L’amnésie du New York Times


Un article de la vertueuse Grey Lady sur la guerre des États-Unis en Afghanistan ignore les atrocités qu’ils ont commises


Par Moon of Alabama – Le 26 mai 2020

Le New York Times a publié un article de 4 000 mots sur la guerre en Afghanistan pour tenter d’expliquer pourquoi les talibans ont gagné la guerre.

Comment les talibans ont vaincu une superpuissance : ténacité et carnage

C’est aussi une remarquable tentative d’ignorer l’histoire factuelle :

[Les Talibans] ont survécu contre une superpuissance pendant près de 19 ans de guerre acharnée. Et des dizaines d’entretiens, menés dans trois pays, avec des responsables et des combattants talibans, ainsi qu’avec des responsables afghans et occidentaux, ont mis en lumière le mélange de stratégies, anciennes et modernes, ainsi que les générations qui les ont mises en place. Après 2001, les talibans se sont réorganisés en un réseau décentralisé de combattants et de commandements de terrain, habilités à recruter et à trouver les ressources localement, tandis que les hauts responsables restaient à l’abri dans le Pakistan voisin.

C’est tout simplement faux. Entre la fin 2001 et 2007, il n’y avait pas de talibans. Le mouvement s’était dissous.

L’auteur reconnaît par la suite qu’il n’y a pas eu d’activité talibanes pendant toutes ces années. Mais le récit est à nouveau biaisé :

De nombreux commandants talibans interrogés pour cet article ont déclaré que dans les premiers mois qui ont suivi l’invasion, ils ne pouvaient même pas rêver d’un jour où ils seraient capables de repousser l’armée américaine. Mais cela a changé une fois que leurs dirigeants se sont regroupés dans des abris sûrs fournis par l’armée pakistanaise – alors même que les Pakistanais recevaient des centaines de millions de dollars d’aide américaine. A partir de cette base sécurisée, les talibans ont planifié une longue guerre d’usure contre les troupes américaines et l’OTAN. En commençant par des attaques territoriales plus sérieuses en 2007, les insurgés ont relancé et affiné un vieux plan que les États-Unis avaient financé contre les Soviétiques dans les mêmes montagnes et sur le même terrain – mais maintenant il était déployé contre l’armée américaine.

Avant même que les États-Unis n’envahissent l’Afghanistan, les talibans avaient reconnu qu’ils n’avaient pas la capacité de diriger un pays. Ils avaient réussi à rendre l’Afghanistan plus sûr. Les seigneurs de la guerre qui s’étaient battus entre eux après le retrait des Soviétiques ont été évincés et les rues étaient redevenues sûres. Mais il n’y avait pas de développement, pas de véritable système d’éducation ou de santé et pas d’argent pour les créer.

Lorsque les États-Unis ont envahi le pays, les talibans se sont dispersés. Le 5 décembre 2001, le chef des talibans, le mollah Omar, a démissionné et s’est caché quelque part en Afghanistan. Pour un jour, le ministre de la défense des Talibans, le Mollah Obaidullah, est devenu le nouveau dirigeant. Extrait de La vie secrète du mollah Omar, écrit par Bette Dam :

Le jour suivant, le mollah Obaidullah est parti en voiture vers le nord, dans le district de Shah Wali Kot à Kandahar, pour rencontrer Karzai et ses partisans. Dans ce qui est connu sous le nom d’“Accord de Shah Wali Kot”, le mollah Obaidullah et les talibans sont convenus de déposer les armes et de se retirer chez eux ou de rejoindre le gouvernement. Le mouvement s’est effectivement dissous. Karzai a accepté et, lors d’une apparition dans les médias le lendemain, il a annoncé que si Al-Qaida et Oussama Ben Laden étaient les ennemis de l’Afghanistan, les talibans étaient des fils du pays et bénéficieraient effectivement de l’amnistie. A ce moment-là, la guerre était terminée.

Les combattants talibans sont retournés dans leurs villages et leurs familles. La plupart sont restés en Afghanistan. Certains des dirigeants et des membres les plus âgés sont retournés dans les régions tribales du Pakistan où leurs familles vivaient comme réfugiés depuis l’invasion soviétique de 1979.

Les talibans ne prévoyaient pas une longue guerre d’usure – du moins pas entre 2001 et 2006. Le mouvement avait simplement cessé d’exister.
La grande question est alors de savoir pourquoi il est revenu, mais le New York Times n’a pas grand-chose à dire à ce sujet :

Dès le début, les insurgés ont utilisé comme excuse la corruption et les abus du gouvernement afghan, mis en place par les États-Unis, et se sont posés en arbitres de la justice et de la tradition afghane – ce qui explique en grande partie l’attrait qu’ils continuent à exercer sur de nombreux Afghans, les ruraux en particulier. Les États-Unis étant distraits par la guerre en Irak, l’insurrection a élargi ses ambitions et son territoire.

Non, la “corruption et les abus du gouvernement afghan” n’ont pas été la raison du retour des talibans. Ce sont les abus de l’occupation américaine qui les ont poussés à se rassembler. L’amnistie annoncée publiquement, sur laquelle Karzai et le mollah Obaidullah s’étaient mis d’accord, a été ignorée par les commandants et les politiciens américains.

La CIA capturait des Afghans au hasard, les torturaient brutalement, certains à mort, en les nommant des “Talibans”. Les forces spéciales américaines ont fait des raids contre des maisons privées et ont bombardé des villages entiers. Les chefs de guerre brutaux, que les Talibans avaient supprimés, ont été remis au pouvoir. Lorsqu’ils voulaient s’emparer d’un territoire, ils disaient à leurs agents américains que le propriétaire était un “Taliban”. Les troupes américaines le viraient alors d’une manière ou d’une autre. Le comportement des occupants était un affront à tous les Afghans.

En 2007, le mollah Omar et son assistant Jabbar Omari se cachaient à Siuray, un district situé à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Qalat. Une grande base américaine se trouvait à proximité. Bette Dam parle de l’humeur de ces gens :

Alors que la population se retournait contre le gouvernement à cause de sa corruption et des atrocités américaines, ils ont commencé à offrir de la nourriture et des vêtements pour le foyer de Jabbar Omari et son mystérieux ami.

C’est l’absurde stupidité et la brutalité avec lesquelles les États-Unis ont occupé le pays qui ont donné aux Afghans le motif de se battre à nouveau contre un occupant ou du moins de soutenir un tel combat.

Dans le même temps, l’armée pakistanaise en était venue à craindre une présence permanente des États-Unis dans son arrière-cour. Elle a mis en contact les anciens talibans à la retraite avec des commanditaires dans la région du Golfe et a organisé la logistique d’une nouvelle insurrection. Le mouvement taliban a été rétabli avec de nouveaux dirigeants et sponsors mais sous son ancien nom.
Les anciens réseaux de commandement tribaux se sont à nouveau activés et les rangs ont été remplis par de nouveaux Afghans mécontents. À partir de ce moment, ce n’était plus qu’une question de temps avant que les États-Unis ne soient obligés de partir, comme les Soviétiques et les Britanniques l’avaient fait avant eux.

En décembre 2001, la guerre contre les Talibans avait pris fin. Au cours des cinq années suivantes, les États-Unis ont combattu un ennemi imaginaire qui n’existait plus. C’est cette guerre contre la population en général qui, en 2007, a créé une nouvelle insurrection qui a adopté l’ancien nom.

Un article qui prétend expliquer pourquoi les talibans ont gagné la guerre mais qui ignore la période cruciale entre 2001 et 2007 passe à côté du point le plus important qui a rendu possible la victoire des talibans.

La volonté du peuple afghan de libérer son pays d’une occupation étrangère.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF