Par Tony Cartalucci – Le 27 juillet 2016 – Source New Eastern Outlook
Pendant que les États-Unis perdent du terrain en Asie, n’ayant pas réussi à tordre le bras de tous les États pour signer leur accord commercial, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), couplé à leur incapacité à rassembler assez de soutiens dans la crise qu’ils ont eux-mêmes créée en mer de Chine du Sud, ils partent aujourd’hui dans une course en avant, pour miner de l’intérieur et remplacer les gouvernements de la région, qu’ils perçoivent comme non-coopératifs à leur effort de domination régionale.
À l’avant-plan de ce processus de sabotage et de remplacement des gouvernements règne évidemment le ciblage et la manipulation des opinions publiques. Cela a toujours été l’ingrédient essentiel pour faire avancer les intérêts spéciaux de certains groupes au travers de l’histoire de l’humanité. De nos jours, le degré de sophistication de cette manipulation des opinions publiques est sans précédent. S’il est vrai que tous les pays s’y essaient à des degrés divers, l’Occident dispose, de loin, des moyens les plus importants et les plus divers dédiés à cette entreprise de manipulation.
Les politiques publiques et leurs objectifs décidés par les groupes de réflexion subventionnés par la finance internationale sont traduits en langage courant dans les gros titres des médias aux ordres et dans les campagnes de presse orchestrées par les grands réseaux d’information occidentaux, pour être ensuite relayés par des blogueurs aux ordres et autres lobbyistes qui prétendent être indépendants. Cet effort concerté a pour objectif de maximiser la crédibilité de la désinformation, au point d’être en mesure de choisir un petit non-événement local et d’en faire une crise d’envergure.
C’est justement une de ces mini-fausses-crises qui a été déjouée, quelques jours à peine avant le référendum en Thaïlande, au sujet de sa nouvelle Charte citoyenne.
Cette nouvelle charte a pour objectif de remettre ce pays sur les rails, après une décennie d’instabilité politique qui prend sa source dans l’accession au pouvoir, puis la destitution, du criminel et assassin de masse cautionné par les États-Unis, l’ancien président Thaksin Shinawatra. Si cette charte devait être adoptée, cela constituerait une nouvelle claque à la machine politique dans laquelle les États-Unis ont massivement investi pendant plus de dix ans, et contribuera un peu plus à leur recul géopolitique dans toute la zone asiatique.
Pendant que le régime de Recep Tayyip Erdogan en Turquie embastille des milliers d’opposants politiques et songe même à en exécuter un certain nombre, sans que cela ne provoque de protestation sérieuse de la part des hommes politiques et des médias occidentaux, la première arrestation supposée en Thaïlande déclenche, elle, un mini-tsunami dans les médias occidentaux, mettant ainsi en lumière le caractère biaisé et politiquement orienté du soi-disant journalisme occidental, et montre comment il essaie de manipuler l’opinion publique mondiale à chaque occasion qui lui en est donnée.
En coulisses
La police de Bangkok aurait détenu pour l’interroger l’épouse de l’ancien rédacteur en chef de l’agence de presse britannique Reuters, Andrew Marshall, avant de la relâcher dans le courant de la journée. Au milieu des gros titres hystériques qui ont suivi cet événement dans la presse occidentale, on trouve certains détails qui ont volontairement été laissés de côté.
Il apparaît que Marshall a été renvoyé de l’agence Reuters en 2011, après que lui et un collègue aient été surpris à se moquer des victimes de l’horrible catastrophe de Fukushima, au travers de plaisanteries racistes et misogynes. Une supplique longue de 10 pages a été écrite par Marshall lui-même, pour tenter de rejeter la responsabilité de ses plaisanteries sur la consommation de drogues et d’alcool, ainsi que sur une profonde maladie mentale. Depuis son renvoi de Reuters, il a œuvré comme lobbyiste pour le dictateur thaï soutenu par les États-Unis, Thaksin Shinawatra, ainsi que son violent mouvement de soutien des Chemises rouges, servant parfois même d’expert-à-la-demande pour relayer la propagande pro-Thaksin dans les médias américains, britanniques et australiens, toujours friands de descriptions flatteuses de Thaksin comme démocrate progressiste.
L’épouse de Marshall, Noppawan « Ploy » Bunluesilp [il est intéressant de noter que, bien qu’il s’agisse probablement d’un diminutif thaï, ploy en anglais signifie manigances, NdT], a continuellement assisté Marshall dans des tâches de traduction et de propagation de ses activités de lobbying, incluant la diffamation et des menaces envers le nouveau chef d’État de Thaïlande. Il convient de rappeler que la diffamation et les menaces envers quiconque, et d’autant plus envers un chef d’État, sont passibles de sanctions pénales, même dans les pays les plus libéraux.
Marshall se serait aussi associé à des terroristes armés travaillant pour le compte de Thaksin, qui sont impliqués dans quelques-uns des plus violents épisodes de la politique thaïlandaise des dix dernières années. Marshall et Ploy se mettent également régulièrement en scène, posant sur des photos avec le reste de l’équipe des lobbyistes de l’univers des médias et des universitaires aux ordres de Thaksin.
Le fait que Marshall et Ploy assistent et soutiennent le mouvement violent d’un criminel reconnu coupable est un délit en soi. Si Thaksin était un ennemi du gouvernement britannique, Marshall et Ploy n’auraient pas été seulement détenus par les forces de l’ordre britanniques, mais également condamnés par les tribunaux et incarcérés dans les prisons britanniques.
Immédiatement après la courte période d’interrogation par la police de Bangkok le 22 juillet, les agences de presse BBC, AFP, Associated Press, le journal The Guardian et la station de télévision de Singapour Channel News Asia ont, entre autres médias, fait leurs gros titres de « l’arrestation » sans mentionner aucun des faits mentionnés ci-dessus, et préférant présenter Marshall et Ploy comme les victimes innocentes d’une junte militaire brutale.
La rapidité avec laquelle cette campagne s’est répandue ne devrait surprendre personne. Beaucoup des journalistes concernés par cette affaire fréquentent le très select club privé de Bangkok géré par le soi-disant Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT), où ils se rassemblent régulièrement pour monter leurs campagnes médiatiques trompeuses, qui ont pour objectif d’attaquer les opposants aux intérêts spéciaux occidentaux non seulement en Thaïlande, mais dans le reste de l’Asie du Sud-Est.
Chacun des articles publiés au sujet de cette campagne médiatique concertée et montée de toute pièces a capitalisé sur le non-événement que constitue cette arrestation, pour répandre la désinformation sur l’actuelle crise politique que traverse la Thaïlande, manipulant l’opinion publique en faveur de Thaksin, pour faciliter sa tentative de revenir sur la scène politique.
Ces gesticulations ne sont qu’une parmi tant d’autres, dirigées non seulement contre la Thaïlande, mais aussi envers les autres nations asiatiques, dans une tentative désespérée de forcer la coopération, voire la capitulation des gouvernements de la région, sous la menace du contrôle des médias occidentaux de l’opinion publique, et leur capacité de l’orienter contre les gouvernements récalcitrants.
La couverture médiatique occidentale perd pied
Le processus de recul graduel de l’Occident en Asie du Sud-Est n’est pas simplement dû à l’expansion de l’influence chinoise, mais aussi à l’expansion de l’influence des pays en développement en général. Le monopole militaire et économique dont a joui l’Occident, et leur suprématie dans la sphère de l’information, ont lentement été érodés par des institutions et organisations concurrentes, ainsi que par l’émergence de centres de pouvoirs alternatifs.
Les médias alternatifs, ces chaînes, ces plateformes et ces journaux qui ne sont pas associés aux intérêts spéciaux basés à Washington, Londres ou Bruxelles, sont devenus des adversaires de taille pour l’Occident. Pour chaque tentative de gesticulation entreprise par les médias occidentaux contre une nation donnée, se déploient aujourd’hui des contre-mesures d’information révélant la vérité dans les coulisses, diluant ainsi l’impact de la désinformation, et au final redonnant l’initiative aux États qui font l’objet de ces attaques.
Il est désormais possible à tous d’apercevoir les coulisses de la désinformation occidentale, ainsi que la vraie personnalité de tous ceux à qui nous avons aveuglément fait confiance dans leur tâche de nous informer.
De nombreuses autres gesticulations sont à prévoir, au fur et à mesure que les États-Unis tentent de rétablir l’équilibre en leur faveur, dans ce processus de déclin de leur primauté en Asie. Plus on se rapproche du vote pour la Charte citoyenne en Thaïlande, et plus les groupes d’opposition soutenus par les États-Unis menacent d’embraser à nouveau les rues de Bangkok. L’Asie et les régions émergentes sur la scène internationale doivent continuer de chercher et d’investir dans les nouveaux outils utiles, pour neutraliser les tentatives occidentales afin de reprendre le dessus dans la guerre de l’information ou sur le théâtre des opérations militaires.
Tony Cartalucci
Tony Cartalucci est un chercheur et essayiste en géopolitique, basé à Bangkok, travaillant en particulier pour le magazine New Eastern Outlook.
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Cat pour Le Saker Francophone