La guerre de l’information de Washington


Par William Blum – Le 1er décembre 2016 – Source Consortium News

Le 16 novembre, lors d’une conférence de presse du département d’État, le porte-parole du département, John Kirby, a encore eu une discussion animée avec Gayane Chichakyan, la journaliste de RT (Russia Today). Cet échange tournait autour des accusations américaines affirmant que les Russes bombardent les hôpitaux en Syrie et bloquent l’aide humanitaire que l’ONU veut fournir à la population piégée.

Quand Chichakyan a demandé des précisions sur ces accusations, Kirby a répondu: «Pourquoi ne demandez-vous pas à votre ministère de la Défense ?»

GC: – Pouvez-vous nous donner des informations précises sur la date à laquelle la Russie ou le gouvernement syrien ont empêché l’ONU de fournir cette aide ? Juste n’importe quelle information spécifique.

KIRBY: – Aucune aide n’a été fournie au cours du dernier mois.

GC: – Et vous croyez qu’elle a été bloquée exclusivement par la Russie et le gouvernement syrien?

KIRBY: – Il ne fait aucun doute que l’obstruction vient du régime et de la Russie. Aucun doute du tout.

[…]

MATTHEW LEE (Associated Press): – Permettez-moi de vous dire : vous devriez être prudent, lorsque vous dites «votre ministre de la Défense» et des choses comme ça. Je veux dire, elle est une journaliste tout comme les autres, alors c’est… Elle pose des questions pointues, mais elles ne le sont pas…

KIRBY: – D’une entreprise contrôlée par l’État… Contrôlée par l’État

LEE: – Mais elles ne sont pas…

KIRBY: – D’une chaîne publique, Matt.

LEE: – Mais elles ne sont pas…

KIRBY: – D’une chaîne publique qui n’est pas indépendante.

LEE: – Les questions qu’elle pose ne sont pas hors de propos.

KIRBY: – Je n’ai pas dit que les questions étaient hors de propos.

[…]

KIRBY: – Je suis désolé, mais je ne vais pas mettre Russia Today au même niveau que vous autres, qui représentez des médias indépendants.

Il faut se demander si le porte-parole du département d’État, Kirby, sait que, en 2011, la secrétaire d’État Hillary Clinton, parlant de RT, a déclaré : «Les Russes ont ouvert un réseau en anglais. Je l’ai vu dans quelques pays, et c’est très instructif.»

Je me demande également comment M. Kirby s’occupe des journalistes de la BBC, une chaîne de télévision et de radio PUBLIQUE anglaise, qui diffuse aux États-Unis et partout dans le monde.

La chaîne publique australienne Broadcasting Corporation, est décrite ainsi par Wikipédia :  «L’entreprise fournit des services de télévision, de radio, en ligne et mobiles, partout en Australie métropolitaine et régionale, ainsi qu’à l’étranger […] et est bien réputée pour sa qualité et sa fiabilité, ainsi que pour l’offre de programmes éducatifs et culturels que le secteur commercial ne fournirait probablement pas de lui même.»

Existent aussi Radio Free Europe, Radio Free Asia, Radio Liberty (pour l’Europe centrale et orientale) et Radio Marti (pour Cuba), toutes appartenant à l’État (aux États-Unis), aucune n’est «indépendante», mais toutes pourtant jugées assez dignes par les États-Unis pour couvrir le monde.

Et n’oublions pas ce que les Américains ont à la maison: la PBS (Public Broadcasting Service) et la NPR (National Public Radio), qui n’auraient jamais pu survivre si longtemps, sans d’importantes subventions de la part du gouvernement fédéral. Quelle indépendance cela leur laisse-t-il ? L’un ou l’autre des radiodiffuseurs s’est-il jamais opposé sans équivoque à une des guerres américaines actuelles ? Il y a de bonnes raisons pour que la NPR ait longtemps été surnommée la National Pentagone Radio. Mais cela fait partie de l’idéologie des médias américains, de prétendre qu’ils n’ont pas d’idéologie.

En ce qui concerne les médias américains non-étatiques… Il existe environ 1 400 quotidiens aux États-Unis. Pouvez-vous citer un seul journal, ou un seul réseau de télévision, qui se soit sans équivoque opposé aux guerres américaines menées contre la Libye, l’Irak, l’Afghanistan, la Yougoslavie, le Panama, la Grenade et le Vietnam, pendant qu’elles se déroulaient ou peu de temps après ? Ou même ne se soit opposé qu’à deux de ces sept guerres? Ou au moins une ?

En 1968, six ans après le début de la guerre du Vietnam, le Boston Globe (du 18 février 1968) a étudié les positions éditoriales de 39 des principaux journaux américains concernant la guerre et en a conclu que «aucun ne préconisait un retrait». La phrase «invasion du Vietnam» a-t-elle même jamais été imprimée dans les médias grand public américains?

En 2003, la station câblée MSNBC a coupé l’antenne au très admiré Phil Donahue, en raison de son opposition aux appels à la guerre contre l’Irak. M. Kirby aurait sans aucun doute qualifié MSNBC d’«indépendante».

Si les médias traditionnels américains étaient officiellement contrôlés par l’État, est-ce qu’ils auraient une approche vraiment différente, en ce qui concerne la politique étrangère des États-Unis ?

Une nouvelle propagande type Guerre froide

Le 25 novembre, le Washington Post publiait un article intitulé: Des recherches montrent que les «fausses informations» [fake news, NdT] sont liées à la Russie. Cet article porte sur la manière dont des sources russes inonderaient les médias américains et l’Internet avec de « fausses histoires» «faisant partie d’une stratégie très efficace pour semer la méfiance envers la démocratie américaine et ses dirigeants. »

«La sophistication de la tactique russe, dit l’article, peut compliquer les efforts de Facebook et de Google pour sévir contre les ‘fausses informations’.»

Le Washington Post affirme que la tactique russe utilise «la pénétration des ordinateurs des responsables électoraux dans plusieurs États et la divulgation de paquets de courriels piratés qui ont gêné Clinton dans les derniers mois de sa campagne». (Alors que cela avait été attribué à Wikileaks.)

L’article est tout simplement farci de références antirusses:

Un en-tête de la version en ligne du journal : «Le troll de Trump: Comment la Russie essaie de détruire notre démocratie.»

– «La portée et l’efficacité surprenantes des campagnes de propagande russe.»

– «Plus de 200 sites Web relaient quotidiennement la propagande russe pendant la saison électorale.»

– «Les histoires inventées et promues par cette campagne de désinformation ont été vues plus de 213 millions de fois.»

– «La campagne russe pendant cette saison électorale […] a fonctionné en exploitant la fascination des internautes pour des contenus ‘qui font le buzz’, misant sur la surprise et émotionnellement puissants, et suivant les théories conspirationnistes populaires racontant comment des forces secrètes dictent les événements mondiaux.»

– «Des fausses informations soutenues par la Russie pour concurrencer les organisations médiatiques grand public traditionnelles.»

– «Ils utilisent nos technologies et nos valeurs contre nous pour semer le doute. Cela commence à miner notre système démocratique.»

– «Les opérations de propagande russes ont également contribué à promouvoir le Brexit et disloquer l’Union européenne.»

– «Certaines de ces histoires viennent de RT et de Spoutnik, des services d’information russes, financés par l’État, qui imitent le style et le ton des médias indépendants mais incluent parfois des histoires fausses et trompeuses dans leurs rapports.»

– «Voici une série d’autres fausses histoires : de faux rapports d’un coup d’État lancé depuis la base aérienne d’Incirlik en Turquie et des histoires sur la façon dont les États-Unis allaient lancer une attaque militaire et faire porter le blâme à la Russie.»

L’ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, Michael McFaul, a déclaré qu’il était «frappé par le soutien manifeste pour Trump exprimé par Spoutnik pendant la campagne, reprenant même le hashtag #CrookedHillary utilisé par le candidat». McFaul dit que la propagande russe cherche, de façon typique, a affaiblir adversaires et critiques.

«Ils n’essaient pas d’avoir le dernier mot. C’est juste pour que tout semble relatif. C’est un peu un appel au cynisme.» [Cynisme ? Mon Dieu! Que vont encore inventer ces fascistes / communistes de Moscou?]

Le Washington Post a cependant ajouté ceci : «RT a contesté les résultats des chercheurs dans un courrier électronique vendredi, en disant que la chaîne n’a joué aucun rôle dans la production ou l’amplification de fausses nouvelles liées aux élections américaines ». RT a même été cité : «C’est le comble de l’ironie, qu’un article sur les fausses nouvelles soit fondé sur des allégations fausses et non étayées. RT rejette catégoriquement toutes les déclarations et insinuations selon lesquelles le réseau a produit ne serait ce même qu’une seule ‘fausse histoire’ liée aux élections américaines.»

Il est important de noter que l’article du Washington Post ne fournit pas un seul exemple montrant comment les faits réels d’une nouvelle spécifique ont été réécrits ou déformés par une agence russe, pour produire une information ayant un message politique contraire.

Que se cache-t-il derrière une propagande antirusse si flagrante? Dans la nouvelle Guerre froide, une telle question ne nécessite aucune réponse. La nouvelle Guerre froide, par définition, existe pour discréditer la Russie, simplement parce qu’elle s’oppose à la domination du monde par les États-Unis. Dans cette nouvelle Guerre froide, le spectre politique exposé dans les grands médias ne s’étend que de A à B.

William Blum

Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone

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