Par M.K. Bhadrakumar – Le 17 février 2024 – Source Indian Punchline
Il n’y a pas de meilleure métaphore que celle utilisée par un analyste chinois pour caractériser l’OTAN en commentant la récente remarque de son secrétaire général, Jens Stoltenberg, disant que l’Occident ne cherche pas la guerre avec la Russie, mais doit néanmoins « se préparer à une confrontation qui pourrait durer des décennies« .
Le commentateur chinois a comparé Stoltenberg à un responsable d’une entreprise de pompes funèbres, « un magasin de cercueils, qui ne gagne pas d’argent en temps de paix« . En tant qu’entreprise de pompes funèbres, l’OTAN a besoin de conflits et d’effusions de sang pour gagner de l’argent. Elle sème donc la peur et la panique afin de s’assurer que ses pays membres continuent à contribuer au financement de l’armée.
La remarque de M. Stoltenberg est apparue dans une interview accordée au journal allemand Welt Am Sonntag le 10 février, peu après la célèbre interview du président russe Vladimir Poutine avec Tucker Carlson, au cours de laquelle le Kremlin a indiqué que la Russie n’avait pas refusé et ne refusait pas de négocier pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Stoltenberg a parlé au nom du Pentagone, sans aucun doute.
Moscou, qui a atteint une position inattaquable dans la guerre, n’est pas intéressée par une guerre à grande échelle pour réaliser ses objectifs, car à terme, l’Occident devra coexister avec la Russie. L’interview de Poutine avec Carlson a été soigneusement programmée, alors qu’il reste à peine quinze jours avant que la guerre n’entre dans sa troisième année.
Le « message » de Poutine selon lequel la Russie est ouverte au dialogue a pris Washington au dépourvu. D’une part, la bande passante de l’administration Biden est dominée par la crise israélo-palestinienne. D’autre part, le deuxième anniversaire de la guerre est marqué par une victoire éclatante des forces russes sur le champ de bataille dans la ville stratégique d’Avdiivka, dans l’est du pays, une porte d’accès à la ville de Donetsk, qui se trouve effectivement sur la ligne de front depuis 2014, date à laquelle le conflit dans le Donbass a commencé.
Toutes les tentatives des troupes russes pour liquider la grande base ukrainienne d’Avdiivka, qui menace la ville de Donetsk, avaient jusqu’à présent échoué. Avdiivka est la clé pour s’assurer le contrôle total des deux provinces orientales du Donbass – Donetsk et Luhansk. Non seulement sa prise remonte le moral des Russes, mais elle consolide également Donetsk en tant que centre logistique russe majeur pour les opérations ultérieures vers l’ouest, en direction du fleuve Dniepr.
Sur le plan politique, elle souligne que les forces russes progressent actuellement tout au long d’une ligne de front longue de presque 1000 km. Les militaires ukrainiens ont subi une déroute à Avdiivka.
La tentative de réélection de Joe Biden ne sera pas de tout repos si des nouvelles aussi pénibles continuent d’arriver d’Ukraine, soulignant la gravité du désastre de sa politique étrangère, alors que l’OTAN est confrontée à une nouvelle défaite humiliante après celle de l’Afghanistan. Donald Trump défie sans relâche Biden au sujet de la Russie, de l’Ukraine et de l’OTAN. Contrairement aux pronostics antérieurs, les élections américaines sont devenues l’un des facteurs les plus influents dans le conflit ukrainien.
L’évolution du Congrès américain vers un programme d’aide militaire à l’Ukraine est incertaine. Le principal obstacle a toujours été la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires. Outre le fait que le président républicain de la Chambre n’est pas pressé de déposer le projet de loi adopté par le Sénat, le Congrès est également sur le point de revenir à des politiques fiscales nationales, de sorte que le projet de loi sur l’aide étrangère pourrait tout simplement être relégué au second plan de la liste des priorités de l’agenda législatif.
Entre-temps, l’audience de la Cour suprême sur la candidature de Trump indique que les rumeurs selon lesquelles il pourrait être empêché de se présenter à la présidence ne sont que des vœux pieux. En d’autres termes, si Trump maintient son avance lors des primaires de Caroline du Sud le 24 février, la course républicaine sera pratiquement terminée et il sera le candidat présomptif du parti. Dans les sondages, Trump a également creusé l’écart avec Joe Biden.
Le flux financier vers l’Ukraine s’amenuise déjà et la morosité s’installe parmi les partisans de l’Ukraine en Europe, qui ont enfin découvert que Kiev n’est pas en train de gagner la guerre. La guerre par procuration de l’Occident, sans objectif de guerre clairement défini, signifie qu’il n’y a pas non plus de stratégie de sortie.
Une victoire de Trump exposerait gravement les partenaires européens. Il sera très difficile pour l’Europe de combler le déficit de financement. Les États-Unis ont jusqu’à présent engagé 71,4 milliards d’euros, dont plus de la moitié sous forme d’aide militaire. Le deuxième pays est l’Allemagne avec 21 milliards d’euros, suivi du Royaume-Uni avec 13,3 milliards d’euros. La Norvège arrive en quatrième position. Paradoxalement, alors que les trois principaux donateurs européens sont tous membres de l’OTAN, seule l’Allemagne est membre de l’Union européenne.
Et l’Allemagne n’est pas assez grande pour combler à elle seule le vide laissé par les États-Unis. Mais le plus grand obstacle à une réponse européenne commune est l’absence de terrain d’entente entre la France et l’Allemagne. La relation spéciale franco-allemande est largement devenue un artefact historique. Les deux géants de l’UE poursuivent des stratégies économiques incompatibles – en matière de politique fiscale et d’énergie nucléaire – et leurs économies divergent, tout comme leurs politiques et leurs stratégies de défense.
Le chancelier Olaf Scholz a réorienté la coopération allemande en matière de défense, délaissant la France au profit des États-Unis. La lutte de pouvoir entre les deux plus grandes puissances de l’UE, qui trouve son origine dans le manque d’atomes crochus entre le président français Emmanuel Macron et Scholz, s’est transformée en un antagonisme qui se manifeste par deux visions différentes du monde.
Le concept d' »autonomie stratégique » de Macron, qui appelle l’Europe à ne pas dépendre de puissances extérieures dans des domaines vitaux qui pourraient lui donner une influence politique, se heurte à la dépendance historique de l’Allemagne à l’égard du parapluie militaire américain (dont la France n’a pas besoin).
Après une rencontre avec Biden à la Maison Blanche à Washington le 9 février, Scholz déclarait : « Ne tournons pas autour du pot : le soutien des États-Unis est indispensable si l’Ukraine veut être capable de se défendre. » Scholz s’est prononcé en faveur d’une augmentation de l’aide militaire à l’Ukraine, soulignant la nécessité impérieuse d’envoyer un « signal très clair » à Poutine.
Selon lui, « nous devons montrer qu’il (Poutine) ne peut pas compter sur un affaiblissement de notre soutien« . Scholz a ajouté : « Le soutien que nous apporterons sera suffisamment important et durera suffisamment longtemps« . En créant une atmosphère de guerre, l’Allemagne cherche à maintenir la pertinence et la stabilité financière de l’OTAN à travers le conflit en Ukraine.
Biden a répondu à Scholz en ronronnant comme un chat qui manifeste son plaisir. Biden accueillera ensuite le président polonais Andrzej Duda et le premier ministre Donald Tusk pour une réunion à Washington le 12 mars. Les États-Unis redynamisent leur coalition avec l’Allemagne et la Pologne en vue de la prochaine phase de la guerre en Ukraine. La France se tient à l’écart, tandis que la Grande-Bretagne est dans le coma.
En clair, si le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’imagine pouvoir gagner cette guerre, l’OTAN s’imagine qu’elle fera tout ce qu’il faut pour y parvenir. Mais l’argent du croque-mort s’épuise et la poursuite de ses activités dépend de la prolongation de la guerre.
Le voile s’est levé sur le récit occidental – cette guerre n’a jamais porté sur l’Ukraine. L’image d’ennemi de la Russie est devenue la pierre angulaire de l’existence et de la fonction même de l’OTAN.
Il est certain qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne de recevoir des ordres d’un entrepreneur de pompes funèbres. Le célèbre éditeur allemand Wolfgang Münchau a récemment écrit sur « une désorientation générale en Allemagne qui accompagne les changements géopolitiques et sociaux » se manifestant dans l’économie chancelante, la désindustrialisation en cours et l’absence d’une stratégie post-industrielle pour le pays en tant que tel.
Il est clair que l’intérêt européen est d’assurer sa propre défense et de faire la paix avec la Russie afin de se concentrer sur l’économie. Les Allemands eux-mêmes sont en conflit avec cette guerre. Scholz n’est pas un homme de charisme ou de grandes idées, note Münchau, et l’opinion publique allemande ne lui fait plus confiance. Mais il y a aussi « un problème plus profond : ce n’est pas vraiment Scholz. C’est que l’Allemagne est devenue beaucoup plus difficile à diriger« .
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.