"...Critiquer Trump sans, dans la même mesure et avec une égale conviction, critiquer Clinton, c'est rester embourbé dans la fausse bonne conscience qui rend complice de la fascisation en cours de l'Amérique." Norman Pollack
Par Norman Pollack – Le 2 août 2016 – Source CounterPunch
Trump est manifestement un semi-fasciste. Son ethnocentrisme dévorant (American Greatness) et sa xénophobie (Anti-immigrant, Anti-musulman) confirme un processus structurel et idéologique engagé dans un travail de nazification sociale, soutenu par son dévouement à la richesse et sa quête confuse du pouvoir. À cet égard, il est une cible facile pour les libéraux et les progressistes, les démocrates dans leur ensemble et un segment modéré des républicains, ainsi que pour les médias «responsables» comme le New York Times.
Il n’y a rien à argumenter. S’il était possible d’en rester là, en faisant abstraction de toutes les circonstances et de la réalité, tout ce qui précède se tiendrait, vrai en soi-même et par soi-même, sans autre qualification. Pourtant, je ne retire rien à l’acte d’accusation de Trump – une menace absolue à la pensée et à la pratique démocratique – en disant qu’il s’agit là seulement de la moitié de l’histoire. L’autre moitié est l’Amérique elle-même, en particulier ceux qui le dépeignent comme un monstre. Ils n’ont pas les mains propres, de haut en bas, en commençant par Obama et Clinton, y compris la plupart de ceux que nous rangeons communément à Gauche.
Trump est l’Amérique. Je ne suis pas un spécialiste des sciences sociales, à savoir, quelqu’un qui, comme Barrington Moore l’a souligné, pourrait apporter des propositions sur la société jusqu’à la quatrième décimale et certifier leur validité. Je suis franchement impressionniste ici, mais j’estime qu’entre la moitié et les deux tiers des Américains pensent comme Trump en leur for intérieur, et la vision de l’histoire américaine depuis la Seconde Guerre mondiale tend à confirmer cela. Le léopard ne peut pas effacer ses taches, sauf, au moment des élections, quand il lui incombe de faire apparaître un côté plus éclairé que l’autre, masquant les attitudes pulsionnelles – ou réfléchies – sous la logorrhée béate du libéralisme et des droits de l’homme.
Toutes les positions qu’il a prises jusqu’à présent – comme autant de clous dans son cercueil politique – et qui sont immédiatement jetées en pâture aux médias et condamnées, représentent en fait ce que la grande majorité des Américains croit.
Ce n’est pas seulement que Trump actualise un semi-fascisme excessif, mais qu’il incarne aussi l’Amérique : ethnocentrique, xénophobe, et pire encore, assoiffée de sang, dans la quête de sa sécurité nationale et du triomphe du capitalisme monopolistique. Anti-immigrés, anti-musulmans, évidemment, bien que non autorisé pour la consommation publique. Déférence à la richesse et aux riches – et alors, quoi de neuf ? Le patriotisme comme marqueur de conformité aux principes raciaux – auxquels les Noirs sous Obama se sont soumis, abandonnant toute radicalité potentielle qui résulterait dans la dignité et l’égalité – la structuration sociale hiérarchisée, et les poisons envahissants du militarisme – idem.
En d’autres termes, la critique de Trump est trompeuse et auto-satisfaite. Personne ne se soucie vraiment de ses positions politiques fascistes, de ses insultes et diffamations tous azimuts, parce qu’elles sont aussi les nôtres, la Puissante Forteresse de la Vertu : l’Exceptionnalisme. Ce qui nous intéresse, ce sont ses références à Poutine et la Russie. Là, il va trop loin. Chaque intellectuel de think-tank ou expert de la défense est hors de ses gonds – littéralement – devant cette trahison manifeste des vérités morales de la Guerre Froide, concernant la place de l’Amérique dans le monde. Si Trump l’avait joué réglo, comme prévu par les deux partis et l’électorat en général, avec le jargon du Pentagone en bandoulière, l’anticommunisme dans les bagages, la rhétorique du monde libre fraîchement ravalée pour l’occasion, nous aurions une élection présidentielle très différente.
L’hypocrisie est rampante – qu’il peut ou ne peut pas détecter. Clinton est tout aussi idéologiquement et politiquement pourrie que lui, pourrie est un terme fort que j’utilise au sens propre – si l’on peut dire – cela signifie putridité, corruption morale – à la fois en politique intérieure et extérieure. L’invocation russe/Poutine est une commodité pour signifier quelque chose d’autre, la peur de l’exposition à l’ensemble de la dérive politique que l’Amérique et ses dirigeants ont engagée. Ce qui est sûr, c’est que Trump et Clinton sont en phase avec les tendances fascistes de la nation, ce qui explique pourquoi ils ont été poussés jusqu’au rôles politiques dont ils jouissent aujourd’hui. Clinton est-elle seulement meilleure que Trump au sujet de Wall Street, des privatisations, de la concentration financière, de la pénétration des marchés, de la fiscalité des entreprises, et même à propos des retombées en largesses et en amitiés ?
Quoi qu’il en soit, de Goldwater Girl à ce jour, elle n’a pas changé d’un iota, en vertu de l’exemple et de la tutelle de Bill, encore plus extrême dans la recherche du soutien d’un capitalisme brutal et militarisé, ce n’est pas ce que l’on aurait pu prévoir chez quelqu’un ayant étudié à Wellesley.
Mais c’est son bagage en politique étrangère, un record incontestable, qui met sa foulée dans celle de Trump, et en fait devant lui dans l’art de l’intervention, du changement de régime, de l’assassinat politique – n’est-ce-pas à cela que sert l’approbation des assassinats par des drones armés ? Clinton, telle Lincoln Grand Émancipateur des Enfants, est responsable de l’assassinat de plusieurs enfants, en tant que secrétaire d’État et même avant et après, en recommandant le sursaut militaire afghan, et dans son copinage avec Flournoy et Panetta – destinés à des postes ministériels si elle devait gagner – qui invite l’Amérique à une posture de guerre permanente. Trump est encore à l’école primaire, par rapport à Clinton, dans l’exploitation de l’establishment guerrier aux fins de confrontation militaire et idéologique avec la Russie et la Chine, une poussée unilatérale simultanée pour une domination mondiale incontestée.
Conclusion : Trump n’est pas Debs, Heywood, ou le Dr King. Il est aussi proche de l’incarnation du mal qu’il lui est possible. Mais il en va de même pour Clinton. Ainsi que pratiquement pour tous les libéraux et progressistes qui, pendant trop longtemps, ont gardé leur antiradicalisme rance sous la surface, alors qu’ils ont toléré ou soutenu activement la répression et les agressions à l’étranger.
Critiquer Trump sans, dans la même mesure et avec une égale conviction, critiquer Clinton, c’est rester embourbé dans la fausse bonne conscience qui rend complice de la fascisation en cours de l’Amérique.
Norman Pollack Ph.D. Harvard, Guggenheim Fellow, a écrit sur le Populisme Americain comme activiste d’un mouvement radical. Il s’intéresse à la théorie sociale et à l’analyse structurelle du capitalisme et du fascisme. Il peut être joint à pollackn@msu.edu.
Traduit et édité par jj, relu par nadine pour le Saker Francophone
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