Par Sputnik News – Le 24 septembre 2016.
Il est un peu difficile de croire que l’attaque menée par l’aviation étasunienne sur l’Armée arabe syrienne n’était qu’un simple accident, fait remarquer le professeur Stephen F. Cohen, avertissant que le parti étasunien de la guerre, qui est catégoriquement opposé à toute coopération avec la Russie, devient de plus et plus influent à Washington.
Le parti de la guerre étasunien est «catégoriquement opposé» à toute coopération avec la Russie, a fait remarquer Stephen F. Cohen, professeur émérite d’études russes à l’Université de Princeton et à l’Université de New York, en commentant les récents développements en Syrie pendant l’émission John Batchelor Show : «[Ce qui est important à dire est que] l’attaque contre les forces syriennes [à Deir ez-Zor], que l’US Air Force a admise en prétendant que ce n’était qu’un accident, et l’attaque contre le convoi humanitaire destiné aux plus démunis d’Alep et de la région (et qui fut attaqué, nous ne savons pas par qui) […] – ces deux évènements sont liés à l’accord [de cessez le feu].»
L’accord précise que si, pendant sept jours, les conditions convenues ont été respectées – et cet accord inclut un cessez-le-feu dans diverses régions et l’aide humanitaire à Alep – à la fin de ces sept jours, quelque chose non pas d’historique mais d’extrêmement important se produirait : les États-Unis et la Russie se regrouperaient militairement et, ensemble, mèneraient une guerre aérienne contre les différents terroristes sévissant en Syrie.
L’importance de cela ne peut pas être surestimée, souligne l’universitaire américain. Il a pointé le fait que ce serait la première véritable coopération militaire entre Moscou et Washington, depuis qu’une nouvelle guerre froide a commencé il y a plusieurs années. Cohen a souligné que cela pourrait conduire à la coopération dans d’autres régions, y compris dans la région baltique où l’OTAN renforce sa présence militaire et en Ukraine. Cependant, a noté l’universitaire américain, il y a des forces à Washington qui cherchent à perturber cette détente américano-russe.
Compte tenu du fait que les avions de guerre américains connaissaient très bien la région de Deir ez-Zor et que le Département américain à la Défense (DOD) avait ouvertement exprimé son scepticisme à l’égard du plan américano-russe sur la Syrie, il est «un peu difficile de croire» que l’attaque contre l’armée arabe syrienne ait été un «accident», a suggéré le professeur Cohen.
Il a cité l’éditorial du New York Times disant que «au Pentagone, les fonctionnaires ne seraient même pas d’accord qu’en cas de cessation de violence en Syrie pendant sept jours – la première partie de l’accord – le Département de la Défense respecterait sa part de l’accord sur le huitième jour». L’éditorial a également fait référence à Carter, «qui a de profondes réserves au sujet du plan prévoyant que les forces américaines et russes ciblent conjointement des groupes terroristes».
«En d’autres termes, a déclaré Cohen, les responsables du Pentagone ont refusé de dire si ils obéiraient au président Obama». L’universitaire américain a souligné que dans une démocratie constitutionnelle où l’armée est clairement subordonnée à la direction civile, cet évènement est extraordinaire. «Nous sommes arrivés à un point dans cette folie, dans cette nouvelle guerre froide avec la Russie, où le DOD est en train de laisser ouvertement entendre qu’il pourrait ou pourrait ne pas obéir au président Obama. Si le DOD dit cela publiquement, vous pouvez imaginer l’opposition à Washington contre l’accord syrien, que le [secrétaire d’État américain John] Kerry a négocié avec le ministre russe des Affaires étrangères [Sergueï] Lavrov», souligne le professeur Cohen.
Le professeur fait remarquer que l’opposition à cet accord réunit des personnages très influents du Pentagone, du Département d’État américain, des partis tant démocrate que républicain et des médias traditionnels étasuniens.
Il a rappelé qu’une telle situation n’est pas nouvelle : au cours de la précédente guerre froide, le parti de la guerre étasunien avait à plusieurs reprises bloqué une éventuelle détente russo-américaine. Cohen a établi des parallèles historiques entre l’attaque de Deir ez-Zor et l’incident du U-2 en 1960, quand un avion espion américain U-2 a été abattu dans l’espace aérien soviétique. Ce qui est remarquable, à propos de cet épisode historique, est qu’il a eu lieu alors que le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev et Dwight D. Eisenhower cherchaient une détente. L’incursion de l’avion, dirigée par la CIA, avait ruiné la possibilité d’un rapprochement américano-soviétique, nous explique le professeur américain.
Aujourd’hui, alors que la Russie s’oppose à l’idée des néo-conservateurs américains d’un ordre mondial unipolaire dirigé par le parti de guerre américain, ce dernier est déterminé à faire tout ce qu’il faut pour isoler la Russie.
Des analystes russes font écho au Professeur Cohen : selon Stanislav Tarasov, expert russe et chef du groupe de réflexion Moyen-Orient-Caucase, l’attaque de Deir ez-Zor ainsi que l’attaque contre le convoi humanitaire de l’ONU pourraient être les deux liens d’une seule et même chaîne. Selon Tarasov, le Pentagone aurait délibérément tenté de saper l’accord américano-russe sur la Syrie.
Pour sa part, Evgueni Satanovski, directeur de l’Institut du Moyen-Orient, basé à Moscou, a exprimé des doutes quant au fait que le raid aérien de la coalition américaine soit juste un accident. L’expert a souligné que l’attaque est probablement le reflet de la lutte permanente entre l’armée américaine et les établissements diplomatiques et une tentative par le Pentagone de «montrer au Département d’État qui est le patron».
L’analyste politique Alexander Khrolenko de RIA Novosti a suggéré que certaines forces essayaient évidemment de remettre en question l’initiative américano-russe de Genève et de faire pencher la balance en leur faveur. Il a évoqué le fait que les partenaires des États-Unis au Moyen-Orient ont récemment intensifié leur activité dans la région. «Il semble qu’une nouvelle répartition des sphères d’influence soit sur les cartes, et une solution diplomatique [à la crise syrienne] devient de plus en plus improbable», suppose Khrolenko.
Article original publié dans Sputnik News
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
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