Une grosse banque serait-elle au bord de la faillite ?
Par Mike Whitney – Le 10 février 2020 – Source Unz Review
Lorsque les investisseurs achètent des actions, le prix des actions augmente. C’est la loi immuable du marché. Peu importe que l’argent provienne de grandes institutions financières, de petit joueurs comme Papa ou de banques centrales. La même règle s’applique : Si vous achetez plus d’actions, les prix augmenteront.
Ainsi, lorsque la Réserve fédérale a lancé sa récente opération de “sauvetage du marché REPO [Repurchase agreement ou accord de rachat, NdT]”, opération qui fournit 60 milliards de dollars de liquidités supplémentaires par mois, plus des milliards de dollars supplémentaires en cash-for-collateral [liquide contre garantie], les cours des actions ont, naturellement, augmenté assez fortement.
Bien sûr, les magazines d’économie ne vont pas admettre que l’intervention de la Fed pousse les actions à la hausse, mais c’est pourtant bien ce qui se passe. La Fed élargit son bilan, augmente les réserves des banques et fournit des centaines de milliards de dollars de prêts à court terme et à faible taux d’intérêt à ceux qui bénéficient des REPOs. Ces liquidités supplémentaires poussent les actions à la hausse, comme ce fut le cas lorsque la Fed pratiquait sa politique d’assouplissement quantitatif.
Selon un article de Wolf Street, un blog d’économie : De la “mi-septembre 2019, (jusqu’au) 1er janvier 2020, la Fed a ajouté près de 410 milliards de dollars à son bilan”, ce qui représente une somme astronomique. La Fed a acheté principalement des bons du Trésor afin de constituer des réserves dans les banques pour que ces opérations sur le marché REPO puissent avoir lieu sans faire monter les taux d’intérêt. Certains lecteurs se souviennent peut-être de la façon dont cette même politique, l’assouplissement quantitatif, a été utilisée pendant la crise financière. La Fed a lancé trois séries d’assouplissement quantitatif, a acheté des milliers de milliards de dollars de bons du Trésor américain et de titres adossés à des créances hypothécaires (MBS) qui, à leur tour, ont envoyé le cours des actions vers la stratosphère.
Cette fois, la Fed ne veut pas que les médias utilisent le mot assouplissement quantitatif parce qu’elle a peur que les gens n’interprètent cela comme (a) la crise n’a jamais pris fin et (b) la Fed fait à nouveau grimper les prix des actions. Il n’est pas surprenant que les serviles médias aient accédé à la demande de la Fed, mais cela ne change rien à la réalité. La Fed a abaissé les taux à leur niveau d’urgence et fait pleuvoir sur l’ensemble du marché REPO des centaines de milliards de dollars pour éviter un autre effondrement du système. Et ce qui est drôle, c’est que la Fed n’a pas la moindre idée de ce qu’est le problème. Cela peut sembler incroyable, mais je vous assure que c’est vrai. Nous dépensons 500 milliards de dollars pour un problème qui n’a pas encore été identifié et qui pourrait n’être rien d’autre qu’une manipulation menée par l’une des grandes banques dans l’intention de forcer la Fed à relancer un assouplissement quantitatif. En d’autres termes, l’un de ces grosses banques pourrait être en train de mener la Fed en bateau.
Malgré cela, la Fed achète 60 milliards de dollars par mois de bons du Trésor (principalement) pour constituer des réserves dans les banques, tout en offrant des milliards de dollars supplémentaires en espèces pour des prêts au jour le jour et à 14 jours. Ce que nous voulons savoir, c’est si cette opération de dumping monétaire fait grimper les cours des actions ou non. La réponse à cette question se trouve dans un article d’Investopedia qui explique la théorie de base :
Le plan d’achat d’actifs à grande échelle (LASP) de la Réserve fédérale, également connu sous le nom d’assouplissement quantitatif (ou QE – Quantitative Easing), affecte le marché boursier, mais il est difficile de savoir exactement comment et dans quelle mesure. Des preuves empiriques suggèrent qu’il existe une corrélation positive entre le QE et une hausse du marché boursier ; certains des plus grands gains boursiers de l’histoire des États-Unis se sont produits après le lancement d’un LASP. Il y a plusieurs explications possibles…
Lorsque la Réserve fédérale commence à entrer sur le marché pour acheter des actifs financiers, elle manipule les signaux de prix de trois manières importantes : baisse des taux d’intérêt, augmentation de la demande d’actifs et réduction du pouvoir d’achat par unité monétaire. Au lieu que les prix des actions agissent comme un reflet exact de la valeur des entreprises et de la demande des investisseurs, les prix manipulés forcent les acteurs du marché à ajuster leurs stratégies pour suivre la valeur des actions qui augmente sans que leurs entreprises sous-jacentes n’acquièrent réellement plus de valeur. (Quantitative Easing impact on the stock market, Investopedia)
Si vous cherchez sur l’internet, vous trouverez des centaines d’articles qui disent essentiellement la même chose. La Fed et ses défenseurs peuvent réfuter ces affirmations, mais parmi les négociants chevronnés et les observateurs du marché, l’affaire est entendue. L’assouplissement quantitatif entraîne une inflation des actifs, une plus grande prise de risque, une hausse du prix des actions et des bénéfices exceptionnels pour le monde des investisseurs.
Il n’est pas surprenant que l’intervention de la Fed sur le marché des REPO ait produit le même résultat. En inondant le marché de liquidités, la Fed a empêché les taux de monter en flèche, mais elle a également soutenu les actions grâce à un océan de liquidités créées numériquement.
Il y a donc maintenant suffisamment d’argent dans le système pour échanger des garanties (titres notés AAA) contre des prêts à court terme à des taux inférieurs à ceux du marché. Tout cela semble très compliqué, mais ce n’est pas le cas. Le REPO n’est pas différent d’une opération qui consiste à aller chez un prêteur sur gages local et à lui remettre votre tronçonneuse pour quelques dollars afin de pouvoir aller faire les bars avec vos copains louches le samedi soir. Ensuite, lorsque vous êtes payé le lundi, vous retournez au prêteur sur gages et vous rachetez vos affaires à un prix légèrement plus élevé. Le REPO fonctionne de la même manière. Je vous donne mes bons du Trésor américain et vous me donnez l’argent dont j’ai besoin pour éloigner les loups de la porte. Le problème du REPO est qu’il s’agit d’une opération largement sous-réglementée, de transactions d’une valeur totale de 2200 milliards de dollars par jour, qui implique une poignée de chambres de compensation sous-capitalisées, des emprunteurs très douteux et une banque centrale qui n’est que trop désireuse de fournir des renflouements somptueux au pied levé. Cette combinaison mortelle a jeté les bases de la crise actuelle.
Gardez à l’esprit que pas un centime de cet argent n’est dirigé vers les travailleurs ou l’économie réelle. Tout reste bloqué dans le système financier où il est utilisé pour maximiser l’effet de levier, fausser les prix et gonfler les actifs afin que les 1% riches puissent acheter une autre babiole à leur femme chez Tiffany’s ou déposer un “acompte” pour cette ravissante maison de vacances à Martha’s Vineyard. [Île de milliardaires sur la côte Est, NdSF]
Mais comment cela fonctionne-t-il ? Comment les injections de liquidités de la Fed poussent-elles les prix des actions à la hausse ? C’est ce que nous voulons savoir. Lisez cet extrait de Wall Street, sur Parade :
Au total, depuis que la Fed a commencé à faire ces prêts sans précédent sur le marché REPO aux maisons de commerce de Wall Street, depuis le 17 septembre de l’année dernière, elle a injecté plus de 6 600 milliards de dollars dans Wall Street.
Cet argent a trouvé sa place sur le marché boursier, très probablement par le biais de contrats à terme sur les indices boursiers qui offrent un bon rapport qualité-prix grâce à un fort effet de levier par le biais de prêts sur marge. Certaines de ces maisons de commerce de Wall Street qui empruntent à la Fed à 1,60 % prêtent probablement cet argent à des fonds spéculatifs (à un taux d’intérêt beaucoup plus élevé) et les fonds spéculatifs injectent ensuite cet argent dans des contrats à terme sur indices boursiers.
Le marché boursier a atteint de nouveaux sommets depuis que la Fed de New York a mis en service ce robinet à milliards de dollars qui fonctionne tous les jours ouvrables depuis le 17 septembre. (“La Fed a un dangereux problème avec le marché REPO : voici les graphiques” – Wall Street on Parade)
Bien sûr, la Fed n’achète pas directement les actions des sociétés individuelles cotées au S&P 500 ou au Dow Jones Industrial Average, mais l’effet est largement le même. Des sommes d’argent colossales sont injectées sur les marchés financiers, ce qui attire davantage d’acheteurs et fait monter les prix. En d’autres termes, la Fed met de l’argent à un bout et, bingo, les actions montent en flèche à l’autre bout. Voici comment le Management Study Guide résume la situation :
Lorsqu’une politique d’assouplissement quantitatif (QE) expansionniste est annoncée, le marché devient haussier et les cours des actions commencent à augmenter. D’autre part, l’assouplissement quantitatif fait que l’économie se contracte, alors les marchés deviennent baissiers et les actions ont tendance à perdre de la valeur.
(Effet de l’assouplissement quantitatif sur les marchés boursiers, Management Study Guide)
Simple, n’est-ce pas ? Et tout cela rejoint notre thèse initiale qui est : “Quand les investisseurs achètent des actions, le prix des actions augmente.” Dans ce cas, une augmentation des liquidités dans un système fermé gonfle inévitablement la valeur des actifs de ce système.
La Fed justifie cette manipulation en disant qu’elle ne fait que garder le contrôle des taux d’intérêt à court terme, ce qui est partiellement vrai, mais trompeur tout de même. La raison pour laquelle les taux à court terme ont atteint un sommet en septembre est que les autres participants au marché REPO sont devenus moins disposés à fournir des liquidités en garantie à d’autres institutions financières. Mais pourquoi font ils cela puisque après tout ils font de l’argent avec ces prêts, n’est-ce pas ?
Oui, ils en font, ce qui laisse penser qu’il se passe peut-être autre chose en dessous du radar. Il se peut qu’une grande banque ou une institution financière soit en difficulté et ne puisse pas obtenir le financement dont elle a besoin parce que les autres prêteurs ne sont pas sûrs de récupérer leur argent. C’est l’explication la plus probable. Mais de quelle banque s’agirait-il ? Une fois de plus, Wall Street on Parade a une intuition et l’étaye de quelques faits intéressants. Lisez :
La Deutsche Bank a été un casse-tête constant pour le système financier américain car elle est fortement imbriquée, par le biais des produits dérivés, avec les grandes banques de Wall Street, notamment JPMorgan Chase, Citigroup, Goldman Sachs, Morgan Stanley et Bank of America….
Le jour où une descente de police a eu lieu à la Deutsche Bank, le mardi 24 septembre, la Fed de New York a offert 30 milliards de dollars en prêts à terme d’urgence de 14 jours et a eu une demande de plus du double de ce montant. Cela a conduit la Fed à augmenter ses prêts à terme de 14 jours de 30 milliards de dollars à 60 milliards de dollars, dans la semaine. Les prêts REPO à un jour de la Fed qui ont été offerts la semaine dernière ont également été augmentés de 75 milliards de dollars par jour à 100 milliards de dollars par jour….
Wall Street On Parade estime que la crise des REPO à Wall Street pourrait, au moins en partie, être liée au fait que les grandes banques de Wall Street cherchent à se protéger des risques de leurs prêts à la Deutsche Bank. Vous pouvez lire la chronologie ci-dessous et vous faire votre propre opinion.
(The Repo Loan Crisis, Dead Bankers, and Deutsche Bank: Timeline of Events” Wall Street on Parade)
Cela expliquerait la hausse soudaine des taux ainsi que l’augmentation de la demande de prêts à 14 jours. Mais, tout de même, comment ces prêts aident-ils une banque qui pourrait être insolvable car, après tout, un prêt doit être remboursé, n’est-ce pas ?
Cela dépend si les prêts sont effectivement remboursés ou s’ils sont simplement reconduits indéfiniment. S’ils sont reconduits indéfiniment, alors ce n’est pas du tout un prêt, c’est un renflouement. Voici un autre extrait de Wall Street on Parade :
Ni le public ni le Congrès n’ont de preuve que ces prêts REPO soient remboursés. Une ou plusieurs des 24 institutions financières de Wall Street (primary dealers), qui sont autorisées par la Fed de New York à lui emprunter directement de l’argent à des taux d’intérêt super bon marché, pourraient simplement reconduire les mêmes prêts ou utiliser de l’argent à terme pour rembourser un prêt en contractant parallèlement un autre prêt.
Il y a une montagne de preuves qui suggèrent que c’est exactement ce qui se passe. (Les prêts REPO de la Fed sont-ils remboursés par les institutions financières de Wall Street ou sont-ils simplement reconduits sans cesse, Wall Street on Parade)
Ah ha, donc les opérations de liquidité de la Fed pourraient s’avérer être une discrète opération de sauvetage ?
On dirait bien que c’est le cas. Nous savons déjà que la Fed a l’habitude de jouer avec les règles, d’ignorer son mandat et de se plier en quatre pour ses électeurs de Wall Street. Nous pouvons également supposer que la Fed préfère soutenir une banque en faillite, avec des sommes d’argent colossales, plutôt que de faire face aux retombées d’un autre cataclysme financier. Cela semble également être un pari raisonnablement sûr.
Mais n’oublions pas cette autre partie de l’histoire qui est apparue dans l’édition du 14 janvier du Wall Street Journal. Jetez-y un coup d’œil :
Les fonds spéculatifs empruntent actuellement par le biais d’un processus appelé REPO sponsorisé, dans lequel ils demandent à une grande banque d’agir en tant qu’intermédiaire, en associant leurs obligations d’État à des fonds d’investissements prêts à prêter de l’argent. La banque va garantir que les parties vont remplir leurs obligations, rembourser le cash ou rendre les garanties…Certains craignant que si la Fed prêtait directement aux fonds spéculatifs, cela laisserait à penser qu’elle alimente les paris financiers à risque
(Hedge Funds Could Make One Potential Fed Repo-Market Fix Hard to Stomach, Wall Street Journal)
Hein ? La Fed prête donc de l’argent aux plus malhonnêtes, aux joueurs de Wall Street, aux fonds spéculatifs ?
Oui, c’est ça. Et, gardez à l’esprit qu’un fond spéculatif, par définition, est “une société en commandite d’investisseurs qui utilise des méthodes à haut risque, telles qu’investir avec de l’argent emprunté, dans l’espoir de réaliser d’importantes plus-values”. En d’autres termes, ce sont des spéculateurs dont le seul objectif est de maximiser les profits sur papier en augmentant l’effet de levier et en prenant des risques.
Est-ce pour cela que la Fed est passée à l’action au premier signe de difficultés, parce qu’elle voulait s’assurer que ces charognards obtiennent le fric nécessaire pour financer leurs opérations casino ?
Probablement, mais le jury n’est pas encore au courant. Une chose est sûre cependant, tous ces fonds spéculatifs en roue libre ont de nombreuses relations entre eux, ce qui signifie que si l’un des dominos tombe, le reste suivra bientôt. Et c’est le scénario cauchemardesque que la Fed veut éviter à tout prix.
Malheureusement, la dernière intervention de la Fed ne peut pas inverser les effets d’une faillite. Si une grande banque ou un fonds spéculatif est déjà par le fonds, ce n’est qu’une question de temps avant que le corps ne remonte à la surface. Et c’est à ce moment-là que l’enfer va se déchaîner.
Mike Whitney
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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