Par Andrew Korybko − Le 3 août 2023 − Source korybko.substack.com
La position adoptée par la France au Niger, consistant à refuser d’emblée de se retirer du pays si la junte devait le demander — sous prétexte que celle-ci constitue un régime illégal —, diverge par rapport à ce qu’elle a accepté de faire au Mali et au Burkina Faso après que le gouvernement militaire par intérim de chacun de ces deux pays lui avait demandé de faire.
La question est prégnante : la junte militaire patriotique établie au pouvoir au Niger, après avoir indiqué refuser toute nouvelle exportation d’uranium et d’or et vers la France, va-t-elle poursuivre et exiger que l’armée française soit retirée du pays, suivant en cela l’exemple établi par la fédération de facto burkinabé-malienne ? Cela pourrait constituer une demande risquée, la France ayant affirmé qu’elle n’accepterait pas d’ordre de la part de ce gouvernement. Voici ce que PBS a publié à ce sujet ce jeudi 3 août :
Même si les dirigeants militaires nigériens demandent le retrait de l’armée française — à l’instar de ce qui s’est passé dans les pays voisins du Mali et du Burkina Faso — cela ne changera rien, a affirmé Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère français des affaires étrangères, au cours d’une conférence de presse tenue mercredi. « Nous ne répondons pas aux putschistes. Nous reconnaissons un seul ordre constitutionnel et une seule légitimité, relevant du président Bazoum ».
Au vu de cette déclaration, la junte pourrait ou bien se discréditer en émettant une exigence que la France a d’emblée refusé, ou bien prendre le risque de se faire extraire du pouvoir par l’ancienne puissance colonisatrice si elle essaye d’imposer sa volonté. Aucun de ces deux scénarios ne servent les intérêts objectifs du nouveau gouvernement. Macron a affirmé la semaine dernière que « le président ne va tolérer aucune attaque contre la France et ses intérêts, » ce qui laisse à penser que la France répondrait de manière résolue dans le second de ces scénarios.
Quoi qu’il en soit, la junte se retrouverait probablement dans une situation inextricable si elle ne s’occupait pas directement du problème de la présence de l’armée française au Niger : la base militaire aérienne française établie dans la capitale nigérienne va finir par avoir besoin d’approvisionnements une fois qu’elle aura consommé ceux dont elle dispose, ce qui amènera les forces françaises à violer la fermeture des frontières du pays, à moins que cette fermeture soit levée d’ici là. La junte a reconnu que l’armée française avait déjà violé cette fermeture au moins une fois, peu après l’occurrence du coup d’État et l’émission du décret de fermeture des frontières. Mais des violations répétées de cette fermeture pourraient faire apparaître un dilemme.
D’un côté, laisser l’armée française bafouer cette règle retirerait à Paris le prétexte dont elle a besoin pour attaquer directement la junte, dans le cas peu probable où l’invasion planifiée du Niger par la CEDEAO (soutenue par l’OTAN et dirigée par le Nigéria) serait annulée, mais les dirigeants militaires fraîchement établis au Niger s’en verraient discrédités. De l’autre côté, ouvrir le feu sur l’armée française constituerait une réaffirmation forte de la souveraineté du Niger, mais provoquerait presque certainement une réponse française écrasante, pouvant mener à une escalade d’une nature proche de celle du changement de régime pratiqué par le passé en Libye.
Contrairement au cas syrien, où les forces militaires étasuniennes sont positionnées dans des zones éloignées du pays, mais stratégiques, l’armée française stationnée au Niger est positionnée dans la capitale, ce qui signifie que leur présence ne peut être ignorée. La junte a récemment accusé l’armée française de préparer des frappes aériennes sur le palais présidentiel pour libérer Mohamed Bazoum, le président déchu, qui y est maintenu captif ; le maintien de la présence de l’armée française constitue donc une menace imminente potentielle envers la sécurité nationale.
La position adoptée par la France au Niger, consistant à refuser d’emblée de se retirer du pays si la junte devait le demander — sous prétexte que celle-ci constitue un régime illégal —, diverge par rapport à ce qu’elle a accepté de faire au Mali et au Burkina Faso après que le gouvernement militaire par intérim de chacun de ces deux pays lui avait demandé de faire. Cela suggère que la France a décidé de tracer une ligne rouge, et est prête à se battre pour conserver son dernier bastion régional : cela n’est pas de bon augure pour la junte nigérienne.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone