La techno-tyrannie de la NSA : la nation sous surveillance

«...Aussi, la leçon à tirer concernant la NSA et son vaste réseau intérieur d’agents-espions est celle-ci : une fois qu’on autorise le gouvernement à enfreindre la loi, quelle qu’en soit la justification, louable ou non, on renonce au contrat social qui veut que le gouvernement travaille pour le peuple et n’obéit qu’à lui, l’ultime bénéficiaire.»

Par John W. Whitehead – Le 26 mai 2015 – LewRockwell

«L’objectif ultime de la NSA, c’est le contrôle total de la population.» William Binney, lanceur d’alerte sur la NSA

Le gouvernement repose désormais sur un quatrième pilier.

Comme je l’ai documenté dans mon nouveau livre Battlefield America: The War on the American People, ce quatrième pilier est apparu sans qu’aucun mandat électoral ou référendum constitutionnel ne soit tenu, et pourtant il possède des pouvoirs phénoménaux, au-delà de ceux de n’importe quelle agence gouvernementale, à l’exception de l’armée.

Il est omniscient et omnipotent. Il agit dans des sphères qui dépassent le pouvoir du président, du Congrès et des tribunaux, et évolue main dans la main avec l’élite capitaliste, celle-là même qui tire les ficelles à Washington, DC.

Vous pourriez qualifier ce quatrième pouvoir de surveillance d’État, mais je préfère techno-tyrannie, une notion conçue par le journaliste d’investigation James Bamford, qui voulait se référer à une ère de tyrannie des technologies, notamment des techniques de communication, rendue possible par les mensonges d’État, ses secrets inavouables, l’espionnage de masse, et les liens qu’il entretient avec les grandes entreprises.

Prenez garde à ce que vous dites, à ce que vous écrivez, où vous allez et avec qui vous conversez, parce que tout est enregistré, conservé et potentiellement utilisable contre vous, si le gouvernement le décide. La vie privée comme on la conçoit habituellement, c’est fini.

La police – dans son rôle et ses attributs – est sur le point de passer la main à la surveillance d’État. Après avoir déjà transformé la police locale en une sorte d’appendice de l’armée, le département de la Sécurité intérieure, le département de la Justice et le FBI se préparent à transformer les quasi-soldats que sont devenus les policiers nationaux en espèce de techno-guerriers, porteurs d’appareils pour scanner l’iris et le corps humain, de caméras thermiques, ou de radars à effets Doppler (pour capter des mouvements derrière des murs), de programmes de reconnaissance faciale, de lecteurs de plaques d’immatriculation (branchés sur des bases de données pour avoir immédiatement le nom du propriétaire), d’appareils captant les appels reçus depuis un cellulaire, et tant d’autres encore.

C’est en substance le nouveau visage de la police aux USA.

L’Agence de sécurité nationale (NSA) a bien brouillé les pistes, en nous cachant l’ambitieux projet du gouvernement visant à nous laisser sans défense face aux instruments d’espionnage. En fait, bien avant que la NSA ne soit cette agence qu’on adorait détester, le département de la Justice, le FBI et l’administration anti-drogue étaient déjà en train de mener un projet de surveillance de masse sur une population à priori sans histoires.

Désormais, toutes les agences du gouvernement, de la plus petite officine du service postal jusqu’au département du Trésor, et tout ce qu’il y a entre les deux, se sont vu attribuer un domaine de surveillance, et autorisées à espionner le peuple américain. Et puis, vient la synthèse de toutes ces données – au sein de centres dits anti-terroristes – données qui peuvent provenir du plus bas échelon gouvernemental : police, médecins d’hôpitaux publics, transport public, etc. Ces informations deviennent ainsi accessibles aux huiles qui décident pour nous. Et bien sûr, nous n’évoquons même pas la complicité des grandes entreprises multinationales, pour pomper dans cette mine d’informations jusqu’à ce qu’elles sachent tout, elles qui nous nourrissent, nous lavent et nous blanchissent depuis le berceau jusqu’à la tombe

Le débat qui fait rage sur l’avenir des programmes de surveillance domestique en place – totalement illégaux et anti-constitutionnels – n’est rien d’autre que du vent, ce que Shakespeare appelait «du bruit et de la fureur, qui n’a aucun sens».

De fait, ça ne mène nulle part : la législation, les révélations, les comités de réflexion et l’obstruction législative [filibustering] : effet zéro.

Le gouvernement ne va pas lâcher, ni laisser tomber. Ça fait longtemps qu’il a cessé d’écouter le peuple. Il a cessé depuis longtemps d’obéir à « We, the people » [«Nous,  le peuple», premiers mots introduisant le texte de la Constitution des USA de 1787, NdT].

Si vous n’avez pas encore compris le film, je vous donne le résumé : les manœuvres militaires, la surveillance, la militarisation policière, les fouilles au corps, les contrôles inopinés dans la rue, les immobilisations forcées pour vérification d’identité, et même les caméras intégrées à l’uniforme des policiers, tout ça n’a strictement rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. En fait, l’objectif réel est la mise sous contrôle des populations.

Malgré le fait que cet espionnage se soit révélé inefficace à détecter, encore moins à arrêter, une quelconque attaque terroriste, la NSA continue d’opérer, essentiellement en secret, conduisant sa surveillance de masse sans aucun mandat, sur des centaines de millions d’appels téléphoniques, courriels, messages des États-uniens, libre de toute supervision émanant du Congrès ou des contribuables, forcés de financer un budget de plusieurs milliards de dollars dédié à des opérations clandestines.

Une législation comme le Patriot Act sert uniquement à légitimer les actes d’une agence secrète dirigée par un gouvernement de l’ombre. Même la proposition dite American Freedom Act – rejetée depuis – qui visait à restreindre la portée du programme de surveillance téléphonique de la NSA, au moins en théorie, en la contraignant à obtenir un mandat avant d’opérer sur les citoyens US et en lui interdisant de conserver des données privées, devait finir en eau de boudin : des menaces, mais jamais vraiment sérieuses.

La question de savoir comment se positionner par rapport à la NSA – une institution qui évolue hors du cadre constitutionnel de la séparation des pouvoirs – incarne une problématique qui divise jusqu’à ceux qui depuis le début s’opposent aux surveillances sans mandats de la NSA, nous obligeant tous autant que nous sommes – les cyniques, les idéalistes, les politiciens et les réalistes du même acabit – à nous débattre avec une soi-disant solution politique, insatisfaisante et douteuse, devant régler un problème qui dépasse la capacité des électeurs et des politiciens à le sanctionner par le vote : comment faire confiance à un gouvernement qui nous ment, qui triche, qui vole, qui viole la loi et qui s’octroie une impunité infaillible face à la loi, loi à laquelle il est censé être soumis ?

Depuis ses débuts officiels en 1952, quand le président Harry S. a émis l’ordre secret de constituer une agence qui serait le centre névralgique des activités des services secrets gouvernementaux à l’étranger, la National Secret Agency – dont l’acronyme a très aussitôt pastiché en No Such Agency – a opéré secrètement sans en rendre compte au Congrès, tout en utilisant les dollars des contribuables pour financer ces opérations. Ce n’est qu’en 1969, quand l’agence s’est enflée jusqu’à 90 000 agents – devenant ainsi la plus grande agence de renseignements au monde, avec une importance considérable hors du district de Washington qu’il est devenu difficile de nier son existence.

Juste après l’affaire du Watergate en 1975, le Sénat s’est réuni en commissions, conduites par un comité présidé par Frank Church, afin de déterminer quelle était la nature des activités illégales dans lesquelles cet organe de renseignements états-unien était impliqué, sous la direction du président Nixon, et comment de futures violations de la loi pouvaient être évitées. C’était la première fois depuis sa création que la NSA était soumise à un examen public de ses activités.

L’enquête a révélé l’existence d’une opération sophistiquée dont les projets constitutifs ne s’embarrassaient pas de choses aussi triviales que, par exemple, la Constitution. Par exemple, dans le cadre du projet SHAMROCK, la NSA a espionné les télégrammes depuis et vers les USA, ainsi que la correspondance de citoyens US. Qui plus est, comme le Saturday Evening Post le relate, «Avec le projet MINARET, la NSA suivait les communications des dirigeants des droits civils et opposants à la guerre du Vietnam, incluant des cibles telles Martin Luther King, Jr., Mohammed Ali, Jane Fonda et deux autres sénateurs US en poste. Initialement, l’agence avait lancé ce programme pour pister des terroristes supposés et des trafiquants de drogue, mais les présidents qui se sont succédé l’ont utilisée pour traquer tous leurs opposants politiques potentiels.»

Le sénateur Frank Church (D-Ida.), qui présidait le comité restreint qui a enquêté sur les activités de renseignements de la NSA, devait comprendre clairement les dangers inhérents au fait d’autoriser le gouvernement à outrepasser ses prérogatives au nom de la sécurité nationale. Church a reconnu que de telles capacités de surveillance «peuvent être retournées contre les citoyens US, et aucun citoyen ne conserverait une quelconque vie privée ; les conversations téléphoniques, les télégrammes : ça ne compte pas. La capacité à espionner est telle qu’aucun endroit ne nous met à l’abri».

Faisant remarquer que la NSA pourrait mettre à la tête de l’État un dictateur «qui imposerait une tyrannie absolue» à une société états-unienne complètement sans défense, Church a déclaré qu’il «ne voulait pas voir ce pays aller à l’encontre» de la protection constitutionnelle, de la supervision du Congrès et de l’exigence du droit à la vie privée. Il a confié que ce nous, impliquant aussi bien le Congrès que ses circonscriptions pour cette tâche, «doit s’assurer que cette agenc,e et toutes les autres usant de ces instruments de surveillance, opèrent dans le cadre de la loi et sous une supervision appropriée, afin que jamais nous ne tombions dans ces abîmes. Des abîmes dont on ne revient pas».

Le résultat  été l’adoption du décret appelé Foreign Intelligence Surveillance (FISA), et la création d’un tribunal de la FISA, visant à superviser et corriger la façon dont les informations de renseignements sont collectées et classées. La loi exige que la NSA reçoive l’accord du tribunal de la FISA, qui se réunit sous le sceau du secret, avant qu’elle ne puisse mener ses surveillances sur les citoyens US. Un rapide inventaire jusqu’à ce jour nous fait penser que cette pseudo-solution au problème posé par des institutions engagées dans des écoutes illégales et injustifiées, c’est à dire le tribunal de la FISA, est devenue involontairement le catalyseur de telles activités, donnant son aval à presque toutes les requêtes de mandats de surveillance qui lui furent soumises.

Les attaques du 11 septembre ont représenté un point d’inflexion dans le cours de notre histoire nationale, nous propulsant dans une époque où les activités gouvernementales immorales et/ou illégales telles que la surveillance, la torture, les fouilles au corps, les opérations de commandos sont jugées comme faisant partie de la croisade nécessaire pour rester en sécurité.

Juste après les attaques du 11 septembre, George W. Bush a secrètement autorisé la NSA à mener une surveillance sans mandat des appels téléphoniques et courriels des citoyens états-uniens. Ces programmes d’écoutes et d’espionnage informatique sont supposés avoir été interrompus en 2007, après que le New York Times a révélé l’affaire, suscitant l’indignation de la population.

Rien n’a changé avec Barack Obama. En fait, les violations ont empiré, avec l’autorisation pour la NSA de collecter secrètement des données téléphoniques et d’internet sur des millions de citoyens US, ainsi que sur des gouvernements étrangers.

Ce n’est qu’avec les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden en 2013, que le peuple américain a pleinement découvert l’étendue de la trahison qu’il subissait à nouveau.

Ce que ce bref aperçu de l’histoire de la NSA fait apparaître, c’est qu’on ne peut pas la réformer.

Tant qu’on permet au gouvernement de se moquer de la loi – que ce soit la Constitution, le décret FISA ou toute loi visant à limiter la portée de ses privilèges ou à les restreindre – et d’opérer en secret, en se reposant sur des tribunaux à huis clos, des caisses noires et des interprétations confidentielles des textes de lois nationales, il n’y aura pas de réformes.

Des présidents, des politiciens et des jugements de tribunaux se sont succédé durant 60 années d’activités de la NSA, et aucun n’est parvenu à mettre définitivement un terme à la techno-tyrannie de la NSA.

La tension croît, et se ressent de plus en plus à travers le pays. D’un côté, il y a ceux qui exercent le pouvoir – le gouvernement le président, le Congrès, les tribunaux, l’armée, la police militarisée, les technocrates, les bureaucrates sans visages et sans mandat qui obéissent aveuglément et appliquent les ordres et directives venant d’en haut, et qu’importe si ces réglementations sont immorales ou injustes, et aussi les multinationales. De l’autre côté, on trouve de plus en plus de gens parmi la population, qui prend enfin conscience de l’injustice criante, de la corruption endémique et de cette gouvernance implacable qui n’a pas de fin, transformant notre pays en un État policier et technocratique.

À chaque fois, nous avons été handicapés dans notre démarche pour plus de transparence, de responsabilité et de représentativité démocratique, par la culture du secret de l’élite installée au pouvoir : agences de renseignement, expérimentations confidentielles, bases militaires secrètes, espionnage, caisses noires, décisions de tribunaux tenues secrètes; tout cela existe hors de notre entendement, et opère à notre insu, sans comptes à rendre à we the people.

Ce que nous n’avons pas perçu pleinement, c’est que la NSA n’est qu’un maillon d’une sorte de gouvernement de l’ombre permanent, composé de bureaucrates sans mandat public qui travaillent main dans la main avec les grandes entreprises qui accumulent le capital, celles-là même qui dirigent effectivement Washington, et qui œuvrent à nous garder sous surveillance, et donc sous contrôle.

Par exemple, Google travaille ouvertement pour la NSA, Amazon a constitué une base de données pour la CIA, au travers d’un système informatique valant 600 millions de dollars, et les industries de la télécommunication s’engraissent largement en nous espionnant pour le compte du gouvernement.

En d’autres termes, les multinationales monopolistiques aux USA réalisent de plantureux profits en aidant et en encourageant le gouvernement dans ses efforts de surveillance à l’intérieur de ses frontières. Sans surprise, comme l’indiquait The Intercept récemment, de nombreux défenseurs de la NSA, parmi les plus bruyants, ont des liens financiers avec des contractants de la NSA.

Aussi, si ce régime du secret non seulement existe mais prospère, c’est parce que nous le lui avons permis par notre ignorance, notre apathie et la naïve confiance placée en des politiciens qui prennent leurs directives du monde des affaires US plutôt que de la Constitution.

Si ce gouvernement de l’ombre demeure, c’est parce que nous n’avons pas été suffisamment outragés dans nos droits pour lui faire lâcher prise et mettre un terme à ses menées autoritaires.

Et si cette bureaucratie de non-élus réussit à piétiner les derniers vestiges de notre vie privée et de notre liberté, ce sera parce que nous nous sommes laissés bercer par l’illusion que la vie parlementaire est encore vivante, que le vote fait la différence, que les politiciens représentent la citoyenneté dans ce qu’elle a de plus pur, que les cours et tribunaux sont mus par des sentiments de justice, et que tout ce qui est fait, est fait dans notre intérêt.

De fait, le politologue Michael J. Glennon n’en fait pas mystère, vous pouvez voter comme vous l’entendez, mais les personnes que vous élisez ne sont pas celles qui tirent les ficelles. «Le peuple des USA est induit en erreur quand on lui fait penser que […] les institutions qui incarnent le gouvernement sont celles qui effectivement conduisent la politique de sécurité nationale, déclare Glennon.  Ils croient que quand ils votent pour un président ou un membre du Congrès, ou qu’ils réussissent à amener les tribunaux à se pencher sur leurs affaires, la direction de la politique va évoluer. Mais la politique, surtout dans le domaine de la sécurité nationale, demeure la chose des institutions de l’ombre.»

En d’autres mots, qu’importe qui occupe la Maison Blanche : le comportement du gouvernement de l’ombre, avec ses agences secrètes, ses caisses noires et ses programmes confidentiels ne va pas être modifié par un vote. Il continuera à œuvrer dans l’ombre, jusqu’à ce qu’un lanceur d’alerte survienne et dévoile un peu des mystères qui nous entourent, et nous, diligemment mais le temps d’un soupir, nous jouons les vierges effarouchées, et une fois de plus, nous exigerons des coupables en ruant dans les brancards, le tout entraînant assez logiquement de bien piètres avancées.

Aussi, la leçon à tirer concernant la NSA et son vaste réseau intérieur d’agents-espions est celle-ci : une fois qu’on autorise le gouvernement à enfreindre la loi, quelle qu’en soit la justification, louable ou non, on renonce au contrat social qui veut que le gouvernement travaille pour le peuple et n’obéit qu’à lui, l’ultime bénéficiaire.

Une fois que le gouvernement commence à opérer hors du cadre de la loi, seul juge de ses décisions, il n’est pas possible de l’arrêter, à moins d’une révolution. Et quand je dis révolution, je veux dire en finir avec tout le système dans son ensemble, parce que la corruption et la culture de l’illégalité se sont répandues partout.

John W. Whitehead est avocat constitutionnaliste, et écrivain,  fondateur et président de« The Rutherford Institute ». Il est l’auteur de «A Government of Wolves: The Emerging American Police State and The Change Manifesto (Sourcebooks).

Traduit par Geoffrey, relu par jj pour le Saker Francophone

 

 

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