La pire interférence dans les élections étasuniennes de 2024 ne viendra ni de la Russie ni de la Chine


Par Caitlin Johnstone – Le 12 juillet

Le New York Times a publié un nombre impressionnant d’articles sur Robert F. Kennedy Jr. ces derniers temps.

Mardi, le Times a publié un essai audio intitulé « Pourquoi je regrette d’avoir débattu avec Robert F. Kennedy Jr » par le chroniqueur d’opinion Farhad Manjoo. Manjoo a débattu avec Kennedy en 2006 au sujet de la légitimité de la victoire de George W. Bush sur John Kerry en 2004, estimant que le scepticisme de Kennedy à l’égard des résultats de l’élection était dangereux.

« Contester les élections n’est tout simplement pas bon pour la démocratie« , déclare Manjoo, rejoignant ainsi le reste de la classe politique/médiatique libérale américaine qui réécrit l’histoire pour prétendre qu’elle n’a pas fait exactement la même chose pendant la totalité de l’administration Trump.

Manjoo cite son expérience de débat avec Kennedy (qu’il qualifie à plusieurs reprises de « complotiste« ) pour soutenir que personne ne devrait débattre avec le candidat à la présidence sur le sujet des vaccins Covid, ajoutant une nouvelle entrée aux innombrables articles et infos qui ont été publiés dans les médias le mois dernier, disant que le scientifique spécialiste des vaccins Peter Hotez devrait rejeter l’offre de Joe Rogan de verser 100 000 $ à une œuvre de bienfaisance de son choix s’il débattait avec Kennedy sur le sujet.

[Les réactions au tweet du New York Times sont bien plus instructives que l’article lui-même, NdT]

La semaine dernière, le New York Times a publié un article intitulé « 5 erreurs notoires que Robert F. Kennedy Jr. a promu« , ainsi qu’un article de Paul Krugman qui commence par « Robert F. Kennedy Jr. est un allumé » et un article d’opinion intitulé « les points de vue pro-vaccins sont en train de gagner. Ne craignez pas les sceptiques« , qui s’ouvre sur un coup de poignard à l’encontre de Kennedy. La semaine précédente, Gail Collins avait publié un article à charge classique. La semaine précédente, Farhad Manjoo avait publié un autre article expliquant que personne ne devrait débattre des vaccins avec Kennedy.

Ces articles sont parfois présentés comme des articles d’opinion, parfois comme des articles d’actualité, en dépit d’un langage manifestement biaisé et d’un éditorialisme flagrant, et tous sont orientés contre Kennedy d’une manière ou d’une autre. Le New York Times n’aime manifestement pas RFK Jr et ne cache pas qu’il s’efforce de faire en sorte que son lectorat aussi.

C’est à peu près ce à quoi nous pouvons nous attendre de la part des médias américains jusqu’à ce que Kennedy ait perdu sa course à la présidence ou que sa réputation ait été tellement détruite auprès de l’électorat qu’il puisse être ignoré en toute sécurité. Le message sera martelé, martelé et martelé jusqu’à ce que l’effet de vérité illusoire amène les lecteurs à confondre la répétition avec la vérité, et la campagne de Kennedy s’éteindra.

La Silicon Valley joue également le jeu. Le mois dernier, YouTube a retiré plusieurs vidéos contenant deux interviews différentes de Kennedy, au motif qu’elles violaient les règles de la plateforme contre la « désinformation sur les vaccins« . Youtube appartient à Google, qui entretient des liens avec la CIA et la NSA depuis sa création et qui est aujourd’hui un contractant à part entière du Pentagone.

Kennedy a tweeté quelques commentaires intéressants sur la suppression de ses interviews par YouTube.

« Les gens ont fait toute une histoire à propos de la Russie qui aurait manipulé des informations sur l’internet pour influencer une élection présidentielle. Ne devrions-nous pas nous inquiéter lorsque des entreprises technologiques géantes font de même ?« , a demandé Kennedy, ajoutant : « Lorsque l’industrie et le gouvernement sont si étroitement liés, il n’y a guère de différence entre la censure « privée » et la censure « gouvernementale ». La suppression de la liberté d’expression ne devrait pas être plus acceptable parce qu’elle est confiée à des entreprises privées qui contrôlent la place publique.

C’est un point sur lequel j’insiste depuis des années : dans un système de gouvernement corporatiste, où il n’y a pas de réelle séparation entre le pouvoir des entreprises et le pouvoir de l’État, la censure des entreprises est équivalente à une censure de l’État.

Il est vraiment intéressant de constater que presque tout le monde semble être d’accord avec l’ingérence des entreprises médiatiques et de la Silicon Valley dans une élection américaine comme celle-ci. Tout le monde a poussé des cris d’orfraie à propos de l’histoire (aujourd’hui totalement discréditée) selon laquelle des bots russes auraient influencé l’élection américaine avec des tweets et des mèmes Facebook, mais des sociétés immensément riches ayant une influence infinie sur la façon dont les gens pensent et votent, serait tout à fait acceptable ?

C’est pourtant ce qui semble se passer. En avril dernier, le directeur intérimaire de la CIA de l’administration Obama, Mike Morell, a admis avoir utilisé ses relations avec les services de renseignement pour faire circuler dans la presse, pendant la course à la présidence de 2020, une fausse histoire selon laquelle la fuite de l’ordinateur portable de Hunter Biden était une opération de désinformation russe, parce qu’il voulait s’assurer que Joe Biden remporterait l’élection. Et il ne lui est absolument rien arrivé ; Morell a tout simplement continué ses activités.

Il est désormais acquis que les oligarques américains et les gestionnaires d’empire peuvent interférer dans une élection par des opérations psychologiques éhontées et de la propagande dans les médias de masse, alors même que la censure d’Internet est de plus en plus mise en place au nom de la protection de la sécurité des élections. Si un Américain ordinaire faisait circuler de la désinformation pour manipuler l’élection, les doreurs d’image impériaux citeraient cela comme une preuve que les communications en ligne doivent être contrôlées de manière plus agressive. Mais lorsque le directeur intérimaire de la CIA d’Obama le fait, tout va bien. L’ingérence électorale pour moi, mais pas pour toi.

« Après la fuite concernant l’ordinateur portable de Hunter Biden, Tony Blinken a appelé son ami de la CIA Mike Morell pour étouffer l’affaire, et Morell a maintenant admis avoir concocté la fausse lettre de « désinformation russe » de 51 initiés du renseignement pour « aider le vice-président Biden … parce que je voulais simplement qu’il remporte l’élection ». »

C’est de là que viendra l’interférence électorale la plus importante dans cette course présidentielle : ni de la Russie, ni de la Chine, mais des riches et puissants moteurs de l’empire américain centralisé. Le fonctionnement d’une structure de pouvoir à l’échelle mondiale est tout simplement trop important pour être laissé entre les mains de l’électorat.

Je n’ai pas d’opinion tranchée sur RFK Jr et je ne soutiendrai aucun candidat à la présidence lors de la prétendue élection américaine [Johnstone est australienne, NdT]. Mais ces courses présidentielles sont souvent l’occasion de mettre en lumière la façon dont nos dirigeants ont tout verrouillé.

Caitlin Johnstone

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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