La diplomatie russe menace la domination occidentale en Afrique


Par Ulson Gunnar – Le 29 octobre 2019 – New Eastern Outlook

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Pendant que la Russie tentait d’attirer l’attention sur son tout premier sommet Russie-Afrique qui s’est tenu ce mois-ci à Sotchi, en Russie, une campagne de diffamation systématique lancée par les médias occidentaux créait un débat autour des accusations portées contre Moscou et montrait l’hypocrisie de ceux qui ont porté ces accusations concernant leurs propres activités en Afrique.

Le débat provoqué par les accusations occidentales a contribué à attirer l’attention sur les affaires souvent négligées du continent africain, des nations et peuples qui y vivent, ainsi qu’à comparer les siècles d’abus occidentaux et les approches des relatifs «nouveaux venus» comme la Russie et la Chine.
Quant à la Russie, son sommet semble avoir été apprécié, et s’il avait été sans conséquences nous ne verrions probablement pas les médias occidentaux réagir à ce point.

La façon dont l’Occident traite l’Afrique….

Dans un monde idéal, les nations seraient libres de s’associer ou de se dissocier d’autres nations et cercles d’intérêts particuliers d’une manière qui reflète leurs propres intérêts.

Dans le monde unipolaire de Washington, les nations n’ont pas ce luxe.
C’est particulièrement le cas du continent africain, qui compte 1,2 milliard de personnes vivant dans 54 pays et qui a été soumis par l’Occident à un impérialisme pur et simple, aux invasions, aux occupations, aux opérations de changement de régime, aux guerres économiques, aux génocides, aux guerres chimiques et biologiques et, littéralement, à un esclavage qui a duré plusieurs siècles.

Les États-Unis ont repris là où d’anciennes puissances coloniales comme le Royaume-Uni et la France s’étaient arrêtées. Mais le Royaume-Uni et la France ont été des complices volontaires et des impérialistes résurgents eux-mêmes ces dernières années dans toute l’Afrique.

Pour comprendre la façon dont l’Occident traite avec l’Afrique, nous pourrions nous pencher sur l’État nord-africain de Libye, qui a été pris pour cible pendant des décennies par les États-Unis en utilisant contre elle la subversion secrète, les sanctions économiques et enfin une guerre d’agression, en 2011, qui a désintégré la nation, la transformant en un État en déroute soumis à la guerre, l’esclavage moderne et provoquant une crise régionale de réfugiés.

La destruction de la Libye a également entraîné une vague régionale de terrorisme qui a infecté les États africains voisins et même des pays aussi lointains que la Syrie.

Si la destruction de la Libye a été menée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont joué un rôle de soutien important.

La France renforce également ses troupes dans ses anciennes colonies africaines dans une résurgence néocoloniale peu subtile. Le Business Insider dans un article intitulé “L’armée française est dans toute l’Afrique”, remarquait :

Actuellement, la France compte plus de 3 000 soldats répartis dans cinq pays d’Afrique – Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad – dans le cadre de l’opération Barkhane.

Ces forces, ainsi que celles de l’Africom américain et d’autres pays occidentaux, lutteraient contre le “terrorisme”. Pourtant, le terrorisme même que ces forces prétendent utiliser comme prétexte pour justifier l’occupation de nations africaines est le résultat direct de plans délibérés visant à utiliser des extrémistes comme forces auxiliaires dans les guerres d’agression qui ont détruit la Libye en 2011.

De toute évidence, si les forces occidentales cultivent le terrorisme tout en se faisant passer pour des combattants du terrorisme, les pays qui accueillent ce théâtre géopolitique ont très peu d’options face à ces puissances mondiales.

Tant pour les nations qui souffrent de l’instabilité provoquée par les machinations américaines et occidentales que pour celles qui y seront confrontées dans un avenir proche ou intermédiaire, le désir d’alternatives doit être grand, en particulier celles qui offrent un développement réel, des projets d’infrastructure et des liens de défense au-delà du racket de protection élaboré que l’Occident mène.

La Russie arrive

La BBC, dans son article, “Sommet Russie-Afrique : Qu’est-ce qui se cache derrière la poussée de Moscou sur le continent ? », annonce :

La Russie a renforcé ses contacts politiques dans la région, avec 12 chefs d'État africains en visite à Moscou depuis 2015, dont six rien qu’en 2018. 
Et ses ambitions ont suscité une certaine inquiétude de la part des grandes puissances occidentales, qui sont dépassées par Moscou.

L'an dernier, l'ancien conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton, a annoncé une nouvelle stratégie américaine pour l'Afrique, visant en partie à contrer à la fois la Chine et la Russie. 

En même temps, un éditorial récent du Washington Post parlait de la Russie "cherchant agressivement des accords et des relations de sécurité" alors que l'influence américaine sur le continent continuait à décliner.

Le rapport prend note des objectifs de la Russie en matière de développement des relations politiques et diplomatiques, de défense et d’assistance économique, d’aide humanitaire ainsi que d’éducation et de formation professionnelle.

Mais c’est une citation remarquée par la BBC, faite par le président russe Vladimir Poutine, qui illustre parfaitement non seulement la différence entre les approches occidentales et russes dans la construction d’une présence en Afrique, mais aussi pourquoi la Russie réussit mieux alors que l’influence américaine diminue malgré les grandes disparités entre les États-Unis et la Russie en termes de puissance économique et militaire.

Voici cette citation :

Nous n’imposons pas nos vues, respectant le principe des “solutions africaines aux problèmes africains”, solutions proposées par les Africains eux-mêmes.

De toute évidence, si les États-Unis possèdent un immense avantage en termes de puissance économique et militaire, leurs ambitions en Afrique s’inscrivent dans le cadre de leur ordre mondial unipolaire, où les États-Unis existent avant toutes les autres nations et sont les seuls à appliquer les “règles et normes” internationales décidées par (et pour) les États-Unis et généralement au détriment de la souveraineté nationale des nations dans le monde.

Comparez cela à la vision du monde multipolaire démontrée par Moscou, dans laquelle toutes les nations existent côte à côte, sous l’égide de la primauté de la souveraineté nationale.

Il n’est pas difficile de déterminer quel modèle de relations internationales les nations du monde entier préféreraient, ou à qui revient le leadership moral.
Plutôt que de s’adapter à l’évolution du monde pour adopter une vision plus multipolaire et concurrencer de manière constructive non seulement la Russie, mais aussi la Chine, les États-Unis ont décidé de continuer sur leur lancée tout en tentant d’utiliser leur influence sur les médias mondiaux pour décrire les méthodes russes sous un jour aussi peu flatteur que l’est la fiction de Washington dans sa politique actuelle en Afrique.

Retour de bâton occidental

Des articles comme celui du Guardian, titré “Des documents divulgués révèlent les efforts de la Russie pour exercer une influence en Afrique”, font allusion à ce qui est décrit comme une influence obscure et malveillante émanant de Moscou sur l’Afrique.

Le Guardian prétend :

La Russie cherche à renforcer sa présence dans au moins 13 pays d’Afrique en établissant des relations avec les dirigeants existants, en concluant des accords militaires et en formant une nouvelle génération de “dirigeants” et d’“agents” infiltrés, révèlent des documents qui ont fait l’objet de fuites.

L’établissement de relations avec les dirigeants existants et la conclusion d’accords militaires sont des éléments constitutifs de liens politiques, économiques et militaires normaux entre les nations. La “protection” des dirigeants et d’“agents infiltrés” semble beaucoup plus sinistre, mais c’est aussi quelque chose que l’article du Guardian ne parvient pas à prouver.

D’autres articles du même style citent tous le douteux “Dossier Center”, dirigé par le criminel russe Mikhaïl Khodorkovski, condamné à Londres, qui à son tour cite des “documents non vérifiés et non pertinents” qui tentent de cibler Moscou en imitant Wikileaks, moins les documents vérifiés que Wikileaks publie effectivement.

Les accusations portées contre la Russie, notamment en ce qui concerne ses activités de formation et d’armement des militaires centrafricains (mission que l’ONU elle-même a autorisée la Russie à entreprendre, selon l’AFP), ont certainement peu de portée.

L’article susmentionné de la BBC l’admet lui-même, en soulignant (c’est nous qui soulignons) :

Par exemple, la Russie a été active en République centrafricaine (RCA), aidant officiellement à soutenir le gouvernement en difficulté, soutenu par l’ONU, contre une série de groupes rebelles. Mais des forces militaires privées russes y ont également travaillé, assurant la sécurité du gouvernement et contribuant à la sauvegarde d’actifs économiques essentiels. Des activités mercenaires russes ont également été signalées au Soudan et en Libye ainsi que dans d’autres pays, impliquant Wagner, une compagnie militaire privée qui aurait des liens avec le Kremlin. Les autorités russes minimisent souvent ces rapports et il est difficile d’établir les liens exacts entre ces groupes et l’État russe.

Ainsi, une autre campagne de diffamation est menée contre la Russie, bien que rien n’indique que les campagnes précédentes aient aidé l’Occident à saboter les efforts de la Russie pour récupérer la Crimée, protéger ses frontières avec l’Ukraine, aider le gouvernement syrien contre le changement de régime dirigé par les États-Unis et développer des liens même avec des pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne.

Non seulement la Russie (ainsi que la Chine) représentent une menace pour l’impérialisme occidental en Afrique en offrant des alternatives beaucoup plus attrayantes pour les nations et les peuples d’Afrique, mais les puissances mondiales émergentes comme la Russie, qui s’adonnent à une diplomatie “sans laisse” et offrent une protection contre les moyens et méthodes de l’hégémonie occidentale menacent la normalisation du néocolonialisme encore encouragé par les nations comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.

Le succès de la Russie en Afrique sera un autre indicateur du passage d’un ordre mondial unipolaire dominé par les États-Unis à un monde multipolaire plus sensible et plus équilibré où non seulement les méthodes américaines ne pourront être “normalisées”, mais elles deviendront la base de l’isolement de l’Amérique tant que celle-ci ne les abandonne pas.

Seul l’avenir nous dira si ce succès sera pleinement réalisé ou non ou comment les États-Unis tenteront de le contrer. Espérons que les États-Unis seront encouragés par la prise de conscience de leur influence décroissante en Afrique ainsi que par leur retrait du Moyen-Orient, à revenir sur la scène mondiale en tant qu’égaux constructifs plutôt que de poursuivre leur construction d’un empire insoutenable à l’étranger et que leur paranoïa augmente encore chez eux.

Gunnar Ulson

Traduit par Wayan, relu par Kira pour le Saker Francophone

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