Par Sheldon Richman – Le 18 décembre 2015 – Source CounterPunch
L’exagération démagogique de la menace terroriste, qui a été au centre des derniers débats des Républicains, se dégonfle facilement dès qu’on commence à réfléchir. Quelle chance un habitant des États-Unis a-t-il de se trouver au même endroit que quelqu’un qui projette de commettre des meurtres au nom d’État islamique, d’al-Qaïda ou d’une autre cause ? Quasiment aucune. Beaucoup de choses banales sont susceptibles de nous tuer bien avant qu’on ne rencontre un islamiste, un suprématiste blanc ou un terroriste anti-avortement aux États-Unis.
Bizarrement, nous ne trouvons pas l’argent qu’il faudrait pour réduire substantiellement ces autres risques. Nous pourrions réduire considérablement le nombre de morts sur les routes en interdisant de tourner à gauche et de rouler à plus de 10 km/h. Mais qui appuierait de telles mesures ? Pourquoi donc acceptons-nous que le gouvernement dépense des milliers de milliards de dollars (pour ne pas mentionner les violations de la liberté) dans des tentatives futiles de nous sauver, nous et notre société ouverte, de toute espèce de terrorisme possible et imaginable – alors qu’il pourrait mieux garantir notre sécurité en dépensant moins d’argent et en respectant nos libertés, en pratiquant une politique étrangère non interventionniste ?
Bien sûr, l’évaluation de ce faible risque changerait – mais pas de manière significative, étant donné l’importance de la population et de la surface des États-Unis – si nous savions que le nombre de terroristes augmentait. Mais nous pouvons être sûrs que, comme John Mueller et Mark. G. Stewart l’affirment, le nombre des terroristes est minuscule. Comment le savons-nous ? Nous le savons parce que nous ne voyons pas beaucoup d’actes terroristes aux États-Unis. Comme Mueller et Stewart le notent, le 11 septembre était clairement un cas particulier et la plupart des complots terroristes déjoués ont été organisés, ou du moins facilités, par des indics du FBI. (Les attaques sur des installations militaires ne doivent pas être considérées comme du terrorisme. L’emploi de ce terme choc a pour seul but de permettre aux gouvernements des États-Unis et d’Israël de ne pas avoir à répondre de leurs assassinats). Et les actes terroristes auxquels nous avons assisté n’étaient pas très élaborés.
Certaines formes de terrorisme sont difficiles à combattre. Le détournement coordonné de plusieurs avions par des hommes armés de cutters (bien que de basse technologie) n’était pas une mission facile, et avec des verrous (de basse technologie) sur les portes des postes de pilotage, c’est devenu encore plus difficile. Mais d’autres formes de terrorisme sont simples à mettre en œuvre si on est prêt à mourir, ou si on veut mourir. Il n’est pas sorcier de trouver le moyen de tuer beaucoup d’innocents. Sayed Farook et Tashfeen Malik sont entrés dans la salle bondée où les collègues de Farook étaient réunis pour un repas de fête avec des armes achetées légalement ; ils ont tué 14 personnes et en ont blessé 22. En Israël, l’autre jour, un Palestinien a foncé avec sa voiture dans un groupe d’Israéliens qui attendaient l’autobus. Ce genre d’acte ne peut être déjoué que si les auteurs annoncent publiquement leur intention de le faire, ce que clairement Malik n’a pas fait. Et il est peu probable que d’autres le fassent.
Si l’Amérique fourmillait de cellules d’ISIS ou de loups solitaires auto-radicalisés, nous assisterions à beaucoup plus de violence. Juste après le 11 septembre, les officiels et les analystes ont certifié qu’il y aurait une deuxième vague. Ça n’a pas été le cas.
En outre, comme le soulignent Mueller et Stewart, la plupart des terroristes potentiels semblent être des paumés incapables de faire exploser un sac en papier et qui d’ailleurs ne s’y essayent que parce qu’ils y sont incités par un indic du FBI. Ceux qui agitent l’épouvantail du terrorisme – à savoir l’industrie de propagande gouvernementale médiatique des experts du terrorisme – peignent les terroristes potentiels comme une force invincible d’agents d’élite dirigée par des cerveaux supérieurs qui sont des génies de la haute technologie. (Ces agitateurs, dont le but est de semer la panique, voudraient nous faire croire que le cryptage a été inventé par ISIS). Mais la réalité n’a rien à voir avec cette présentation des choses. Tout comme les partisans de la guerre froide avaient intérêt, pour accroître leur pouvoir et leurs richesses, à nous faire croire que les Russes mesuraient trois mètres de haut, le lobby de la guerre-contre-le-terrorisme a intérêt à nous persuader que les islamistes sont d’une habilité diabolique ; ils vont bientôt fabriquer des bombes atomiques en valise, nous laisse-t-on entendre, et les amener sur Times Square.
Les candidats républicains à la présidentielle aiment à répéter que «nous sommes en guerre». Et donc, selon que l’on compte ou pas la guerre froide, nous serions dans la troisième guerre mondiale ou la quatrième guerre mondiale. Quelle sottise ! Les attentats terroristes en Occident démontrent, en fait, le caractère asymétrique de ce qui se passe entre les États-Unis et leurs cibles du monde musulman. Le gouvernement américain et ses complices mènent une vraie guerre. Même si les forces terrestres sont (actuellement) faibles et que les drones télécommandés prennent de plus en plus le pas sur les bombardiers et les hélicoptères de combat classique, la guerre que mène aujourd’hui l’Occident n’est pas très éloignée de la guerre traditionnelle.
Les terroristes, eux, commettent des crimes (des actes délictueux donc) contre des personnes aux États-Unis, en France, etc. Ils tirent sur des gens qui sont à des réceptions, des concerts et dans des restaurants. C’est horrible mais ce n’est pas la guerre. ISIS et al-Qaïda n’ont pas d’armées capables d’envahir les États-Unis, ni de marines, ni de forces aériennes. Ils n’ont pas la capacité de conquérir notre pays ni de faire tomber le gouvernement. Il leur est absolument impossible de nous vaincre. Nous seuls en sommes capables.
Nous sommes en guerre contre eux. Ils ne sont pas en guerre contre nous. Ils recourent au terrorisme précisément parce qu’ils – ou plus exactement ceux qui les soutiennent dans le pays – sont incapables de mener une guerre contre la société américaine. Ceux qui ne cessent de répéter qu’on est en état de guerre savent très bien qu’un gouvernement sur le pied de guerre sera autorisé à exercer un intolérable degré de pouvoir sur nous. Les candidats présidentiels bavent d’envie à l’idée de devenir des commandants en chef.
Lorsque Rick Santorum, faisant écho à ses rivaux présidentiels, affirme que «l’islam radical est en marche et que ce qu’ils veulent, c’est détruire le monde occidental», il cherche simplement à augmenter les votes en sa faveur en agitant des peurs sans fondement. Quelques loups solitaires ne font pas un islam radical, et leur projet (même en admettant qu’il soit celui-là) n’a aucun intérêt puisqu’ils n’ont pas les moyens de le réaliser. Mueller et Stewart parlent d’un terroriste qui voulait renverser la Sears Tower de Chicago, la faire tomber dans le lac Michigan, où elle créerait (espérait-il) un tsunami qui submergerait la ville, ouvrirait la prison et libérerait les détenus. Allons-nous laisser de pareils sornettes nous empêcher de dormir ?
Comme je l’ai déjà dit, la guerre-contre-le-terrorisme permet à ses cyniques supporters d’imposer aux Américains la perte de leur liberté, la perte de leur vie privée, la perte de leur prospérité et un stress inutile. Mais ce n’est pas tout : la suspicion généralisée dont sont victimes les musulmans américains (et d’autres) va finir par provoquer la destruction du corps social. On sait bien qu’ISIS et al-Qaïda veulent créer un fossé entre musulmans et non-musulmans en Amérique et ailleurs. Les politiciens américains disent qu’ils ne veulent pas que cela se produise, mais il est clair que leur rhétorique autoritaire ne peut qu’aggraver l’hostilité envers tous les musulmans.
Sheldon Richman tient le blog Free Association et est président du Center for a Stateless Society.
Traduction : Dominique Muselet