Le spectre déclinant de l’unité occidentale


Par Dmitry Orlov – Le 13 juillet 2022 – Source Club Orlov

Il est souvent possible de diagnostiquer les problèmes des gens en prenant note de ce qu’ils évoquent de façon répétitive et compulsive dans la conversation. Il s’agit généralement des objets d’un désir ardent qui leur font cruellement défaut dans la vie.

Par exemple, les Américains parlent souvent de manière compulsive des armes à feu, qu’ils considèrent comme un moyen d’assurer leur sécurité personnelle. C’est parce qu’ils manquent cruellement de sécurité personnelle : à tout moment, un maniaque fou armé jusqu’aux dents (il y en a des millions qui circulent librement parmi eux) peut venir les attaquer et les faire disparaître – pendant qu’ils dorment, qu’ils vont chercher leurs enfants à l’école, qu’ils sont assis sur les toilettes ou qu’ils se baissent pour ramasser un penny. Ils s’arment donc jusqu’aux dents et vivent dans un état de rage paranoïaque.

Autre exemple : Les dirigeants américains mentionnent compulsivement « la liberté et la démocratie ». Ce sont des choses qu’ils sont censés posséder et qu’ils doivent répandre sur le reste de la planète, que celle-ci le veuille ou non. Plus précisément, le reste de la planète ne devrait pas être autorisé à voter démocratiquement contre cette absurdité américaine de « liberté et de démocratie » et à en rester béatement libre. Étant donné que les États-Unis eux-mêmes ne sont pas une démocratie (comme on peut facilement le prouver avec des chiffres), ce que les politiciens américains entendent par « démocratie » est tout sauf cela.

Mais la majeure partie de la planète a déjà compris, toute seule, ce qui est ou n’est pas « démocratique » dans le langage américain : ceux qui suivent les dictats américains sont démocratiques ; ceux qui souhaitent suivre leurs propres conseils sont antidémocratiques. C’est tout ce qu’il y a à faire : les démocrates sont obéissants tandis que les désobéissants sont des dictateurs qui doivent être renversés. Ce schéma étant de toute évidence égoïste et idiot, le cercle d’obéissance ne cesse de se rétrécir et ne comprend plus que les pays de l’UE et de l’OTAN, plus les pays anglo-saxons et quelques colonies et dépendances éparpillées. Et même ce cercle est maintenant visiblement en train de s’effilocher sur les bords.

Et cela nous amène à la prochaine entité fantôme ardemment désirée, mais qui fait cruellement défaut, à évoquer de manière compulsive lors de chaque réunion internationale où se trouvent des représentants des États-Unis ou de l’UE : L’unité de l’Occident, à la poursuite de laquelle toutes sortes d’actions stupides et autodestructrices sont tentées, qu’il s’agisse de jeter de l’argent et des armes aux voleurs ukrainiens (sans se préoccuper de leur destination) ou d’imposer des sanctions autodestructrices à la Russie (sans se préoccuper de savoir avec quoi son propre peuple chauffera ses maisons ou fera pousser sa nourriture). Puisque la substance derrière ces actions futiles devient plutôt toxique en tant que sujet de discours public, les discussions ont tendance à court-circuiter vers des manifestations publiques d’unité plutôt que vers des actions unifiées : « Hé, regardez, tout le monde, nous avons donné quelques balles de plus aux Ukrainiens, retardant ainsi leur inévitable défaite de quelques secondes supplémentaires ! »

Certaines manifestations d’unité occidentale sont si pathétiquement autodestructrices qu’elles méritent une mention spéciale. Les infortunés petits États baltes sont dirigés par des gens dont la principale ambition est de produire des démonstrations pathétiques d’unité occidentale en opposition à « l’agression russe » alors que leur véritable crainte est que la Russie les ignore tout simplement. C’est ce que les Américains leur ont dit de faire, et c’est ce qu’ils feront, n’en déplaise à leurs populations locales.

Ainsi, les dirigeants lituaniens, dans un paroxysme de folie suicidaire, ont bloqué le transit russe à travers le territoire lituanien vers l’enclave russe de Kaliningrad. Ils ont déclaré qu’ils ne faisaient que suivre les sanctions de l’UE contre la Russie ; or, ces sanctions ne disent rien du transit entre la Russie et la Russie et s’appliquent au commerce russe avec l’UE. En outre, un accord permanent entre la Russie et l’UE autorise spécifiquement ce type de transit. Dans une rare démonstration de bon sens, les dirigeants de l’UE, puis l’Allemagne, ont dit à la Lituanie, en termes très clairs, d’arrêter. Cela a plongé les dirigeants lituaniens dans un état de stupeur dans lequel ils persistent depuis près d’une semaine maintenant.

Et puis il y a ce petit fait croustillant : alors que la Russie peut transférer tout le trafic de Kaliningrad sur des ferries entre ce port et son gigantesque port récemment construit à Ust’-Luga (région de Leningrad), elle peut aussi littéralement bloquer toute la Lituanie (ainsi que la Lettonie et l’Estonie voisines) en arrêtant tout le trafic ferroviaire entre la Pologne et la Lituanie, qui doit passer par Kaliningrad. En effet, les voies ferrées des pays baltes sont à l’écartement russe, plus large, et le point de transfert entre les wagons qui utilisent les rails européens de 1 435 mm et ceux qui utilisent l’écartement russe de 1 520 mm utilisé dans toute l’ex-URSS se trouve à Kaliningrad. L’arrêt de ce transfert réduirait de moitié environ les économies baltes, déjà en perte de vitesse (l’inflation en Lituanie est supérieure à 20 %).

Mais le pétage de plomb de la Lituanie n’est qu’un petit spectacle secondaire pathétique. Le principal spectacle de l’unité occidentale était censé être centré sur la réunion du G7 qui s’est tenue dans un château allemand isolé, le Schloss Elmau, loin de la foule déchaînée des manifestants. Dans ce lieu isolé, les représentants des États-Unis, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, du Canada, de la France et du Japon étaient censés démontrer leur unité concernant les activités russes dans l’ancienne Ukraine. Étant donné que toutes leurs décisions antérieures n’ont eu aucun effet sur la position de la Russie, certaines personnes ont exprimé le grand espoir qu’une action décisive résulterait de ce rassemblement. Il est intéressant de noter qu’à ce rassemblement, deux chaperons de l’Union européenne (Ursula von der Leyen et Charles Michel) étaient également présents ; ainsi, non seulement l’unité occidentale fait cruellement défaut, mais aussi la souveraineté occidentale.

Le premier élément de cette action décisive a été la proposition américaine de sanctionner les ventes d’or russe, qui représente 10 % de la production mondiale totale. L’Allemagne, la France et l’Italie n’ont pas soutenu cette initiative courageuse, s’en remettant à d’autres membres de l’UE, qui n’étaient pas présents, et la proposition est tombée comme un ballon de plomb.

Le deuxième élément nouveau est la proposition de plafonner le prix du pétrole russe. Les modalités de plafonnement par le G7 d’un produit contrôlé par la Russie ont été laissées à l’appréciation des participants, qui n’en ont plus entendu parler.

Si le plafond était supérieur au prix du marché pour le brut russe, alors le plafond fonctionnerait de manière vide ; s’il était inférieur, alors la Russie refuserait tout simplement de vendre à ce prix. En réponse, le prix mondial du pétrole s’envolerait immédiatement à la hausse. La Russie serait alors en mesure d’offrir des remises de client privilégié à ses acheteurs non membres du G7, d’empocher la manne et, peut-être, de l’utiliser pour acheter d’autres missiles afin d’abattre les derniers nazis ukrainiens. Prends ça, Poutine !

Le sujet de l’Ukraine était une diversion accessoire, bien que très nécessaire, par rapport au thème principal initialement prévu de la réunion du G7 : la lutte contre le changement climatique. Ici, la plupart des discussions ont porté sur le retour à l’utilisation des combustibles fossiles. En ce sens, l’unité a prévalu, mais au prix de jeter par-dessus bord tout rêve d’atténuation du changement climatique.

L’impulsion initiale derrière le rouleau compresseur du changement climatique était de faire preuve de vertu en installant de nombreux parcs éoliens et solaires coûteux dans les pays riches de l’Ouest, tout en menaçant d’imposer toutes sortes d’amendes et de frais aux nations moins riches qui sont obligées de brûler du charbon sale qui réchauffe le climat afin de fabriquer des produits que l’Ouest achète avec de l’argent imprimé. Mais maintenant que ce stratagème a échoué, l’Occident n’est plus riche et, après avoir refusé de se servir du gaz naturel russe, propre et abondant, il est occupé à rouvrir ses centrales électriques au charbon mises en veilleuse et à trouver suffisamment de charbon pour les alimenter. Pendant ce temps, l’agenda vert est jeté par la fenêtre. L’oubliée Greta Tunberg a brièvement fait la une des journaux ; la pauvre Greta est maintenant soupçonnée d’être un agent russe !

Il est intéressant de noter que le charbon est bon pour fournir une charge de base mais inutile pour les manœuvres rapides, ce qui le rend incompatible avec la production d’énergie variable et intermittente des parcs éoliens et solaires ; par conséquent, ces jouets coûteux devront rester déconnectés du réseau la plupart du temps. Il est également intéressant de noter que la Russie fournit environ un cinquième des exportations mondiales de charbon et qu’elle ne sera pas vraiment touchée lorsque l’UE passera du gaz naturel russe (un combustible relativement propre qui peut être utilisé directement pour le transport et qui est très utile comme matière première pour fabriquer de nombreux produits, des plastiques aux engrais) au charbon russe (qui est loin d’être aussi polyvalent). Encore une fois, prends ça, Poutine !

L’Ukraine était le prochain point à l’ordre du jour. Il a été rapidement admis que le G7 ne peut rien faire pour arrêter l’opération militaire spéciale de la Russie dans l’ancienne Ukraine. En outre, l’unité occidentale s’est révélée difficile à atteindre, le Britannique Boris Johnson ayant averti le président français Emmanuel Macron que ce n’était pas le moment de parler d’une solution diplomatique. Si l’on considère que la veille du début du sommet, les États-Unis et l’Allemagne ont appelé à une solution diplomatique au conflit ukrainien, ce n’est pas le geste le plus unificateur de Boris Johnson ; mais ce dernier a vraiment besoin que l’Ukraine reste en feu aussi longtemps que possible pour détourner l’attention de ses électeurs de la situation économique désastreuse de son pays et des scandales incessants au sein de son propre cabinet. Contrairement à l’Allemagne, la Grande-Bretagne n’est pas (encore) inondée de migrants ukrainiens désagréables, dont beaucoup sont allergiques au travail et estiment avoir droit à l’aumône du gouvernement.

Comme c’est désormais la tradition dans les rassemblements occidentaux, les dignitaires réunis ont sorti la planche Ouija et invoqué l’esprit de Zelensky, le président ukrainien convoqué. Comme d’habitude, Zelensky a supplié qu’on lui fournisse davantage d’armes (pour qu’il les vende aux terroristes ou pour que les Russes les détruisent avant qu’elles n’atteignent les lignes de front). Lorsque, plus tard, on a demandé au Bundeskanzler Scholz s’il pouvait offrir des garanties spécifiques concernant l’Ukraine, il a fait preuve de son habituel sens de l’humour bizarre en disant : « Oui, je pourrais », immédiatement suivi de « c’est tout ».

La seule mesure concrète prise a été l’acceptation d’un plan d’infrastructure de 600 milliards de dollars pour favoriser les énergies vertes en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il s’agit d’un geste symbolique destiné à contrer l’initiative chinoise Road and Belt. À cette fin, des représentants de l’Afrique du Sud, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Argentine et du Sénégal ont été invités au G7. On souhaitait de manière assez transparente que ces pays se joignent au bon combat contre la Russie dans l’ancienne Ukraine. Comment cela s’est-il passé ?

L’Afrique du Sud est un membre des BRICS dont les membres principaux sont la Russie et la Chine. Les BRICS sont apparus comme un important contrepoids non occidental au G7. C’est aussi le cas de l’Inde, qui est désormais un important acheteur de pétrole brut russe et exporte des produits pétroliers raffinés vers les États-Unis et ailleurs. L’Argentine a déclaré son intention de rejoindre les BRICS, de même que l’Iran. Le Sénégal, qui préside actuellement l’Union africaine, a été l’un des premiers pays à envoyer son dirigeant à Moscou après le début de l’opération militaire spéciale dans l’ancienne Ukraine en février dernier. Aucun des représentants de ces pays n’a prononcé un mot accusateur à ce sujet lors du rassemblement du G7, avant ou après.

Ainsi, à part l’accord fantôme de 600 milliards de dollars pour peut-être construire quelques parcs éoliens et solaires dans diverses régions éloignées du monde, rien du tout n’a été réalisé au G7, ce qui montre la futilité de l’existence de cette organisation.

Passons maintenant au sommet de l’OTAN, qui s’est déroulé les 29 et 30 juin à Madrid, et qui devait également démontrer une unité de l’Occident contre la Russie qui ne s’est pas concrétisée. L’Allemagne et la France ont insisté pour préserver l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l’OTAN et la Fédération de Russie signé en 1997. Toutefois, alors que ce document qualifie la Russie de partenaire, les documents doctrinaux actuels de l’OTAN considèrent la Russie comme la principale menace de l’alliance. À cette fin, l’OTAN prévoit de porter à 300 000 hommes la taille de son contingent « à haut niveau de préparation » en Europe de l’Est, ce qui le rapprocherait de la taille de l’armée ukrainienne en février dernier, que les Russes ont repoussée et pratiquement détruite en trois mois avec une petite fraction de leur armée.

Dans une démonstration d’unité avec la France et l’Allemagne, le représentant de la Pologne, Zbigniew Rau, a déclaré que la Pologne considère que l’Acte fondateur est caduc, comme le prouve l’expansion de l’OTAN sur le front oriental, pendant que Scholz déclarait qu’il était toujours en vigueur. La Pologne semble être de plus en plus sous tutelle britannique. Les Britanniques sont soucieux de s’assurer une nouvelle source de chair à canon après avoir combattu la Russie jusqu’au dernier Ukrainien, et les Polonais, par une bizarrerie de leur caractère national, sont toujours prêts et disposés à faire exactement ce qu’il ne faut pas.

La principale intrigue du sommet de l’OTAN était l’acceptation ou la non-acceptation de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN. La Suède est neutre depuis le traité de Nystad de 1721 ; la Finlande, après avoir été libérée de la Suède, puis avoir obtenu l’indépendance de la Russie, puis avoir combattu contre la Russie aux côtés des troupes d’Hitler, a prêté serment de neutralité lors du traité de Paris en 1947. L’adhésion de ces deux pays à l’OTAN viole directement les termes de ces traités et constitue une violation de la souveraineté de ces pays ; en d’autres termes, la Russie ne serait plus légalement tenue de respecter les frontières de ces pays ou d’entretenir des relations légales avec leurs gouvernements.

Ces subtilités du droit international ne font peut-être aucune différence pour l’Occident collectif et très unifié qui choisit d’habiter son propre « ordre international fondé sur des règles » solipsiste (les règles étant quelque peu ad hoc, créées au fur et à mesure, à Washington), mais pour le reste du monde, la primauté des traités sur le droit national est fondamentale et les relations légales avec la Russie sont essentielles.

En ce qui concerne la Russie, Poutine a déclaré qu’il n’était pas opposé à ce que la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN. En effet, pourquoi s’y opposerait-il ? Qu’y a-t-il de mal à ce que ces deux petits pays sans défense, symboliquement soutenus par le mastodonte fracturé et chancelant qu’est l’OTAN, choisissent de se jeter dans la gueule de l’ours en bafouant leurs obligations conventionnelles ? (Plus précisément, selon le traité de Paris, la décision de la Finlande de rejoindre une alliance militaire doit être approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et cette approbation n’a même pas été demandée).

Mais cela pourrait ne pas aller aussi loin. Pour que la Suède et la Finlande puissent rejoindre l’OTAN, le président turc Erdogan a exigé qu’elles cessent de soutenir les terroristes kurdes et qu’elles expulsent vers la Turquie ceux que cette dernière veut juger. La faction kurde est politiquement assez puissante en Suède et elle pourrait bien renverser le gouvernement suédois en réponse à ces tentatives de la détruire. Et la Finlande a déclaré qu’elle n’adhérerait pas à l’OTAN si la Suède ne le faisait pas. Au sommet de l’OTAN, Erdogan a donné son approbation à contrecœur, mais avec beaucoup de conditions, et la décision finale revient maintenant au parlement turc. Voilà pour l’unité de l’OTAN.

Sur le sujet très important de l’ex-Ukraine, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a fait son discours habituel sur le soutien sans faille à l’Ukraine, mais personne n’a prononcé un seul mot en faveur de l’offre de garanties de sécurité réelles. L’OTAN lui offre un soutien non létal, mais les armes létales ne peuvent provenir que des membres individuels de l’OTAN, a précisé M. Stoltenberg.

Biden a encore clarifié la situation en déclarant que les États-Unis se tiendront aux côtés de l’Ukraine pour s’assurer qu’elle… ne gagne pas. (C’est-à-dire, que les Russes ne gagnent pas, il a ensuite changé sa version des faits.) Ce niveau d’honnêteté, lorsque la tâche consiste à mentir, ne peut venir que d’un esprit dément. Selon CNN, un débat fait rage à la Maison Blanche sur ce qui pourrait être considéré comme une victoire ukrainienne, puisque déclarer la victoire et rentrer chez soi, quel que soit le résultat, est ce que les Américains essaient généralement de faire. Peut-être que le simple fait que Kiev n’ait pas encore été occupée par les forces russes suffit pour déclarer qu’il s’agit d’une victoire globale ?

Une discussion sur le placement de petits contingents de l’OTAN dans l’ancien territoire ukrainien, loin de la ligne de front, n’a pas abouti, par crainte d’une escalade de la situation avec la Russie. Le consensus sur cette initiative a été difficile à obtenir. Au total, l’OTAN a semblé adopter une position parfaitement passive vis-à-vis de la Russie en ce qui concerne l’ancienne Ukraine. En réaction, les médias occidentaux ont préparé l’opinion publique à accepter l’idée d’un règlement de paix négocié dans l’ancienne Ukraine.

Mais est-ce même possible ? La Russie suit une logique facile et sans faille. Si un territoire anciennement ukrainien est peuplé de Russes qui veulent être avec la Russie, alors il doit être libéré. La région de Lugansk est libre depuis hier, la région de Donetsk est la suivante. Kherson est à peu près libre, mais Kharkov, Zaporozhye et Nikolaev sont des tâches inachevées. Et il n’y a jamais eu aucun doute dans l’esprit de quiconque qu’Odessa est également russe. Oh, et n’oublions pas Dniepropetrovsk et Sumy. Kiev est-elle russe ? Eh bien, elle l’a été pendant la majeure partie des mille dernières années, à une décennie près !

Mais la libération de ce seul territoire le soumettrait encore aux bombardements des armes ukrainiennes à longue portée, dont beaucoup sont fournies par l’Occident. Par conséquent, les Russes ne peuvent pas s’arrêter et doivent libérer encore plus de territoire – qui devient également sujet à des attaques. Étant donné que la ligne de démarcation entre Ukrainiens et Russes est notoirement floue, il n’y a pas de point d’arrêt évident à ce processus jusqu’à ce que le territoire russe jouxte directement le territoire occupé par l’OTAN. À ce moment-là, les Russes seront susceptibles de dire : « Bien sûr, faisons un marché ».

Il n’y a pas non plus de raison politique intérieure d’arrêter : l’opinion publique approuve l’opération militaire spéciale dans l’ancienne Ukraine à 72%, la cote de popularité personnelle de Poutine atteint des sommets historiques, les informations du soir sont pleines de courageux libérateurs accueillis à bras ouverts par les habitants nouvellement libérés, qui font la queue en masse pour recevoir leur passeport russe, le tout entrecoupé de photos d’écoles, de jardins d’enfants et d’immeubles d’habitation détruits par l’artillerie ukrainienne en retraite. Le message des habitants aux troupes russes est le suivant : « Continuez ! »

D’autre part, il y a de très bonnes raisons de ne pas négocier avec le régime ukrainien. Premièrement, il n’est en aucun cas souverain ou autonome. La garde rapprochée de Zelensky, essentiellement britannique, le protège de ses propres fanatiques nazis ; dans le même temps, ses ordres viennent directement de Washington. Négocier avec l’UE au sujet de l’ancienne Ukraine a déjà été tenté et, à ce stade, la Russie n’a aucune raison de faire confiance à l’UE. Et il n’y a pas non plus de raison de négocier avec les États-Unis au sujet de l’ancienne Ukraine, car pourquoi les États-Unis devraient-ils être là ?

En fait, les États-Unis devraient probablement se retirer à l’intérieur de leurs propres frontières et réfléchir sérieusement à des questions importantes telles que l’avortement, le contrôle des armes à feu et la faillite nationale. Si le G7 et l’OTAN font toujours mine de les écouter, le reste du monde n’est plus aussi attentif.

Prenez, par exemple, le président Joko Widodo d’Indonésie, qui sera le prochain hôte du rassemblement du G20. Biden lui a demandé d’expulser la Russie du G20 en réponse à l’opération militaire spéciale. Au lieu de cela, Widodo s’est rendu à Moscou et a signé deux accords importants : un accord de 13 milliards de dollars pour la construction d’une raffinerie de pétrole avec l’aide de la société russe Rosneft et un autre avec RZhD, la société ferroviaire nationale russe, pour la construction de 190 km de voies ferrées.

La capacité des États-Unis à commander le monde entier est terminée. Le monde unipolaire est mort ; le monde n’est pas non plus multipolaire, il est non-polaire. Personne ne se soucie particulièrement de définir précisément l’un ou l’autre de ces nouveaux pôles. Les pays ne se trouvent plus le long d’un spectre ou même sur une carte : ils sont dans un maillage multidimensionnel.

Regardez l’état de tous les grands projets occidentaux. L’idée d’une transition vers les énergies vertes pour lutter contre le réchauffement climatique est morte ; apparemment, le charbon est le nouvel hydrogène. (C’est peut-être le « charbon propre » d’Obama.) La Grande Réinitialisation a pris le chemin du coronavirus. Le « Build Back Better » s’est transformé en « Break Back Faster ». Toutes ces absurdités sont en train de mourir d’une mort longue et douloureuse sur les cendres de l’ancienne Ukraine. Un gros morceau de l’ancien ordre mondial est tombé des trains d’atterrissage d’un jet décollant de Kaboul, en Afghanistan. Le reste sera balayé lorsque le régime de Kiev s’effondrera et mourra.

Même les pays les plus occidentalisés découvrent, un par un, que la voie américaine ne mène nulle part. Aujourd’hui, la question du maintien de l’unité de l’Occident se résume à une vieille question : « Si tous vos amis sautent d’une falaise, sautez-vous aussi ? »

Désormais, la musique de fond appropriée à tout discours sur « l’unité occidentale » est un chant funèbre.

Dmitry Orlov

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Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.

Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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