La paix au Donbass n’a jamais été aussi proche


Par Andrew Korybko − Le 25 juillet 2019 − Source eurasiafuture.com

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La majorité parlementaire que Zelensky, nouveau président ukrainien, du parti « au service du peuple », vient d’obtenir lors des dernières élections législatives signifie que la paix au Donbass n’a jamais été aussi proche, mais uniquement tant que Kiev reste ouverte à opérer un compromis politiquement difficile avec Moscou, dont il est certain qu’il déplaira à ses soutiens occidentaux, sauf si la « Nouvelle Détente » venait sauver la donne.

L’hybride Obama-Trump

On a comparé Zelensky, le nouveau président ukrainien, aux président étasunien Donald Trump à de nombreux niveaux, du fait de l’inexpérience politique partagée par les deux dirigeants, qui sont tous deux entrés en fonction sur une vague de mécontentement anti-élites de la part des masses populaires, mais on pourrait lui trouver également quelques ressemblances avec l’ancien président Obama, s’il renonce à la politique étrangère traditionnelle de son pays pour mieux se centrer sur les sujets internes. Son parti « au service du peuple » vient de remporter une majorité parlementaire dans les dernières élections législatives, et c’est le première fois dans l’histoire de l’Ukraine, depuis l’indépendance du pays, qu’une telle chose se produit. Cela en dit long sur le désir du peuple de restructurer cet État de fond en comble, et par conséquent le fait qu’un tel mandat, sans précédent dans l’histoire du pays, ait été accordé à Zelensky, malgré les campagnes d’infox et de peurs soutenues par les oligarques ukrainiens et leurs soutiens étrangers, prétendant dénoncer un scénario qui verrait l’Ukraine « se vendre » à la Russie.

La « Stratégie de sortie » anti-fasciste de Poutine au Donbass

Toute cette hystérie est justifiée par des préoccupations de la part des parrains occidentaux de Kiev de voir Zelensky parvenir à un compromis politique difficile avec le président Poutine sur les sujets interconnectés de la Crimée et du Donbass, chose que Moscou a signalée au cours des mois récents comme sérieusement intéressante pour elle. A contrario de l’interprétation que nombre de membres de la communauté des médias alternatifs en firent à l’époque, le décret que Poutine avait fait passer pour faciliter l’acquisition de la nationalité russe aux résidents du Donbass n’avait pas pour but de tenir lieu de prétexte à une intervention de « sécurité démocratique » plus musclée sur place pour faire respecter la volonté des peuples de la région, mais de servir de « stratégie de sortie » anti-fasciste pour les locaux craignant les conséquences qu’ils pourraient subir s’ils restaient dans la région après la conclusion d’un accord entre Moscou et Kiev, réintégrant cette zone à l’Ukraine. Si la Russie voulait réellement que le Donbass soit indépendant ou unifié avec la Fédération comme la Crimée, ce résultat se serait déjà matérialisé il y a des années ; ce n’est pas arrivé du fait que Moscou n’en a pas la volonté politique.

Calculs machiavéliques

Il s’agissait jusqu’à ce jour d’un calcul machiavélique controversé parmi les « pro-russes non russes », pour ne pas mentionner les sentiments que les russes eux-mêmes peuvent avoir à ce sujet. La vision directrice semble avoir été d’utiliser le conflit du Donbass comme passerelle pour faire progresser un scénario de fédéralisation véritable de l’Ukraine, considéré par Kiev comme un complot ombrageux en vue d’affaiblir sa sécurité nationale, alors que Moscou estimait qu’il s’agissait du seul moyen de conserver les régions sus-mentionnées à l’intérieur de la boîte de Pandore de conflits identitaires, survenus dans le pays depuis que l’EuroMaidan a débouché sur la montée au pouvoir de radicaux fascistes. Quelle que soit la vérité des choses, le fait perdure que la Russie a refusé de jeter son poids militaire dans la libération du Donbass, malgré le soutien de bas niveau qu’elle a, à ce qu’on signale, accordé aux deux républiques au fil des années ; cela suggère que Moscou a toujours voulu parvenir à un accord dans cette région, contrairement à son approche en Crimée, plus importante géo-stratégiquement et militairement.

L’heure des discussions est arrivée

Il est temps à présent pour l’Ukraine de décider si elle veut jamais réintégrer le Donbass en compensation pour ses pertes subies en Crimée, ou si elle préfère que le Donbass reste un conflit gelé pour une durée indéterminable. Bien que Zelensky ait déclaré qu’il n’accepterait jamais de reconnaître la réunification de la Crimée avec la Russie, cela ne signifie pas qu’il ne pourrait pas se laisser convaincre de regarder ailleurs, et de décider pragmatiquement de laisser cette région comme un « conflit gelé » dans les esprits ukrainiens, pourvu qu’il rétablisse le contrôle de Kiev sur le Donbass. Il serait concevable que sa majorité parlementaire l’encourage à réaliser le difficile compromis politique consistant à de-facto « échanger » la Crimée contre le Donbass, ou en d’autres termes, ignorer les exigences de son peuple de « ramener » la Crimée à l’Ukraine, en les distrayant par une « victoire » au Donbass ; cela correspondrait à une implémentation de la plupart – mais sans doute pas toutes – les stipulations des accords de Minsk, en échange d’une réduction et finalement d’un retrait par la Russie de ses dénommés « agents d’influence » dans la région.

La « nouvelle détente » sauvera-t-elle la donne ?

Il s’agit du scénario le plus réaliste en vue d’amener enfin la paix au Donbass, mais celui-ci dérangerait sans aucun doute les parrains occidentaux de l’Ukraine, qui ne veulent pas voir Kiev et Moscou sur la même ligne. Leurs relations ne reviendront jamais à ce qu’elle furent avant l’EuroMaidan, du moins pas dans un avenir proche, mais la meilleure chose qui puisse arriver serait qu’ils utilisent l’accord pragmatique proposé au Donbass comme moyen de catalyser un rapprochement plus large ; un tel rapprochement n’atteindrait jamais le niveau d’une vraie « réconciliation » dans la mesure où la Crimée restera toujours un élément inconfortable d’arrière plan. Il est impossible que l’Ukraine reprenne jamais le contrôle de la péninsule, et la Russie ne tolérera jamais aucune agression contre ses citoyens, qui ont voté démocratiquement leur réunification dans la Fédération, mais il est tout aussi impossible de voir l’Ukraine abandonner ses prétentions sur la Crimée. Aussi, le meilleur scénario est celui que nous proposons ci-avant, un scénario qui pourrait même se voir subtilement encouragé par les USA comme une « récompense » pour la Russie des progrès réalisés par Moscou vers une « Nouvelle détente » dans un futur proche.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent, relu par jj pour le Saker Francophone

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