Par Moon of Alabama − Le 22 septembre 2020
Les pays “occidentaux”, c’est-à-dire les États-Unis et leurs “alliés”, adorent parler d’un “ordre international fondé sur des règles” qu’ils disent que tout le monde devrait suivre. Cet “ordre fondé sur des règles” est un concept bien plus vague que l’état de droit réel :
Le G7 est uni par ses valeurs communes et son engagement en faveur d'un ordre international fondé sur des règles. Cet ordre est remis en cause par l’autoritarisme, les graves violations des droits de l’homme, l’exclusion et la discrimination, les crises humanitaires et sécuritaires et le mépris du droit et des normes internationales. En tant que membres du G7, nous sommes convaincus que nos sociétés et le monde ont récolté des bénéfices remarquables d'un ordre mondial fondé sur des règles et soulignons que ce système doit avoir en son cœur les notions d'inclusion, de démocratie et de respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales, de la diversité et de la primauté du droit.
Le fait que “l’ordre international fondé sur des règles” est censé inclure de vagues concepts tels que “démocratie”, “droits de l’homme”, “libertés fondamentales”, “diversité” et plus, rend plus facile de prétendre que telle ou telle violation des règles s’est produite. Ces violations peuvent ensuite être utilisées pour imposer des punitions sous forme de sanctions ou de guerre.
Le fait que la définition ci-dessus ait été donnée par une minorité de quelques pays riches montre déjà clairement qu’elle ne peut pas être un concept global pour un monde multilatéral. Cela nécessiterait un ensemble de règles que tout le monde a acceptées. Nous avions et avons encore un tel système. Cela s’appelle le droit international. Mais à la fin de la guerre froide, «l’Occident» a commencé à ignorer le droit international actuel et à le remplacer par ses propres règles que d’autres étaient alors censés suivre. Cet hybris s’est retourné pour mordre «l’Ouest».
L’article récent d’Anatol Lieven, How the West lost, décrit cette défaite morale de “l’Ouest” après sa “victoire” douteuse lors de la guerre froide :
Accompagnant cette idéologie politique et économique extrêmement dominante, se trouvait une vision géopolitique américaine tout aussi grandiose en ambition et également aveugle aux leçons de l'histoire. Cela a été résumé dans le mémorandum sur les «Directives de planification de la défense 1994-1999», rédigé en avril 1992 pour l'administration Bush Senior par le sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz et Lewis «Scooter» Libby, puis divulgué aux médias. Son message central était le suivant : ... Alors que ce document de Washington de 1992 parlait des «intérêts légitimes» d'autres États, il impliquait clairement que ce serait Washington qui définirait quels intérêts étaient légitimes et comment ils pourraient être poursuivis. Et encore une fois, bien qu'elle n'ait jamais été formellement adoptée, cette «doctrine» est devenue en fait le mode opératoire standard des administrations ultérieures. Au début des années 2000, lorsque son influence a atteint son apogée de dangerosité, les élites militaires et de sécurité l'ont formulée en termes de «domination totale du spectre». Comme le président Bush Jr l'a déclaré dans son discours sur l'état de l'Union en janvier 2002, qui a mis les États-Unis sur la voie de l'invasion de l'Irak : "Par la grâce de Dieu, l'Amérique a gagné la guerre froide… Un monde autrefois divisé en deux camps armés reconnaît désormais une seule et éminente puissance, les États-Unis d’Amérique."
Mais ce pouvoir a depuis échoué dans les guerres contre l’Irak et l’Afghanistan, pendant la crise financière de 2008, et maintenant à nouveau dans la pandémie. Il a également créé une nouvelle concurrence qui conteste son rôle en raison de son propre comportement :
D'une part, les mesures américaines visant à étendre l'OTAN aux pays baltes, puis - sans succès - à l'Ukraine et à la Géorgie, et à abolir l'influence russe en détruisant les alliés russes au Moyen-Orient, ont inévitablement produit une réaction nationaliste russe féroce et largement étendue ... D'un autre côté, la manière "bienveillante et négligente" dont Washington considérait la montée en puissance de la Chine dans la génération qui a suivi la guerre froide - par exemple, la décision allègre d'autoriser la Chine à rejoindre l'Organisation mondiale du commerce - était également enracinée dans l'arrogance. Le triomphalisme occidental signifiait que la plupart des élites américaines étaient convaincues qu'en raison de la croissance économique, l'État communiste chinois se démocratiserait ou serait renversé ; et que la Chine devrait finalement adopter la version occidentale de l'économie ou échouer. Cela s'ajoutait à la conviction que de bonnes relations avec la Chine pouvaient être fondées sur l'acceptation par la Chine d'un ordre international dit «fondé sur des règles» dans lequel les États-Unis établissaient les règles tout en étant également libres de les enfreindre quand ils le souhaitaient ; quelque chose que personne n'ayant la moindre connaissance de l'histoire chinoise n'aurait dû croire.
L’ambassadeur indien à la retraite M.K. Bhadrakumar aborde les mêmes points dans une excellente série sur la nouvelle alliance sino-russe :
- L’Alliance sino-russe arrive à maturité – Partie 1
- L’Alliance sino-russe arrive à maturité – Partie 2
- L’Alliance sino-russe arrive à maturité – Partie 3
Bhadrakumar décrit comment «l’Occident», par son propre comportement, a créé un bloc puissant qui s’oppose désormais à ses diktats. Il conclut :
Fondamentalement, la Russie et la Chine contestent un ensemble de pratiques néolibérales qui ont évolué dans l'ordre international de l'après-guerre, validant l'utilisation sélective des droits de l'homme comme valeur universelle pour légitimer l'intervention occidentale dans les affaires intérieures des États souverains. D'un autre côté, ces deux pays acceptent et affirment continuellement leur attachement à un certain nombre de préceptes fondamentaux de l'ordre international - en particulier, la primauté de la souveraineté des États et de l'intégrité territoriale, l'importance du droit international et la centralité des Nations Unies et le rôle clé du Conseil de sécurité.
Alors que les États-Unis veulent un vague “ordre international fondé sur des règles”, la Chine et la Russie insistent sur un ordre international fondé sur l’État de droit. Deux commentaires récents de dirigeants chinois et russes le soulignent.
Dans un discours en l’honneur du 75e anniversaire de l’ONU, Xi Jinping, le président chinois, a mis l’accent sur le multilatéralisme fondé sur le droit :
La Chine soutient fermement le rôle central des Nations Unies dans les affaires mondiales et s'oppose à tout pays agissant comme le chef du monde, a déclaré lundi le président Xi Jinping. ... "Aucun pays n'a le droit de dominer les affaires mondiales, de contrôler le destin d'autrui ou de conserver pour lui seul les avantages du développement", a déclaré M. Xi. Notant que l'ONU doit rester ferme pour la justice, M. Xi a déclaré que le respect mutuel et l'égalité entre tous les pays, grands ou petits, est le principe fondamental de la Charte des Nations Unies. Aucun pays ne devrait être autorisé à faire ce qu'il veut, à être hégémonique ou intimidateur, a déclaré Xi. "L'unilatéralisme est une impasse", a-t-il déclaré. ... Les lois internationales ne doivent pas être déformées ou utilisées comme prétexte pour saper les droits et intérêts légitimes d'autres pays ou la paix et la stabilité mondiales, a-t-il ajouté.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est allé encore plus loin en rejetant carrément les “règles occidentales” qu’implique “l’ordre international fondé sur des règles” :
Les idées selon lesquelles la Russie et la Chine joueront en toutes circonstances avec des règles occidentales sont profondément viciées, a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans une interview à la chaîne internationale de langue russe RTVI basée à New York. "Je lisais nos politologues qui sont bien connus en Occident. L'idée suivante devient de plus en plus forte et prononcée : il est temps d'arrêter d'appliquer les métriques occidentales à nos actions et d'arrêter d'essayer d'être aimé par l'Occident à tout prix. Ces politologues sont des personnes très réputées et cette déclaration est assez sérieuse. Il est clair pour moi que l'Occident nous pousse sciemment ou non vers cette analyse. Il est probable que cela se fasse sans le vouloir", a noté Lavrov. "Cependant, c'est une grosse erreur de penser que la Russie jouera de toute façon selon les règles occidentales, tout comme le penser à propos de la Chine."
En tant qu’alliées, la Chine et la Russie ont toutes les matières premières, l’énergie, l’ingénierie, les capacités industrielles, l’agriculture, et les populations nécessaires pour être complètement indépendantes de «l’Occident». Elles n’ont ni besoin ni désir de suivre des règles douteuses dictées par d’autres pouvoirs. Il n’y a aucun moyen de leur imposer cela. Comme M.K. Bhadrakumar conclut :
Les États-Unis ne peuvent pas détruire cette alliance à moins de vaincre simultanément la Chine et la Russie. L'alliance, quant à elle, se trouve également du bon côté de l'histoire. Le temps joue en sa faveur, car le déclin des États-Unis en tant que puissance globale et influenceurs mondiaux ne cesse de se manifester et le monde s'habitue au «siècle post-américain».
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P.S.
Sur une note plus légère : RT, la chaîne de télévision internationale parrainée par l’État russe, a récemment embauché Donald Trump (vidéo). Il animera bientôt sa propre émission de télé-réalité sur RT. Le titre provisoire serait : “Poutine’s Apprentice” [The Apprentice était une série télé produite par Trump, NdT] L’apprentissage pourrait lui donner une chance d’apprendre comment une nation faillie peut retrouver son ancienne gloire.
Moon of Alabama
Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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