«...Les bénéfices d’un rapprochement seraient énormes, mais la myopie et la vanité de la classe politique polonaise le rendent très improbable...
La réalité est qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment qu’aujourd’hui pour un rapprochement fondamental entre la Pologne et la Russie.»
Par Alexander Mercouris – Le 27 mai 2015 – Source Russia Insider
La défaite électorale subie par le président polonais Komorowski a été un choc pour les élites polonaises et européennes.
Elle ne m’a pas surpris.
La Pologne fait l’objet de nombreux articles louangeurs dans les médias occidentaux, ce qui reflète la vision très favorable que les Occidentaux ont de la Pologne.
Le parti de Komorowski, l’Union civique, avec sa position fortement pro-européenne, est très bien considéré dans les capitales occidentales, en particulier par comparaison avec les relations que de nombreux dirigeants occidentaux entretenaient avec les précédents dirigeants de la Pologne, les frères Kaczynski.
Cette presse très favorable a toutefois masqué des problèmes rarement abordés à l’Ouest.
Malgré que l’économie de la Pologne est bien considérée, le taux de chômage obstinément élevé (deux fois le niveau de la Russie, avec un chômage des jeunes particulièrement important) suggère des problèmes structurels profonds, qui font mentir l’image idyllique. Ce chômage élevé a conduit à son tour à une émigration importante chez les jeunes, qui semblent peu susceptibles de revenir au pays.
Baignant dans les louanges occidentales, les élites polonaises ont montré peu d’intérêt à traiter ce problème. Cette complaisance a dû susciter chez de nombreux Polonais le sentiment que leur classe dirigeante est éloignée d’eux et ne s’intéresse pas à eux, ce qui ne peut pas avoir aidé Komorowski. Bien qu’il ne soit pas le seul dans ce cas, le fait qu’il ait été le président sortant aura inévitablement concentré le ressentiment sur lui. Et les liens qui lui ont été prêtés – peut-être injustement – avec des faits de corruption ne l’ont certainement pas aidé non plus.
Que la complaisance de la classe dirigeante dans son ensemble soit le problème est confirmé par le faible taux de participation (48% au premier tour) et le résultat étonnamment haut, de 20.8%, obtenu au premier tour par le candidat indépendant Pawel Kukiz.
Malheureusement, il semble y avoir peu de perspectives de changement. Le vainqueur de l’élection, Andrzej Duda du Parti Loi et justice, fait autant partie de la classe politique que Komorowski. Sur les grandes questions, du moins vu de l’extérieur, il diffère peu de Komorowski, sinon qu’il est peut-être un peu plus méfiant à l’égard de l’Union européenne.
Sur la politique envers la Russie, il est impossible de déceler une quelconque différence fondamentale entre Komorowski et Duda. Tous deux partagent le même antagonisme à l’égard de la Russie. Peut-être Duda est-il un peu plus intransigeant que Komorowski. Lorsque la Pologne était dirigée par les frères Kaczynski (les prédecesseurs de Duda comme chefs du parti Loi et justice), les relations avec la Russie ont atteint un minimum absolu.
Moscou est sans doute heureux de voir partir Komorowski. Cependant, l’affirmation que Moscou voulait effectivement la victoire de Duda est tirée par les cheveux.
Cet antagonisme polonais permanent à l’égard de la Russie est tragique et constitue aussi une occasion manquée.
Dans l’immédiat, il est à l’origine du rôle que joue la Pologne dans le conflit ukrainien et en Europe de l’Est, ce qui ne peut que contrarier la Russie et dépasse les forces de la Pologne, la laissant exposée si la politique de l’Occident envers la Russie change, comme il semble que ce pourrait être le cas maintenant.
Que même l’intransigeant ancien ministre polonais des Affaires étrangères, Radosław Sikorski, dans un bref instant de lucidité, ait semblé saisir les risques pour la Pologne de cette sorte de politique atlantiste anti-russe qu’il préconise habituellement montre combien cette politique est imprudente pour le pays.
Elle détourne aussi fortement des questions intérieures importantes qui devraient être la priorité de la classe politique polonaise, un fait reflété dans les résultats de la récente élection – que Duda a remportée sur des questions intérieures.
La réalité est qu’il n’y a jamais eu de meilleur moment qu’aujourd’hui pour un rapprochement fondamental entre la Pologne et la Russie.
Quels que soient les griefs que les Polonais peuvent avoir à cause du passé, la Russie aujourd’hui ne représente aucune menace réelle pour la Pologne et ne cherche que de bonnes relations avec elle. La question controversée de la frontière orientale, qui a si amèrement compliqué les relations entre la Pologne et la Russie pendant la période de l’entre-deux guerres, a été réglée. Moscou n’a aucun intérêt – et absolument aucun désir – de contrôler ou d’occuper la Pologne ni aucune de ses parties, ni d’avoir un mot à dire dans son gouvernement, ni d’y avoir des bases ou une présence militaire.
Bien plus, la Russie a en Poutine un dirigeant fort qui semble personnellement très bien disposé à l’endroit de la Pologne.
Pour ceux qui connaissent à la fois la Pologne et la Russie, et qui sont favorablement disposés à l’égard des deux pays, il est évident que ceux-ci sont des partenaires et des amis naturels, partageant beaucoup en commun et se complétant l’un l’autre.
Aucun autre développement n’est plus à même de stabiliser la situation en Europe centrale et de l’Est, ou d’y garantir la paix, qu’un rapprochement véritable entre la Pologne et la Russie. Un bon parallèle peut être fait avec la transformation de la situation en Europe occidentale, intervenue à la suite de la réconciliation entre les deux adversaires historiques en Europe, l’Allemagne et la France, qui a eu lieu dans les années 1960.
Malheureusement, la situation politique en Pologne, comme le montre la dernière élection, ne promet rien de tout cela pour le moment.
Poutine, l’Adenauer russe, attend toujours son De Gaulle polonais.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone.