La pression mise par les Etats Unis sur les deux Corées menace leur alliance


…et la paix


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 13 octobre 2018

L’administration Trump reproche à la Corée du Sud d’avoir pris des mesures que les États-Unis avaient pourtant acceptées. Le New York Times estime que l’insistance de la Corée du Nord à respecter les accords signés est un moyen détourné de faire la guerre. Cela ne fait qu’unir les deux Corées et n’augure rien de bon pour l’alliance.

La Corée du Nord utilise son accord avec Trump comme une arme pour compliquer les pourparlers

En saluant l’accord qu’il concluait avec Kim Jong-un cet été à Singapour, le président Trump déclarait qu’il avait  » largement résolu «  la crise nucléaire nord-coréenne.

Depuis, il a insisté sur ce point en déclarant de nouveau, mardi dernier : « Les gens ne se rendent pas compte de l’importance de la première rencontre. Je veux dire, nous avons conclu ‘Point No. 1 : dénucléarisation’. Ils ont donc accepté la dénucléarisation. »

C’est en réalité le troisième point de l’accord en quatre points de Singapour et, pour les Nord-Coréens, l’ordre de ces points est capital. Ils n’accepteront de dénucléariser qu’une fois que Washington se sera engagé sur les premier et deuxième points : La promesse de M. Trump de construire de « nouvelles » relations et un « régime de paix » en Corée – et de faire en sorte que la Corée du Nord se sente suffisamment en sécurité pour désarmer.

L’impasse montre comment la Corée du Nord a fait de l’accord que M. Trump a signé avec son dirigeant, M. Kim, l’un de ses coups les plus efficaces dans les pourparlers avec Washington sur la dénucléarisation, l’exhibant sans cesse pour forcer les concessions américaines.

C’est la première fois que le New York Times admet que l’accord de Singapour est en effet une liste numérotée de tâches qui doivent être accomplies étape par étape.

Moon of Alabama a déjà expliqué la séquence établie dans la Déclaration de Singapour, qui figure également dans la Déclaration intercoréenne de Panmunjom, signée en juillet dernier : Les pourparlers de Pyongyang – Comment Pompéo met la charrue avant les bœufs. Ignorer l’enchaînement convenu a été la raison pour laquelle les pourparlers que le secrétaire d’État Pompeo a tenus à Pyongyang ont failli échouer.

Les faucons de l’administration Trump ont tenté d’ignorer la Déclaration de Singapour dès qu’elle a été signée. Ils voulaient passer au point 3 – l’engagement ambitieux de la Corée du Nord en faveur d’une éventuelle dénucléarisation – avant même que les États-Unis ne commencent à appliquer les mesures concrètes qu’ils se sont engagés à prendre aux points 1 et 2 – à établir des relations diplomatiques et un accord de paix. Les médias grand public américains ont soutenu l’interprétation fausse et a-historique de l’administration américaine selon laquelle la dénucléarisation passe en premier. Ils ont persévéré à ignorer l’ordre et la formulation de la Déclaration de Singapour. La seule exception a été un éditorial écrit par Duyeon Kim dans Foreign Policy.

Nous souhaitons la bienvenue au NYT dans le petit club de ceux qui reconnaissent la réalité de la Déclaration commune. Mais comment l’insistance de la Corée du Nord pour suivre l’accord écrit en fait il « une arme » ? Comment un programme signé à l’amiable peut-il être un « gourdin » ? Qui essaie vraiment de  » compliquer «  le problème ? L’article ne donne aucun élément en soutien à son en tête.

C’est l’administration de Trump et les médias qui en font une mauvaise interprétation et ne respectent pas le calendrier. Ce sont les États-Unis qui ont tort ici, pas la Corée du Nord.

D’autres pays acceptent ce programme et la nécessité de commencer par les points 1 et 2. Un récent communiqué de presse conjoint des vice-ministres des affaires étrangères de la Chine, de la Russie et de la RPDC le souligne :

Les trois parties sont convenues qu’il fallait veiller à ce que ces processus s’enchainent progressivement et simultanément tout en donnant la priorité au renforcement de la confiance et qu’ils soient accompagnés de mesures correspondantes de la part des pays concernés.

La Chine et la Russie veulent réajuster les sanctions internationales pour compenser les mesures que la Corée du Nord a déjà prises.

Le président de Corée du Sud, Moon Jae-in, insiste également pour que les accords signés soient respectés. Mais lorsqu’il a récemment pris des mesures pour mettre en œuvre la Déclaration intercoréenne de Panmunjom, que Trump avait approuvée, les États-Unis sont intervenus.

Moon doit lever certaines sanctions que son pays avait imposées au Nord en 2010, pour permettre la reprise de l’aide à la Corée du Nord. Trump a rejeté cela d’une manière plutôt humiliante :

« Eh bien, ils ne le feront pas sans notre approbation « , a déclaré M. Trump dans le Bureau ovale mercredi, lorsqu’on lui a posé des questions sur le fait que Séoul envisageait cette idée. « Ils ne font rien sans notre approbation. »

Même le Korea Times, plutôt de droite, a trouvé cela insultant :

Même si Washington dirige le régime de sanctions de la communauté internationale à l’encontre de Pyongyang, les remarques excessives de Trump sont considérées comme un non-respect de la souveraineté sud-coréenne.

Lors d’un incident qui vient d’être rendu public, Pompéo aurait même utilisé des jurons lors d’un appel téléphonique avec le ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Kang Kyung-wha :

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a furieusement harcelé le ministre des Affaires étrangères Kang Kyung-wha lors d’un appel téléphonique le 17 septembre au sujet du rapprochement rapide entre la Corée du Sud et la Corée du Nord.

Une source diplomatique à Washington a déclaré : « Pompeo a été informé des conditions à convenir lors du sommet inter-coréen et s’est fâché de ne pas avoir été consulté à l’avance sur ces questions qui pourraient avoir un impact majeur sur les États-Unis« . La source a ajouté que Pompeo avait « utilisé un langage fort » au cours de son appel téléphonique avec Kang.

Pompeo a été mis en colère par le projet de reconnexion des chemins de fer inter-coréens et par un accord militaire transfrontalier qui vise à réduire les armes le long de la frontière.

La reconnexion des chemins de fer et les accords militaires pour éviter les conflits dans la zone démilitarisée découlent directement de la Déclaration de Panmunjom. La Déclaration a été précédemment approuvée dans la Déclaration de Singapour que Trump lui-même a signée. Il est ridicule que les États-Unis prétendent ne pas avoir été informés de ces mesures et qu’ils bloquent les procédures nécessaires.

Le secrétaire d’État Mike Pompeo et le ministre des Affaires étrangères Kang Kyung-wha

Pompeo en particulier s’est révélé être le tyran qu’il est. La pression exercée par Washington a toutefois été couronnée de succès – pour l’instant. Le gouvernement sud-coréen a fait marche arrière et a déclaré que la levée des sanctions n’était pas pour maintenant. Mais elle insiste sur le respect des accords avec le Nord qui nécessiteront de prendre cette mesure, à un moment ou à un autre.

Les médias coréens avertissent que le comportement éhonté des Américains pourrait bien détruire l’alliance :

Il vaudrait mieux que Pompeo précise s’il a vraiment utilisé un langage inapproprié. Si c’est le cas, il doit s’excuser. Sinon, une clarification devrait suffire.

La Corée et les États-Unis ont été alliés dans les bons comme dans les mauvais moments. Si cette tradition d’alliance est maintenue alors les bonnes manières doivent être respectées sinon elles pourraient être les premières fissures qui mènent à sa fin.

Le rapprochement inter-coréen de Moon Jae-in est soutenu par plus des deux tiers de la population sud-coréenne. Le parti conservateur Liberty Korea Party, qui soutient la position dure de Washington, a récemment récolté moins de 20% des votes. Tout le monde, à part les États-Unis, pense que la dénucléarisation unilatérale est un fantasme et que seule l’acceptation de la paix peut désamorcer le problème. Si le harcèlement de Washington se poursuit, la Corée du Sud pourrait bien décider d’agir seule.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

 

   Envoyer l'article en PDF