La Russie fait de l’Iran son multiplicateur de force


La belligérance occidentale n’a laissé à l’Iran d’autre choix que de s’allier à la Russie et au projet eurasien.


Par Alastair Crooke – Le 20 novembre 2022 – Source Al Mayadeen

On entend beaucoup parler ces jours-ci, surtout du côté de Washington, d’armes nucléaires tactiques et de la crainte que la Russie ne les utilise (bien que Moscou ait exclu cette possibilité).

Pourtant, c’est peut-être moins connu, mais les armes nucléaires tactiques sont aujourd’hui dépassées. Comment cela ? Eh bien, nous ne parlons pas ici des armes nucléaires stratégiques, qui sont destinées à la dissuasion et non à l’utilisation (sinon = Armageddon).

Les armes nucléaires tactiques ont été conçues à l’origine comme une option permettant de compenser l’absence (à l’époque) de missiles de précision. On considérait que leur importance résidait dans la vaste empreinte de destruction créée, qui rendait la précision moins pertinente.

C’était autrefois. Aujourd’hui, cependant, les États disposent d’armes hautement précises (précision d’un mètre ou deux). En mars dernier, l’utilisation des missiles hypersoniques de haute précision Kinzhal de la Russie a complètement rasé un bunker d’armes profond et une vaste base d’entraînement en Ukraine, près de la frontière polonaise, sans qu’il soit nécessaire d’aller plus loin. (L’effet cinétique de la frappe hypersonique les a effectivement transformés en destructeurs de bunkers).

Voici maintenant les nouvelles de jeudi dernier : l’Iran dit qu’il a développé un missile hypersonique. Le général Hajizadeh a déclaré que le missile balistique hypersonique de l’Iran peut atteindre plus de cinq fois la vitesse du son, et que très peu de pays dans le monde possèdent cette capacité. « Il sera capable de déjouer tous les systèmes actuels de défense antimissile – soulignant qu’aucun système anti-aérien capable de les intercepter n’a encore été développé par une nation étrangère. Ce missile représente un grand saut générationnel dans le domaine des missiles » , a ajouté le commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique.

Quelques jours auparavant, l’Iran avait également annoncé avoir lancé dans l’espace un missile balistique transportant un satellite. Si tel est le cas, l’Iran dispose désormais de missiles balistiques capables d’atteindre non seulement « Israël » , mais aussi l’Europe.

En d’autres termes, l’Iran est déjà un État au seuil nucléaire (mais pas un État doté d’armes nucléaires). La remarquable réalisation technique que représente la production d’un missile hypersonique de haute précision (qui échappe encore aux États-Unis) constitue un changement de paradigme.

Les armes nucléaires stratégiques n’ont aucun sens dans un petit Moyen-Orient à la population très hétérogène et donc il n’y a aucune raison pour que l’Iran devienne un État doté de l’arme nucléaire. Une capacité de missiles balistiques hypersoniques rend les armes nucléaires tactiques superflues. Et les missiles hypersoniques sont plus efficaces et plus faciles à déployer.

On rapporte également que l’Iran est sur le point de recevoir 60 avions SU-35, ce qui n’est qu’une partie de l’évolution rapide de la relation entre l’Iran et la Russie, qui a été scellée cette semaine par la rencontre du secrétaire du Conseil de sécurité russe, Patrushev, avec Ali Shamkhani, son homologue iranien, à Téhéran la semaine dernière. Ce dernier aurait mis l’accent sur une action commune contre les sanctions, ainsi que sur une coopération stratégique technique et économique.

Le président Raïssi a ensuite précisé que Téhéran et Moscou portaient leurs relations à un niveau « stratégique » , ce qui constitue « la réponse la plus décisive à la politique de sanctions et de déstabilisation menée par les États-Unis et leurs alliés » .

Parallèlement, à la suite du gel des pourparlers du JCPOA (dont les perspectives ont toujours été incertaines), l’UE a effectivement brûlé tous les ponts avec l’Iran (en promettant encore plus de sanctions), et les États-Unis se sont déchaînés contre l’Iran dans un effort majeur de psy-ops.

La belligérance occidentale n’a laissé à l’Iran d’autre choix que de se rapprocher de la Russie et du projet eurasien.

Les États-Unis sont manifestement mécontents : tout d’abord, l’Iran va partager sa longue expérience des sanctions avec la Russie et coopérer conjointement sur les moyens de les contourner. Et deuxièmement, comme l’a noté Patrushev : « Nous notons le rôle clé joué par les services secrets occidentaux dans l’organisation d’émeutes de masse en Iran – et la diffusion ultérieure de désinformation sur la situation dans le pays via les médias occidentaux en langue perse qui sont sous leur contrôle. Nous considérons cela comme une ingérence manifeste dans les affaires intérieures d’un État souverain » .

Eh bien… la réponse de Washington aux déclarations de Téhéran est montée d’un ton : « C’est une alliance qui s’approfondit et que le monde entier devrait considérer comme une menace profonde… C’est une relation qui aura des implications, qui pourrait avoir des implications au-delà de tous les pays » , a averti Ned Price, ajoutant que Washington travaillera avec ses alliés « pour contrer les liens militaires russo-iraniens » .

Et comment cela pourrait-il affecter « Israël » ? C’est un casse-tête.

Les États-Unis ne toléreront pas une initiative israélien visant à les entraîner dans une frappe militaire dirigée par Israël contre l’Iran (surtout à la lumière de l’obtention par les Démocrates d’une majorité au Sénat), la question se pose donc : que pourrait faire Netanyahou, en faisant cavalier seul ?

La sortie des États-Unis du JCPOA et leur imposition de sanctions n’ont pas fonctionné, mais ont plutôt atteint les objectifs opposés : l’Iran ne s’est pas rendu, il est devenu encore plus déterminé.

Et il est difficile d’échapper à la conclusion que le passage d’« Israël » à sa phase opérationnelle – assassinat de scientifiques, sabotage de livraisons d’équipements critiques, cyber-guerre et attentats à la bombe – a également échoué.

Netanyahou se trouve donc coincé entre le « marteau » de Biden (pour qui Netanyahou est loin d’être un favori) et l’ « enclume » de Moscou, qui a assez à faire en Ukraine et ne veut pas que Netanyahou se lance dans des « aventures » dans la région.

Il semble que Bibi devra trouver d’autres moyens que de jouer à des jeux dangereux avec l’Iran pour retirer l’épée de Damoclès juridique (son procès pour corruption en « Israël ») qui pend au-dessus de sa tête. Tous ces éléments semblent plutôt susceptibles de le pousser à l’inaction.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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