L’attaque terroriste dans la province du Khouzistan, composante stratégique de la guerre hybride contre l’Iran


Andrew Korybko

Andrew Korybko

Par Andrew Korybko – Le 1er octobre 2018 – Source orientalreview.org

Des terroristes ont pris en embuscade un défilé militaire dans la capitale régionale d’Ahvaz, où paradait le corps d’élite des Gardiens de la Révolution Islamique (GRI) en commémoration de la guerre Iran-Irak (également dénommée première guerre du Golfe), tuant 25 personnes et en blessant plus du double, dont de nombreux femmes et enfants.  Téhéran a immédiatement dénoncé l’implication des USA, d’Israël et des monarchies du Golfe dans cette tuerie effrénée, et malgré toutes leurs dénégations, ni les déclarations de Rudy Giuliani, avocat de Trump, sur le soi-disant « Sommet 2018 du soulèvement iranien » aux côtés du co-dirigeant du MEK – figurant sur la liste des organisations terroristes américaines jusqu’il y a quelques années – le jour même de l’attaque, ni ses fanfaronnades sur la nécessité d’un changement de régime en Iran n’ont contribué à rien de constructif.

Situations relatives du Khoudistan et de l’Iran – source : wikipedia

Nikki Haley a immédiatement clarifié ses propos, en arguant qu’il ne parlait pas à titre professionnel de représentant du gouvernement des USA, mais il est difficile d’imaginer qu’il ne faisait pas passer les messages des plus hautes sphères stratégiques de l’administration Trump. Si l’on suppose que les USA veulent effectivement renverser le gouvernement iranien par un cocktail de sanctions, de révolutions de couleur, et par les désertions militaires que Giuliani a suggérées, alors l’attaque terroriste du week-end dernier a sans aucun doute poussé dans cette direction, que les USA y aient trempé ou non. Le Khouzistan est une province de minorité arabe jouxtant l’Irak, qui a connu au cours de la première guerre du Golfe une campagne de séparatisme terroriste soutenue par Bagdad, ce qui rend très symbolique l’attaque récente : la « Résistance nationale Ahwaz », l’a également revendiquée.

Daesh en a fait autant, mais est connu pour se faire passer pour plus important qu’il ne l’est à des fins de relations publiques, et ses revendications apparaissent comme peu crédibles.

Si l’on présume, comme il semble raisonnable de le faire, que les terroristes étaient probablement les séparatistes auto-déclarés et non pas Daech, alors il est probable que cette attaque ait été pensée pour catalyser le conflit d’identité en Iran, entre la majorité perse occupant surtout le centre du pays, et l’une de ses minorités occupant la périphérie, comme l’indique la règle des guerres hybrides, qui veut que les provocations extérieures peuvent attiser ou réveiller les lignes de faille identitaires pré-existantes. Cela n’indique pas forcément que cette tentative sera fructueuse, même si l’on peut s’attendre à la voir être intégrée à la campagne d’information menée contre l’Iran, visant à façonner la perception sur le plan international que le peuple « se soulève contre le régime », en particulier dans ces circonstances qui suivent de près la nouvelle flambée de terrorisme kurde en Iran.

Une attaque terroriste lors d’un défilé militaire provoque la mort d’au moins 29 personnes

Avec le recul, cibler le Khouzistan constituait une action assez stratégique de la part des terroristes et de leurs commanditaires, en raison de la signification symbolique portée par cette attaque, qui relève de la gestion de la perception et de la guerre de l’information. Point supplémentaire, l’attaque a pu être pensée comme une provocation envers les services de sécurité, visant à les faire sur-réagir contre la minorité arabe de la région, et à les faire tomber dans le piège anti-terroriste habituel, qui met tous les pays qui en sont la cible sur le fil de devoir décider entre réponse cinétique ou non cinétique, par crainte que leur propre réaction ne puisse être surexploitée à son tour. Somme toute, l’attaque terroriste récente s’inscrivait dans la stratégie sournoise de la guerre hybride, mais ses chances de réussite restent limitées.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 28 septembre 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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