La dernière fuite publiée par The Intercept va causer des dommages irréparables aux relations pakistano-chinoises


Par Andrew Korybko – Le 18 septembre 2023

The Intercept a publié dimanche un article intitulé « U.S. Helped Pakistan Get IMF Bailout With Secret Arms Deal For Ukraine, Leaked Documents Reveal » (Les États-Unis ont aidé le Pakistan à obtenir un renflouement du FMI en échange d’un contrat d’armement secret avec l’Ukraine, révèlent des documents ayant fait l’objet d’une fuite). Il s’agit de la deuxième révélation accablante en deux mois, après avoir révélé en août que les États-Unis avaient effectivement encouragé l’éviction de l’ancien premier ministre au printemps 2022. Les dernières fuites affirment que le Pakistan a vendu des armes aux États-Unis pour les transférer à l’Ukraine depuis cet été et que les États-Unis ont fait pression sur le FMI pour qu’il renfloue le Pakistan cet été en guise de contrepartie.

La séquence des événements suggérée par les deux derniers rapports de The Intercept ajoute de la crédibilité aux affirmations constantes d’Imran Khan selon lesquelles il a été destitué par une combinaison d’ingérence américaine et de subterfuges internes en guise de punition pour sa position véritablement neutre à l’égard de la guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie en Ukraine. Une fois que son gouvernement multipolaire a été remplacé par des mandataires pro-américains, le Pakistan est instantanément revenu à son statut traditionnel de principal mandataire des États-Unis en Asie du Sud, à la suite de quoi il a conclu un accord pour armer Kiev.

Pendant tout ce temps, cependant, ses représentants ont nié avec véhémence les rapports des médias indiens concernant ses transferts indirects d’armes à ce pays. Le Pakistan s’est également abstenu de voter les résolutions anti-russes de l’Assemblée générale des Nations unies et a continué à essayer de négocier un accord dans le domaine de l’énergie avec Moscou, qui n’a finalement pas abouti. Rétrospectivement, ces trois initiatives n’étaient rien d’autre qu’une ruse pour tromper la Russie et « sauver la face » devant ses soi-disant « indéfectibles frères » en Chine, dans l’espoir qu’ils ne pensent pas que le Pakistan de l’après-coup d’État a « fait défection » au profit des États-Unis.

Il s’avère que le Pakistan vendait secrètement des armes au rival systémique de la Chine depuis plus d’un an déjà, dans l’intention de perpétuer la même guerre par procuration que Pékin tente de geler depuis février, ce qui représente une trahison flagrante de son partenaire stratégique de longue date. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le Pakistan aurait fait passer le dernier accord cet été en échange de la pression exercée par les États-Unis sur le FMI pour qu’il le renfloue, ce qui montre que le Pakistan a déjà opté pour des sources d’aide occidentales au lieu d’envisager une aide de la Chine.

Cela prouve que le Pakistan a servi de « cheval de Troie » aux États-Unis pour duper l’Entente sino-russe depuis la destitution scandaleuse d’Imran Khan il y a près d’un an et demi. Alors que ses représentants négociaient avec la Russie pour importer du pétrole et s’abstenaient de voter les résolutions anti-russes de l’Assemblée générale des Nations unies aux côtés de la Chine, les armes de leur pays étaient utilisées par l’Ukraine pour tuer des Russes et ainsi saper les efforts diplomatiques de la Chine pour geler le conflit le plus dangereux depuis la Seconde Guerre mondiale.

Pour ces raisons, ni la Chine ni la Russie n’ont de raison de faire confiance au Pakistan après les dernières fuites de The Intercept, mais leurs représentants pourraient encore se montrer cordiaux à son égard en public pour des raisons diplomatiques. La Russie peut facilement se désengager du Pakistan puisque ces deux pays n’ont pas réussi à conclure de grands accords d’investissement lors de leur précédent rapprochement, mais la Chine se trouve dans une position beaucoup plus difficile du fait que le Pakistan accueille le corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), qui est le projet phare de l’initiative des Nouvelles routes de la soie.

Bien que l’ancien ministre des Affaires étrangères, Bilawal Bhutto Zardari, ait déclaré à son homologue chinois Wang Yi en mai 2022 que le Pakistan restait engagé dans le CPEC, ce que l’ancien Premier ministre Shehbaz Sharif a réaffirmé lors de ses entretiens avec le président chinois Xi Jinping en novembre de la même année, on sait désormais qu’ils mentaient. Le premier était en train de conclure le premier contrat d’armement pour l’Ukraine avec les États-Unis pour faciliter son renflouement par le FMI, tandis que le second poursuivait ces ventes lors de leurs voyages respectifs en Chine.

S’ils considéraient vraiment que le CPEC était crucial pour le développement de leur pays au XXIe siècle, ils n’auraient jamais vendu d’armes au rival systémique de la Chine en échange d’une aide financière, mais se seraient plutôt attachés à faire tout ce qui était nécessaire pour obtenir une telle aide de Pékin. Cette observation prouve que le Pakistan s’est secrètement tourné vers les États-Unis juste après l’éviction d’Imran Khan, ce qui signifie que ses responsables mentaient au ministre des affaires étrangères Wang et au président Xi au sujet de leur engagement envers le CPEC.

Leur mission était de tromper la Chine en lui faisant croire que la destitution de l’ancien premier ministre était une affaire purement intérieure, afin qu’elle ne se rende pas compte que les États-Unis prenaient clandestinement le contrôle du projet phare du Pakistan. Grâce à ces opérations de tromperie, l’administration Biden a réussi un coup de force sans précédent contre la Chine, qui a permis aux États-Unis d’exercer indirectement une influence sur le CPEC et de prendre ainsi en otage des dizaines de milliards de dollars d’investissements chinois.

La République populaire est donc confrontée à un dilemme : se désengager du Pakistan ou au moins ralentir le rythme de ses investissements dans ce pays pour se prémunir contre ce nouveau risque stratégique pourrait susciter des spéculations sur l’avenir de la Route de la soie, tandis que ne rien faire rendrait la Chine vulnérable au chantage des États-Unis. Néanmoins, le rétablissement du statut traditionnel du Pakistan en tant que principal mandataire des États-Unis en Asie du Sud après l’éviction d’Imran Khan et la rechute du pays dans la dépendance au FMI signifient que les investissements du CPEC ne sont pas à l’abri.

En conséquence, la Chine pourrait bientôt être contrainte de réduire ses pertes de manière informelle, car il serait hautement irresponsable de continuer à développer un corridor de connectivité qui est désormais sous le contrôle de facto de son rival systémique. Elle pourrait également remettre en question la sagesse de continuer à armer le Pakistan contre l’Inde après que la dernière fuite de The Intercept a montré qu’Islamabad a exploité ce soutien militaire pour vendre des armes produites localement à l’Ukraine via les États-Unis, ce qui prolonge la même guerre par procuration que Pékin s’efforce de geler.

La clique de l’après-coup d’État se sentait tellement à l’aise avec le déluge d’armes que son pays recevait de la Chine pour une utilisation potentielle contre l’Inde qu’elle ne pensait pas que la sécurité pakistanaise souffrirait de l’exportation de ce qu’elle produit chez elle vers l’Ukraine pour tuer les partenaires stratégiques russes de la Chine sur l’ordre des États-Unis. Plus on s’attarde sur leurs calculs stratégiques, plus leur trahison de la Chine devient profonde, ce qui renforce l’affirmation selon laquelle le Pakistan est le « cheval de Troie » des États-Unis dans la nouvelle guerre froide.

Malgré tout, la Chine pourrait maintenir le cap dans ses relations avec le Pakistan, peut-être par crainte qu’un « découplage » progressif n’amène Islamabad à conclure qu’il n’a rien à perdre en se pliant aux exigences de Washington visant à déstabiliser le Xinjiang. Quelle que soit la décision de la Chine, les révélations accablantes de The Intercept prouvent que le Pakistan est une fois de plus aux ordres des États-Unis sur le plan géopolitique, ce qui détruit la bonne volonté et la confiance qu’Imran Khan avait cultivées pour son pays dans l’ensemble des pays du Sud.

Andrew Korybko

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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