée sur les « principes » de reconnaissance mutuelle et de « terre contre paix ».
Grâce à ces accords, les Palestiniens devaient finir par jouir de la liberté et de l’autodétermination sur leur propre territoire. Ce que serait exactement ce territoire du point de vue du droit, quel serait le statut de Jérusalem et ce que deviendraient les réfugiés palestiniens, tous ces points devaient être discutés et résolus au cours des cinq années de négociations prévues à cet effet, avec comme date butoir 1998.
On espérait qu’au cours de cette période, se développerait une confiance mutuelle assez forte pour engendrer un mouvement irrésistible vers la signature d’un règlement définitif sans retour en arrière possible.
Loin de produire ce résultat, les accords d’Oslo se sont avérés n’être qu’un stratagème.
Manœuvres et faux-fuyants
La partie négociation des Accords constituait le principal problème. Le processus des négociations a été délibérément mis en place sans que l’on sache à quoi ressemblerait un accord final. De cette façon, les deux camps pourraient prétendre qu’ils ne trahissaient pas les principes fondamentaux. C’est ce qu’on a appelé l‘« ambiguïté constructive », une expression qui laissait croire que les faux-fuyants sur les questions fondamentales permettraient de mieux préparer l’opinion publique aux « compromis douloureux » qu’il faudrait faire.
Mais ce n’était qu’un artifice qui n’a profité qu’au camp le plus fort.
Les deux camps avaient été très clairs sur leurs objectifs. L’Organisation de libération de la Palestine – qui n’a obtenu qu’une seule des choses mentionnées dans la Déclaration de principes : sa reconnaissance officielle comme représentante des Palestiniens – voulait un État pleinement souverain sur tout le territoire de la Cisjordanie et de Gaza occupé par Israël en 1967, avec seulement quelques ajustements territoriaux mineurs sur une base égalitaire.
Avec Jérusalem-Est comme capitale.
En ce qui concerne le droit au retour des réfugiés, l’OLP a toujours été plus malléable ; elle était prête à accepter une « juste solution », et sa position est devenue de plus en plus conciliante au fil du temps.
Israël était tout aussi clair : il ne voulait pas entendre parler d’un État palestinien, seulement d’autonomie. Israël voulait conserver la grande majorité des colonies de peuplement existantes, et le contrôle des frontières internationales, de l’espace aérien et des ressources en eau, tout cela étant considéré comme des enjeux de sécurité nationale.
Jérusalem resterait « la capitale éternelle et indivisible d’Israël », et la seule mention d’un droit au retour des réfugiés palestiniens était inacceptable.
L’ambiguïté constructive signifiait également que, si les deux camps étaient libres d’affirmer leurs priorités respectives dans les médias, le document qu’ils signaient n’utilisait que le langage du plus petit dénominateur commun. En d’autres termes, la Déclaration de principes a été rédigée à partir des conditions posées par Israël.
Ainsi, il n’y est fait aucune mention d’un État palestinien ni de la souveraineté palestinienne ni des droits des réfugiés. Les questions de Jérusalem, des réfugiés et des frontières devaient faire l’objet de négociations et être résolues selon les recommandations de la Résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui parle d’un retrait israélien de « territoires occupés » (et non des territoires occupés, ce qui ne les définit pas clairement) et d’un « règlement juste » de la question des réfugiés, sans plus de précision.
Les Palestiniens, grands absents des négociations
En fait, les Accords ont légitimé l’occupation israélienne ; en acceptant des échanges de terres, l’OLP a donné foi à l’affirmation d’Israël que ces territoires étaient « contestés » plutôt qu’occupés.
En même temps, l’OLP a renoncé à son droit à la résistance armée. Cela a mis l’OLP, et les organisations qui la constituaient comme le Fatah, dans une situation ambiguë : ni État, ni mouvement de libération, elle était coincée quelque part au milieu, figée dans une « étape intérimaire » en échange de la promesse d’un « gouvernement intérimaire autonome ».
L’OLP s’est donc retrouvée presque entièrement à la merci du gouvernement israélien avec lequel elle négociait. Et, quel qu’il soit, ce gouvernement israélien ne s’intéressait évidemment qu’à son propre hinterland politique.
Le projet de colonisation illégale d’Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en est peut-être le meilleur exemple. Presque immédiatement après la signature de la Déclaration de principes, Israël s’est lancée dans un vol massif de terres pour consolider les colonies de peuplement dans tous les territoires occupés, en particulier autour de Jérusalem et dans la vallée du Jourdain.
Israël avait décidé de couvrir la Palestine de colonies depuis qu’il s’était emparé de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 – et même sans doute bien avant, comme cela a été démontré de manière convaincante. La seule décision que les décideurs politiques israéliens avaient encore à prendre au moment de la signature de la Déclaration de principes était celle de la meilleure méthode. Ils avaient le choix entre les plans militaro-sécuritaires d’Alon, de Drobless ou de Sharon, ou le plan du mouvement Gush Emunim (Bloc des fidèles) d’inspiration religieuse.
Les différences entre ces plans étaient minimes, c’était une question de perspective plutôt que de contenu.
Les premiers, les plans militaro-sécuritaires, garantiraient, avec des variantes, la souveraineté israélienne sur toutes les frontières, avec le renforcement de la frontière de la vallée du Jourdain par des colonies de peuplement sur une zone d’une vingtaine de kilomètres de profondeur, une Jérusalem unifiée entourée de colonies, et le contrôle de la majeure partie du désert de Judée, tout cela représentant environ 50 % du territoire occupé de la Cisjordanie. Pour mettre en application leur paradigme du « maximum de terres avec le minimum de Palestiniens », il fallait accorder aux Palestiniens la gestion contrôlée des zones à plus forte densité de population palestinienne.
Gush Emunim voulait construire des colonies partout, y compris à proximité des zones très peuplées de Palestiniens. Les colonies autour de Naplouse, par exemple, ont été initiées, d’abord en opposition avec le gouvernement israélien, puis avec sa permission, par ce mouvement de colons. Gush Emunim considère ces colonies comme l’emblème du droit historique et religieux du peuple juif sur la Palestine.
Quoi qu’il en soit, la question des colonies n’a jamais fait l’objet de négociations avec les Palestiniens. Il s’agissait d’une question purement interne à Israël qui devait être débattue entre ceux qui l’abordaient du point de vue de la sécurité et ceux qui la voyaient comme une priorité idéologique et religieuse. Ce débat a été à peine tempéré par la nécessité de garder Washington à bord, une entreprise qui a été facilitée par la suite par des concepts comme la « croissance naturelle », derrière laquelle Israël a dissimulé la consolidation et l’expansion des colonies.
La présence des Palestiniens à la table des négociations n’a eu aucune incidence. Ça aurait pu être la même chose s’ils n’avaient pas été là.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1993, il y avait quelque 255 000 colons en Cisjordanie occupée dans quelque 130 colonies. Fin 2016, il y en avait près de 600 000 répartis sur 200 colonies.
Une longue chute dans le désespoir
Le processus de paix a coupé l’herbe sous le pied à la première intifada, qui avait causé tant de problèmes à Israël. Rien n’avait plus nui à l’image de soi-même qu’Israël avait soigneusement diffusée dans le monde entier, à savoir celle d’un État menacé en permanence par un environnement hostile, que les photos de soldats israéliens brisant les bras et les jambes de manifestants palestiniens non armés.
Cette méthode de briser les os des Palestiniens avait été initiée sur l’ordre d’un certain Yitzhak Rabin, un homme qui, bien que responsable de la marche de la mort de Lydda en 1948, a réussi à se faire passer pour un homme de paix en devenant premier ministre, sans pour autant changer vraiment de position.
Les signes annonciateurs étaient clairs et certains ne s’y trompaient pas. Edward Saïd, qui a démissionné du Comité exécutif de l’OLP en signe de protestation, a dit textuellement que les Accords d’Oslo et le processus de paix consécutif se voulaient « un instrument de reddition palestinienne ».
Même les partisans du processus de paix, considéraient la position de l’OLP lors des négociations – se contenter de 22% de la Palestine historique et être prêt à négocier la nature et la forme du droit au retour des réfugiés – comme LE grand compromis. Il n’y avait pas, et il n’y a toujours pas, de marge de manœuvre, il ne restait quasiment plus rien à céder dans d’authentiques pourparlers.
Les Israéliens l’ont peut-être compris tout de suite et peut-être pas. Ça n’avait pas vraiment d’importance. Le déséquilibre du pouvoir entre les deux et l’approche tout aussi déséquilibrée de la médiation américaine signifiait qu’Israël négociait avec lui-même et – en de rares occasions – avec Washington. Ce que les Palestiniens voulaient n’avait pas vraiment d’importance.
Cela en a encore moins aujourd’hui, 25 ans plus tard. Le président américain Donald Trump et son administration ont clairement fait savoir que tout accord serait soumis aux conditions d’Israël, en rendant leur verdict sur Jérusalem et sur les réfugiés. Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a également dit clairement que quoi que ce soit que les Palestiniens finissent par obtenir dans la série « moins d’État, plus d’autonomie », ce ne serait pas la souveraineté et ce ne serait pas un État.
Pour entériner la reddition totale, il ne manque plus qu’une petite signature.
Traduction : Dominique Muselet
Initialement paru sur The Electronic Intifada