Par Finian Cunningham – Le 18 mars 2018 – Source Strategic Culture
La dramatique escalade de l’hostilité du Premier ministre conservateur britannique Theresa May envers la Russie cette semaine provoque aussi des conséquences domestiques. Jeremy Corbyn, le populaire dirigeant du parti travailliste, est en train de devenir une victime de cette politique de type nouvelle guerre froide.
May, qui était jusqu’à présent attaquée pour sa débâcle au sujet du Brexit, s’est soudainement trouvée soutenue pour son programme de nouvelle guerre froide à l’égard de la Russie au sein de son propre parti conservateur – mais aussi par des législateurs de l’opposition, du côté travailliste du parlement.
Alors que May a été chaudement applaudie pour ses attaques rhétoriques contre la Russie, le dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, a fait l’objet d’un chahut vicieux de la part de tous les partis de la Chambre des communes, dont de nombreux députés de son propre parti.
L’annonce par May que son gouvernement allait expulser 23 diplomates russes pour la « tentative de meurtre » d’un ancien espion du Kremlin vivant en exil en Grande-Bretagne a été très bien reçue à la Chambre des Communes.
Ces expulsions sont la plus grande sanction diplomatique que la Grande-Bretagne ait imposée à Moscou depuis 30 ans. Moscou s’est engagée à prendre des mesures réciproques dans les semaines à venir, les relations bilatérales s’effondrant en une spirale descendante.
Cette initiative britannique a été dénoncée par la Russie comme un « acte hostile sans précédent » et une violation des relations interétatiques normales.
La réponse russe semble assez raisonnable, étant donné que l’attaque présumée contre Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille, le 4 mars à Salisbury, est loin d’être prouvée. La décision britannique d’accuser directement Moscou pour cette tentative de meurtre repose sur des affirmations non vérifiées au sujet d’un poison datant de l’ère soviétique, ainsi que sur des hypothèses non étayées.
Mais ce climat hystérique de guerre froide, engendré par les politiciens britanniques et les médias grand public qui s’en prennent aussi à la Russie, est tel que quiconque ne fait que simplement remettre en question l’absence de procédure régulière est immédiatement mis au pilori et traité de « prorusse ».
C’est ce qui s’est passé lorsque Jeremy Corbyn s’est levé, à la Chambre des communes cette semaine, et a osé demander au Premier ministre des « preuves » que la toxine présumée de l’époque soviétique était bien liée aux actions de l’État russe.
Corbyn a également demandé si les autorités britanniques fourniraient les échantillons de toxines présumées aux enquêteurs russes afin qu’ils puissent procéder à leur propre évaluation indépendante – une procédure prescrite par le traité international de 1997 connu sous le nom de Convention sur les armes chimiques.
Bref, ce que le chef du Parti travailliste demande n’est tout simplement que l’application de la loi. Il s’agit d’une approche rationnelle et fondée sur des données probantes. Ce qui, pourrait-on penser, est un minimum raisonnable et prudent, surtout en raison du danger actuel de conflit militaire catastrophique qui éclaterait à un moment où les tensions géopolitiques entre les États de l’OTAN dirigés par les États-Unis et la Russie sont déjà vives.
« Notre réponse doit être décisive, proportionnée et fondée sur des preuves claires » a déclaré M. Corbyn, qui a également refusé de condamner la Russie, étant donné l’absence de preuves incriminantes à ce stade – moins de deux semaines après l’empoisonnement des Skripals.
Mais le chef travailliste pouvait difficilement se faire entendre à cause des railleries et des « honte, honte » criées des bancs conservateurs.
« Vous êtes une honte pour votre parti » a même crié une ministre conservatrice, Claire Perry, en excitant la foule autour d’elle.
Les médias britanniques ont emboîté le pas, accélérant l’offensive de type guerre froide contre Corbyn. The Sun, journal très orienté à droite, qui, la semaine dernière, appelait à une action militaire contre la Russie, a fait sa une avec le titre : « La marionnette de Poutine ».
Ce tabloïd tenu par Rupert Murdoch a « expliqué » à ses lecteurs, d’un ton outré, que « Corbyn refusait de condamner la Russie » et qu’il avait « mis en doute » la preuve d’un lien entre l’attaque contre Sergueï Skripal et la Russie.
Un autre tabloïd de droite, le Daily Mail, a également publié une première page diffamatoire avec le titre : « Corbyn, le larbin du Kremlin ».
Le journal a disserté à partir d’un sous-titre disant que « Des députés travaillistes mutins accusent [Corbyn] de faire trop de concessions en ne condamnant pas Poutine ».
Pendant ce temps, la BBC rapportait que des législateurs de haut rang au sein de l’équipe du cabinet de Corbyn montent une rébellion contre leur chef précisément à cause de son « refus d’accuser la Russie » de l’empoisonnement de Salisbury.
Le retour à la politique de la guerre froide en Grande-Bretagne n’est pas seulement marqué par une hostilité spontanée envers la Russie – basée sur la russophobie et des insinuations irrationnelles – il est aussi caractérisé par le fait que l’establishment britannique empêche toute dissidence en diffamant les critiques et en les qualifiant d’« ennemis intérieurs ».
Cette semaine, la politique britannique est retournée à l’époque des chasses aux sorcières du temps de la guerre froide contre les « Communistes » et les « Rouges ». Comme les États-Unis sont toujours empoisonnés par l’ère de J. Edgar Hoover et le McCarthyisme des années 1950 et 1960.
Le respect des procédures et la pensée rationnelle et critique sont de nouveau bannis
L’empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, 33 ans, devrait faire l’objet d’une enquête criminelle pour établir des faits, le mobile puis un criminel.
Au contraire, l’incident a été immédiatement transformé en une nouvelle occasion d’attaque de propagande contre la Russie. La logique alléguée selon laquelle le Kremlin aurait mené une attaque de « vengeance » contre un traître-espion qui vivait depuis huit ans en Angleterre − ouvertement et sans être dérangé, dans le cadre d’un accord d’échange avec le MI6 britannique − n’a aucun sens. Vraiment, c’est absurde, encore plus compte tenu des élections présidentielles russes de ce mois-ci et de la prochaine Coupe du monde de football qui aura lieu en Russie.
Un retour de « guerre froide mania » qui convient par contre très bien à l’establishment britannique. Soudain, le premier ministre conservateur, Theresa May, et son parti sont dépeints comme de nobles défenseurs de la sécurité nationale contre un ennemi russe « malveillant ».
Encore mieux, le parti travailliste, qui a été rajeuni par Jeremy Corbyn et son audacieuse politique progressiste et socialiste, est maintenant présenté comme un inutile « larbin » russe. Les ennemis politiques de Corbyn au sein de son propre parti – des gens de l’aile droite qui le détestent à cause de son ascension réussie – vont maintenant profiter de ce climat de guerre froide pour le faire chuter.
L’agent neurotoxique utilisé pour paralyser l’ancien espion russe Sergueï Skripal et sa fille a, par contre, des effets politiques revigorants pour certains intérêts de l’État britannique. La russophobie de la guerre froide semble redonner de l’énergie à Theresa May et à son parti qui semblaient bien faiblards, tout en paralysant l’ascension, qui semblait prometteuse, du chef du parti travailliste Jeremy Corbyn et son programme socialiste.
Il reste à voir si le grand public britannique va avaler cette dernière histoire de débâcle digne de la guerre froide. S’il s’avère qu’il s’agit d’un coup monté cynique de l’État britannique – comme cela semble être le cas – alors la réaction populaire contre les conservateurs et l’establishment sera épouvantable.
Finian Cunningham
Traduit par Wayan, vérifié par Diane et relu par Cat pour le Saker Francophone.
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