L’Amérique (US), une république bananière ? Bien pire !


Par Norman Pollack – Le 23 janvier 2017 – Source CounterPunch

Avant l’inauguration, on se gardait d’utiliser le terme fasciste pour décrire l’Amérique, comme s’il s’agissait d’une calomnie et d’une exagération. Plus maintenant.

Ce n’est pas entièrement le fait de Trump ; Obama et ses prédécesseurs ont rampé jusqu’à ce point avec chacune de leurs interventions : confrontation, affaiblissement des libertés civiles, attaques par drones, changement de régime – tout un catalogue de mort, de défi, et de destruction. Mais c’est Trump qui mène l’Amérique au sommet, avec l’accord volontaire de millions d’Américains, une ochlocratie [pouvoir des masses, NdT] consciente, articulée, méprisant tous ceux qui sont en désaccord, oui, un ordre du jour fasciste.

Le programme est simple : le capitalisme et le militarisme fusionnés, indivisibles, monolithiques, tenant l’Amérique dans une poigne de fer mortifère. Pression, asphyxie, intimidation : une expérience acquise à l’étranger, prenant peu à peu effet à la maison. Éliminer le dissident. Supprimer le filet de la sécurité sociale, de sorte que les gens ordinaires commencent à envisager la collaboration, de peur de souffrir des difficultés, un mélange de surveillance et de forclusion, avec même la pénurie et le manque des besoins basiques. La légende des deux cités [terrestre et céleste, NdT] ? Non, deux pays, avec les attributs d’un État policier, piétinant brutalement le peuple.

Grâce à tout cela, Trump s’expose comme le démagogue nazi par excellence, en donnant des assurances au peuple, en célébrant sa souveraineté, et, en attendant, tournant déjà la vis – sa politique et sa personnalité en donnent un clair aperçu. Écoutez l’introduction de son discours, jouant sans honte avec Le Peuple pour s’insinuer en son sein, alors que, derrière son dos, le Club des milliardaires est occupé à écrire et à présenter sa liste de souhaits : la démolition de la seule chose décente qu’un gouvernement hostile, dès l’origine, aux besoins et aux aspirations des travailleurs et des pauvres, avait faite [Obamacare].

Retirez des milliards de dollars du budget. Versez une grande partie de cette somme dans les armements, le reste en diminution d’impôts pour les plus riches Américains. Débarrassez-vous de ce qui est jugé superflu pour la réalisation de la Forteresse Amérique, un mammouth avec l’obsession de la grandeur, alias la domination mondiale unilatérale derrière de hauts murs de protection. Seule une militarisation complète de la culture politique et de la Nation porte cette logique en avant : la « Force par la joie » d’Hitler, un cousin non lointain. Gagnez les gens, donnez-leur du pain et des jeux (principalement rhétoriques), mettez en marche le mécanisme du patriotisme, laissez les gens penser que c’est vraiment leur pays, alors qu’en réalité… Il suffit de regarder les nominations au gouvernement, et dans les prochaines semaines ou jours, voir le rouleau compresseur, pas le scalpel, ramener la législation sociale à l’âge de pierre.

Ici, le discours – la malhonnêteté, la flatterie, la présidence du peuple : « Reconstruire notre pays et rétablir sa promesse pour tout notre peuple. » La théorie, grossièrement fardée, de la richesse qui dégouline en cascade des riches vers les pauvres. Le « transfert de pouvoir ordonné et pacifique », Entendu ad nauseam à la télévision, mais pourquoi ne serait-il pas paisible et ordonné, étant donné la continuité – j’insiste ici sur Obama – de la politique bipartisane à travers les administrations présidentielles, au moins depuis Kennedy ? Encore une fois : « Washington a prospéré, mais le peuple n’a pas partagé sa richesse. » Une projection intelligente : diaboliser la source en travaillant main dans la main avec la ploutocratie, celle personnifiée et représentée par Trump lui-même, qu’il est déterminé à protéger et à enrichir encore davantage. Il parle de « familles en difficulté partout dans notre pays », mais est sur le point d’étriper les programmes rendant leur vie supportable. C’est agir, politiquement, comme le marquis de Sade : humilier – en retournant le couteau plus profondément dans la plaie par de pseudo louanges – les victimes des vastes inégalités de l’Amérique dans la répartition de la richesse, du pouvoir et du respect social et bien sûr, jouer sur la corde sensible de ceux qui ont déjà manifesté des sympathies fascistes. Nous approchons probablement de la moitié de la population, y compris – il est honteux de le dire – un grand nombre de travailleurs.

Les racines du proto-fascisme sont profondes, une contagion présente dans toutes les classes, une responsabilité partagée dans la dégradation et la honte nationale. Ce n’est pas le moment de réciter l’Histoire américaine, les actions actuelles et les attitudes racontent l’histoire, Trump étant un condensé utile du passé et de l’avenir. Les États-Unis « sont votre pays […] ce qui importe est […] que notre gouvernement soit contrôlé par le peuple. » Il capture l’énergie et l’élan du phénomène de masse :  » Vous [les hommes et les femmes oubliés] êtes venus par dizaines de millions pour faire partie d’un mouvement historique, que le monde n’a jamais vu auparavant. Au centre de ce mouvement est inscrite une conviction cruciale qu’une nation existe pour servir ses citoyens. «   Vrai, en effet, à condition qu’on comprenne que certains citoyens – par exemple, Morgan Chase, Goldman Sachs, Halliburton, Boeing, etc., sont plus égaux que d’autres. Que Trump soit venu jusqu’ici, sans être hué et viré de la scène, en dit long sur le point auquel la nation est arrivée : dans un vide moral sociopolitique.

« Un peuple honnête et une collectivité honnête », l’auto-flatterie collective à nouveau, conduit au thème de la solidarité, rhétorique fasciste classique, quand elle proclame : « Ce carnage américain [pauvreté, drogue, mauvaise éducation] s’arrête ici et s’arrête maintenant. Nous sommes une nation […] Nous partageons un cœur, un foyer et un destin glorieux. » En d’autres termes, ne pas faire de bruit, ne pas critiquer, rester uni contre l’étranger, que ce soit au sein ou à l’extérieur de la société américaine. Nous ne verrons plus jamais « un triste épuisement de nos forces armées » [Le New York Times reprend ici ce surprenant commentaire – surprenant pour lui]. « Le Pentagone dépense environ 600 milliards de dollars par an pour l’armée américaine, plus que ce qui est dépensé par les six plus grandes forces armées mondiales réunies, on peut difficilement parler d’une force épuisée. »

Il y a mieux, digne de la pièce de théâtre Arturo Ui de Brecht, de The Producers de Mel Brooks, ou du dialogue hitlérien ordinaire : « A partir de ce jour, une nouvelle vision régnera sur notre territoire. À compter de ce jour, ce sera l’Amérique d’abord. L’Amérique d’abord. » Ceux de ma génération frissonnent à la phrase [Deutschland über alles, NdT] – même en tant que petit enfant à la veille de la Seconde Guerre mondiale –, à ses nuances nazies cristallines et aux associations historiquement réalisées dans la pratique, et maintenant ressuscitées. Ensuite, dans un hymne américain : nous serons autosuffisants, nous reconstruirons l’Amérique. « Nous allons briller pour que le monde nous suive. » La Cité sur la colline n’a jamais eu un champion plus grand, suintant plus l’ethnocentrisme et la xénophobie, évidemment organisé dans un cadre autoritaire. Le mieux qu’il puisse faire, et nous pouvons maintenant nous inspirer de son discours, est de dire : « Nous devons exprimer ouvertement ce que nous pensons, discuter nos différends honnêtement [dans les deux cas, non seulement la surveillance massive, mais aussi la loi contre l’espionnage utilisée à l’égard des lanceurs d’alertes], mais toujours poursuivre la solidarité. » Les promesses sont destinées à être tenues, ou rompues, mais il n’y a pas de contournement possible de la dernière expression, « la poursuite de la solidarité », sans défier la mentalité fasciste.

Mon titre mentionne la république bananière [un pays peu développé, dont l’industrie repose typiquement sur la seule production de bananes, et dirigé par une petite ploutocratie autoritaire, Wikipédia], la dernière partie de la définition colle avec notre cas, mais il y a plus grave : le pouvoir concentré pour des fins antisociales, anti-humaines, entre des mains sans scrupules, avides de richesse et de pouvoir, un nihilisme affublé d’une touche de glamour. Trump est un être réel. Le militarisme est réel, ayant reçu une signification et une intensité spéciales, en vertu de son inscription dans une structure et une mentalité de forteresse. Dieu vienne en aide à tous ceux qui osent tenir tête aux États-Unis d’Amérique.

Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, il écrit sur le populisme américain en tant que mouvement radical, prof, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale et l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être contacté à pollackn@msu.edu.

Note du Saker Francophone

Pollack, est avant tout un dénonciateur des fascismes plus ou moins larvés.

Il voit dans Trump le continuateur d'un fascisme américaniste qui se serait installé après la mort de JF Kennedy

Même si l'image choisie d'une république bananière, en pire, est à relativiser, est-ce que l'idée même de démocratie réelle, de la gouvernance par les peuples, s'en remettra ? Rien n'est moins sûr.

On a maintenant un Trump qui est plus ou moins dans la même position qu'Obama, mais qui ne s'appuie pas sur la même partie de la population mondiale. Reste à espérer que lui non plus ne va pas gâcher les espoirs de l'autre moitié de l'humanité, jusqu'à nous dégoûter de nous-mêmes. Les attentes sont faibles, on lui demande juste de casser le jouet. Peut être sera-t-il celui par qui l’Apocalypse arrivera?

Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone

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