La malédiction de l’Europe de l’Est


Par VIT – Le 4 janvier 2017 – source Cont.ws

Une terre enchantée s’étend du nord au sud entre l’Allemagne et la Russie. Tout son enchantement consiste en un paradoxe terrible, perfide : quiconque s’emparait de cette terre et tentait de la posséder, commençait inexorablement à faiblir et finalement disparaissait de la carte politique du monde. Voici ces terres remarquables et violemment maudites : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie. À aimer et à estimer.

Qui n’a pas essayé de déclarer les autochtones est-européens ses sujets ? Les Allemands, les Russes, même les Français avec Bonaparte en tête… Mais où sont-ils tous à présent ? L’Empire austro-hongrois, l’Empire russe, l’Union soviétique entraient dans ces parages avec fierté, drapeaux déployés, chenilles cliquetantes. On les accueillait avec des fleurs et des salves, mais la nuit on leur tirait dans le dos et on se livrait à des émeutes sans fin. Le conquérant du jour, tout en aspirant à obtenir la loyauté de ces peuples étranges, se mettait à consacrer de l’argent et des ressources avec lesquels, grâce à l’effort de ses propres ingénieurs, on construisait pour ces ingrats des usines, des édifices, des écoles, des ponts et des chaussées. Mais rien n’y faisait, le mécontentement ne cessait de croître.

On comprit très rapidement que la possession de ces terres ne servait à rien sauf à nuire, mais il n’y avait plus de retour possible. Les autochtones insolents exigeaient de plus en plus, prenaient plus d’assurance et se mettaient à regarder ostensiblement du côté du concurrent géopolitique de leur maître : là-bas on nous promet plus, donc il est temps de nous retirer. Finalement, durant le cataclysme mondial suivant, la guerre ou la révolution, ils se retiraient toujours, en laissant leur ancien conquérant malchanceux seul avec ses réflexions pénibles et ses dettes exorbitantes. Et maintenant c’est notre sympathique et bien aimée Union européenne qui s’est pris les pieds dans ce râteau est-européen.

Les fonctionnaires européens, tels des idiots jamais échaudés, ont accueilli dans leur étreinte démocratique ces Européens frais émoulus, « libérés de l’occupation soviétique ». Ils les ont étreints trois fois de suite, en 2004, en 2007 et en 2013. Les eurobureaucrates ont contemplé avec beaucoup de tendresse les économies assez bien organisées (grâce à l’argent soviétique) de leurs nouveaux confrères en UE et calculaient déjà mentalement leurs gains, issus de la future privatisation et de l’exploitation postérieure de l’héritage soviétique. Un héritage que ces pays étourdis ont emporté gratuitement de la néfaste Union soviétique, par divorce. Les Européens nouvellement convertis payaient Bruxelles de retour, car c’était un amour véritable… du niveau de vie ouest-européen et de la prospérité apparente.

Pourtant l’ancien camp socialiste a très vite, à l’instant même, expliqué à ses nouveaux maîtres que s’il aime quelqu’un, ce n’est que pour l’argent, et encore en grosses coupures. Les Européens de l’Ouest ne se sont pas trop étonnés, vu que la prostitution est légitime en UE, et ont proposé de l’argent, vraiment beaucoup d’argent. D’après le rapport publié sur le site web de la compagnie KMPG, durant la période de 2007 à 2015, on a livré aux pays de l’Europe centrale et de l’Est 17 589 milliards d’Euros du budget européen (voir le tableau).

Mais ce n’est pas tout. En 2007, quand les Allemands, les Français et d’autres ont consenti à l’amour provisoire pour l’argent, ils estimaient naïvement que leurs investissements commenceraient à se justifier en 2015-2016 déjà. Pourtant ce ne fut pas le cas. En 2013 les « jeunes Européens » ont de nouveau persuadé leurs nouveaux maîtres de se fendre de 167,1 milliards d’Euros de plus. (Ce chiffre est volontairement minimisé, on parle de subventions aux différents programmes dépassant 200 milliards.) C’est-à-dire, pour les 13 premières années du mariage heureux (d’amour, certes), l’Europe de l’Ouest payera à sa conjointe de l’Est 343 milliards pour fidélité conjugale ! La somme, en elle-même déjà astronomique, doit être estimée par rapport au financement de l’UE dans son ensemble. La population de l’UE étant de plus de 507 millions, la région de l’Europe centrale et de l’Est, peuplée seulement de 96 millions, recevra plus de la moitié du budget de subventions de l’UE ! Charmant, Messieurs et Mesdames, est-ce que cela ne vous rappelle pas le passé soviétique ? Le même râteau vu de l’autre côté.

Avez-vous cru pour de bon que nos bons non-frères ukrainiens auraient mis leur patrie en lambeaux, massacré des milliers de leurs concitoyens, pour pouvoir porter la lingerie de dentelle de la collection « Victoria secret » ? Non, le calcul était simple comme une brique. Si Bruxelles a versé aux frais de la princesse ce tas de pognon à ces ploucs de Polonais et autres Estoniens, en quoi l’Ukraine serait-elle pire ? Avec sa population déclarée de 45 millions, Kiev comptait, le croyant probant, sur une somme de 70 à 100 milliards pour ses beaux yeux. Et ce ne serait que pour commencer. Dans un premier temps. Où est la Russie avec ses 15 milliards de dollars du crédit (!) promis à Ianoukovitch, lorsque là-bas on leur donnera tout gratis ! Ah, ces rêves… Peut-être recevront-ils le régime sans visa, très bientôt… Un jour ou l’autre…

Si quelqu’un a supposé que cette séance de générosité jamais vue a fait de l’ex-camp socialiste une vitrine du capitalisme uni-européen, je dois le décevoir : non, pas du tout. Le résultat principal fut la désindustrialisation accélérée et, par conséquent, le manque chronique d’argent. Les usines et les fabriques se ferment, et qui payera les impôts ? Et nos Est-Européens bien-aimés ont de nouveau glissé la main dans la poche ouest-européenne, ayant contracté des dettes d’État directement dans les banques européennes ou dans les autres organismes de crédit, sous couvert des garanties de ce même Bruxelles, pour une somme encore plus astronomique de 572 milliards d’Euros ! La dette sommaire extérieure a atteint 810 milliards ! Tandis qu’en 2007, selon l’Eurostat, elle ne dépassait pas les pitoyables 319 milliards. De sorte qu’en dix ans, plus de 432 milliards d’argent européen, soit directement (eurosubventions), soit sous forme de garanties (crédits) ont disparu dans le « trou noir » qui s’appelle l’Europe centrale et de l’Est. Une envergure à faire tourner la tête…

Quoique le paradis financier soit censé durer jusqu’en 2020, la population des confins orientaux de l’Europe, ayant un pressentiment mystique d’une catastrophe imminente qui approche, fuit en masse le plus loin possible. Si en 2007, selon ce même Eurostat, ces pays avaient 106,5 millions d’habitants, en 2015 ce chiffre a baissé à 96 millions. Dix millions d’évadés en 8 ans ! Et cette dépopulation s’accroît.

Maintenant passons à l’acte final de notre drame « Course à pied de Bruxelles sur le râteau est-européen ». Les euro-burocrates caressent le rêve de pouvoir attraper le pis des  « jeunes Européens » en 2020 et commencer à les traire. Qu’ils sont naïfs, ces gens de Bruxelles, tout comme le chou du même nom, on peut même les plaindre un peu ! Nous, les Russes, nous savons très bien que ce public-là n’a jamais rien payé à personne. Plusieurs ont dû apercevoir ces derniers temps des évènements étrangement connus dans les républiques orientales de l’UE. Tout comme en URSS à partir de 1985. Les petits princes locaux avec leurs doumas de boyards se sont mis à rouspéter et à fronder ouvertement en laissant clairement entendre que la loi de la Commission européenne ne les concerne pas. La Pologne bout depuis presque une année. La Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie se sont élu des présidents qui non seulement ignorent ostensiblement les rebuffades de Berlin ou de Paris, mais ont le toupet de regarder ouvertement du côté du Kremlin et de faire des compliments à Poutine ! On comprend bien que c’est pour la façade, et ils signent les sanctions au premier sifflet. Mais en URSS en 1985, cela a aussi commencé par la façade, et à quoi cela a-t-il abouti ? Aussitôt que Berlin et Paris essayeront de faire pression sur la bourse de nos charmants ex-voisins du camp socialiste, au lieu de l’argent, toute cette gent s’extirpera de l’UE comme une pâte dentifrice de son tube pour essayer de se coller à quelqu’un d’autre.

En fait la tragédie de l’Europe de l’Est ne provient ni de la magie noire ni d’un mauvais œil. Tout cela peut être aisément guéri par des sorciers et des magiciens pratiquants, et pas trop cher. L’Europe de l’Est, sauf peut-être la Tchéquie, c’est le territoire de ballast, peuplé par des millions d’individus aux prétentions exagérées. De ballast, car il n’y a rien là-bas : ni ressources naturelles, ni technologies uniques, ni productions ou agriculture puissantes, ni voies transitaires. Les prétentions exagérées des habitants de ces territoires résulteraient des tentatives nombreuses de l’Est et de l’Ouest de les ranger chacun de son côté. Bref, nous les avons gâtés. Les autochtones est-européens se croient être le vrai centre de l’Europe, de sorte que tous autour d’eux devraient aspirer passionnément à obtenir leurs bonnes grâces.

À noter qu’il est très dangereux de frayer avec ces mecs-là. Tenez, les Ukrainiens viennent de mener une ronde avec les Polonais, et maintenant tout le monde leur est redevable. L’UE doit aux uns, la Russie doit aux autres, et les USA doivent à eux tous. Et même certains Biélorusses commencent à attraper le virus d’exclusivité : on les entend dire qu’ils seraient des « Russes améliorés » et, de ce fait, que la Russie leur doit…

Une conclusion simple s’impose : il ne faut en aucun cas les conquérir ou, Dieu nous en garde, les libérer. Dans tous les cas vous leur serez redevable et obligé de leur demander pardon. Qu’ils vivent d’eux-mêmes, fiers d’eux-mêmes, et c’est bien comme ça. Que ce soit le mal de tête de l’UE – et nous observerons ce spectacle – lorsque les Bruxellois tâcheront de les convaincre non seulement de continuer de vivre en famille, mais aussi de payer pour ça. Peut-être même avec une sorte de nostalgie.

Traduit du russe par Roman Garev, relu par Michèle pour le Saker francophone

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