Par Laura Hood − Le 15 décembre 2019 − Source The Conversation
Les résultats ne sont pas encore tout à définitifs mais la large victoire électorale de Boris Johnson aux élections générales britanniques du jeudi 12 décembre ne fait aucun doute. À la veille du scrutin, le premier ministre se trouvait à la tête d’un gouvernement minoritaire ; il dispose désormais d’une majorité très confortable. Son parti conservateur a remporté 364 sièges sur les 650 que compte le Parlement de Westminster.
Le Parti travailliste, qui a subi sa pire défaite depuis des décennies – et sa quatrième défaite d’affilée aux élections générales –, ne récolte que 203 sièges. Le Scottish National Party (SNP) a nettement progressé en Écosse (48 sièges) ; la percée des tenants d’un deuxième référendum d’indépendance pourrait poser une nouvelle question constitutionnelle majeure au Royaume-Uni.
Si la plupart des sondages avaient annoncé une victoire de Boris Johnson, l’ampleur de celle-ci est une surprise. Plusieurs enquêtes d’opinion réalisées peu avant le scrutin avaient même donné des raisons de croire qu’un Parlement sans majorité sortirait des urnes.
Pourquoi les électeurs ont-ils voté comme ils l’ont fait, et que va-t-il se passer maintenant ? Tout au long de la campagne, des experts ont analysé les programmes politiques de chaque parti. Ceux-ci nous aident aujourd’hui à mieux comprendre la situation.
BBC/ITV/Sky News Sondage de sortie des urnes publié le 12 décembre à 22 heures, CC BY-SA
Le Brexit a commencé…
La majorité qu’a obtenue Boris Johnson lui donne la possibilité d’enfin faire adopter par le Parlement son plan pour le Brexit, après plusieurs années d’impasse. On peut maintenant s’attendre à ce qu’il aille de l’avant rapidement, étant donné que tous les candidats conservateurs au Parlement s’étaient engagés avant le scrutin à appuyer l’adoption de ce plan. Le premier ministre est déterminé à quitter l’UE d’ici au 31 janvier 2020.
En quoi le plan Johnson pour le Brexit consiste-t-il exactement ? En bref, il s’agit d’un Brexit relativement dur – mais à présent que Johnson possède une majorité aussi importante, il a potentiellement la possibilité d’adoucir sa position.
Pour l’heure, le plan prévoit que le Royaume-Uni quittera le marché unique et l’union douanière. La libre circulation entre son territoire et celui des pays de l’Union européenne prendra fin, et une politique d’immigration basée sur un système de points sera instaurée. Mais des questions subsistent quant à d’éventuelles frictions commerciales entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Tout cela a été décrypté par Oliver Patel, chercheur associé à l’European Institute de l’University College London, qui a passé le projet de Boris Johnson au peigne fin quelques jours avant le vote.
Olivier Patel s’est également penché sur les prochaines étapes, car le départ de Londres de l’UE sera suivi par une période de négociations intenses avec Bruxelles. Beaucoup d’accords doivent encore être élaborés, en un temps restreint.
« Le Royaume-Uni et l’UE doivent notamment négocier et ratifier, entre la date du retrait et le 31 décembre 2020 (fin de la période de transition), un accord complet sur leurs relations futures, qui régira leurs interactions dans des domaines tels que le commerce, les migrations, la sécurité, la politique étrangère et les données. »
… mais il n’a pas encore été « mené à son terme »
Il est difficile de contester que la victoire de Boris Johnson repose, au moins en partie, sur sa promesse de «mener le Brexit à son terme». Le premier ministre n’a cessé de répéter ce slogan tout au long de la campagne. Mais comme de nombreux experts l’ont souligné ces dernières semaines, il s’agit d’un engagement fort optimiste. Même si Johnson respecte l’échéance du 31 janvier qu’il s’est imposée, l’histoire est loin d’être terminée.
Helen Parr, professeure d’histoire à l’École d’études sociales, mondiales et politiques de l’Université Keele, estime que le chemin sera encore très long… et pourrait bien aboutir à un Brexit sans accord.
« La réalité, c’est que, dans un avenir prévisible, les ressources publiques dépendront étroitement des conditions du Brexit. De même, l’idée que le Royaume-Uni sera libre de faire ce qu’il veut dès que le projet de loi de retrait aura été adopté par la Chambre des communes est une illusion. Au contraire, la marge de manœuvre de la Grande-Bretagne sera limitée par le type de relations futures qu’elle pourra établir avec l’UE et avec ses autres partenaires commerciaux. Il faudra des années pour répondre à ces questions, et il n’est même pas certain qu’elles finiront par être résolues de façon satisfaisante. »
Johnson a exclu la possibilité de prolonger la période de transition. Si le Royaume-Uni s’en tient à ce principe et ne parvient pas à conclure un accord commercial d’ici à la fin de 2020, il pourrait quitter l’UE sans accord.
Une nouvelle identité politique
Cette élection a redessiné de façon spectaculaire la carte électorale du Royaume-Uni. Des régions qui étaient traditionnellement considérées comme des bastions travaillistes sont devenues conservatrices. Ce changement d’allégeance semblait impensable il y a quelques années à peine.
Mais comme l’a montré Geoffrey Evans, professeur de sociologie politique à l’Université d’Oxford, les identités politiques au Royaume-Uni sont désormais tout autant définies par la position des citoyens sur le Brexit que par leur parti. Les enquêtes qu’il a consacrées à cette évolution au cours des années qui ont suivi le référendum de 2016 ont mis en évidence le fait que le rapport au Brexit n’a cessé de prendre de l’ampleur dans l’identité politique des Britanniques.
« Fait révélateur : mi-2018, deux ans après le référendum, seuls un peu plus de 6 % des gens ne s’identifiaient ni au “Leave” ni au “Remain”. Sur cette même période, le pourcentage de Britanniques affirmant n’être sympathisants d’aucun parti est passé de 18 % à 21,5 %, en partie en raison du déclin du UKIP. Autrement dit, seule une personne sur seize n’a pas d’ »identité Brexit » alors que plus d’une personne sur cinq n’a pas d’identité partisane. »
Les élections du 12 décembre représentent sans doute l’aboutissement de ce processus. De très nombreux électeurs du «mur rouge» travailliste dans les Midlands d’Angleterre et du nord de l’Angleterre semblent avoir voté d’une manière qu’ils n’auraient probablement pas envisagée il y a seulement cinq ans, ce qui a donné lieu à la plus grande majorité conservatrice depuis longtemps.
Comment expliquer l’échec du Labour ?
La défaite va certainement forcer le Parti travailliste à une profonde introspection. Son chef Jeremy Corbyn avait choisi de se lancer dans la campagne avec un programme ambitieux, s’engageant notamment à nationaliser les services publics et à offrir un accès gratuit à Internet à tous les Britanniques. Il a également défendu un programme écologiste radical qui aurait placé dans ce domaine le Royaume-Uni loin devant les autres nations, alors que Boris Johnson n’a même pas pris la peine de participer à un débat consacré au changement climatique.
Pourquoi le projet ambitieux du Labour a-t-il été si peu soutenu par les électeurs ?
Les travaillistes devront s’interroger sur les raisons pour lesquelles ils ont perdu autant d’électeurs au sein de la classe ouvrière dans les anciennes régions industrielles du pays. David Etherington, professeur de développement économique local et régional à l’Université du Staffordshire, a étudié les rapports récents entre le parti et ces catégories de la population, et conclu que le Labour n’avait pas fait assez pour conserver leur appui. Des années de déclin, suivies par le krach financier de 2008, ont fait naître chez de nombreux habitants de ces régions « délaissées » le désir d’un changement majeur. Et beaucoup d’entre eux l’ont fait comprendre au moment du référendum de 2016 :
« En l’absence d’une alternative cohérente à l’austérité et, plus important encore, du fait de l’insuffisance des efforts du Parti travailliste envers son électorat de base, le vote « Leave » apparaissait comme un vote pour le changement. Et, aux yeux de certains, il s’agissait d’un moyen d’exprimer leur protestation. »
Des années durant, le Labour a éprouvé de grandes difficultés à définir sa position sur le Brexit. Même s’il a dernièrement clarifié sa position en promettant un deuxième référendum, il a également cherché à présenter les législatives du 12 décembre 2019 comme un scrutin portant sur énormément de sujets autres que sur le Brexit. Au vu des résultats, il est permis de se demander si cette stratégie était la meilleure possible.
L’Écosse va-t-elle quitter le Royaume ?
La percée effectuée par le Scottish National Party lui a permis de s’emparer de la quasi-totalité des circonscriptions écossaises. Les nationalistes avaient centré leur campagne sur l’appel à un nouveau référendum sur l’indépendance. Comme l’explique William McDougall, chargé de cours en sciences politiques à la Glasgow Caledonian University, la première ministre Nicola Sturgeon capitalise sur le rejet du Brexit par les Écossais pour demander une nouvelle tentative de rupture avec le Royaume-Uni :
« Si le soutien à l’indépendance a progressé, c’est peut-être parce qu’une partie des électeurs favorables au Remain ont changé de camp : l’engagement du SNP en faveur du Remain a permis au parti de dissocier son nationalisme civique et cosmopolite du nationalisme anti-UE et anti-immigration que l’on observe dans un certain nombre de pays. En conséquence, l’électorat favorable à l’indépendance, qui était déjà largement pro-UE, est désormais encore plus attaché au maintien de l’Écosse dans l’UE. »
Au vu de la forte majorité conservatrice à Westminster, la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise semble pour l’instant improbable ; il n’empêche que le triomphe du parti de Sturgeon constitue un signal fort envoyé par les électeurs écossais.
Qui est vraiment Boris Johnson ?
Johnson s’est installé au 10, Downing Street depuis déjà quelques mois, mais il n’en demeure pas moins insaisissable – surtout lorsqu’il se cache dans un réfrigérateur. Chris Stafford, doctorant à l’Université de Nottingham, s’est essayé au moment de la prise de fonctions du premier ministre à faire son portrait à travers l’analyse de certains chiffres clés.
De sa carrière en dents de scie dans le journalisme à son mandat de maire de Londres, au cours duquel il a montré un net penchant pour des projets aussi futiles que dispendieux, Johnson a fait un certain nombre de choix surprenants tout au long de sa vie professionnelle.
Mais tout cela semble avoir été pris en compte lors des législatives qui viennent d’avoir lieu. Johnson est régulièrement accusé de dissimuler sa vraie nature… mais peut-être n’est-ce pas du tout le cas. Il a laissé suffisamment d’indices en cours de route pour que nous puissions nous faire une idée de l’homme qu’il est – et l’électorat britannique a décidé que cet homme lui convenait.
Laura Hood est éditeur politique, assistant éditeur à The Conversation
Traduit par The Conversation France