La Baoshang Bank est-elle la Lehman Brothers chinoise ?


Par F. William Engdahl – Le 7 juillet 2019 – Source Williamengdahl.com

En fin de compte, le système de banque à réserve fractionnaire moderne est un jeu basé sur la confiance. Tant que les prêteurs ou les déposants sont convaincus que leur banque est solvable, ça tient. Si la confiance est brisée, cela conduit historiquement à des paniques bancaires, des retraits massifs et précipités ainsi que la faillite en chaîne d’un système financier, voire pire. La faillite inattendue, fin mai, d’une petite banque sino-mongole, la Baoshang, a soudainement attiré l’attention sur la fragilité du système bancaire le plus vaste et le plus opaque du monde, celui de la République Populaire de Chine. Le moment est très mal choisi, car la Chine est aux prises avec un net ralentissement économique interne, une hausse de l’inflation des prix alimentaires et les incertitudes liées à la guerre commerciale des États-Unis.

Fin mai, pour la première fois depuis trois décennies, la Banque populaire chinoise de Chine (PBOC) et les organismes de régulation des banques d’État ont pris le contrôle d’une banque insolvable. Ils l’ont fait publiquement et dans le but apparent d’envoyer un message aux autres banques de manière à ce qu’elles contrôlent les risques liés aux prêts. Ce faisant, ils ont peut-être déclenché la faillite en chaîne de l’un des systèmes bancaires les plus vastes, les plus opaques et les moins réglementés au monde : les banques régionales et locales de Chine, peu réglementées, parfois appelées banques parallèles. Les actifs totaux des petites et moyennes banques chinoises sont estimés à peu près égaux à ceux des quatre banques d’État géantes, quant à elles réglementées, de sorte qu’une crise qui se propage à partir de là pourrait avoir de sales conséquences. C’est la raison évidente pour laquelle Pékin est intervenu si rapidement pour circonscrire la faillite de la Baoshang.

La Baoshang Bank avait toutes les apparences de la bonne santé. Son dernier rapport financier publié en 2017 indiquait un bénéfice de 600 millions de dollars pour 2016, des actifs de près de 90 milliards de dollars et moins de 2 % de prêts irrécouvrables. Le choc d’insolvabilité a créé une crise du risque croissante sur les marchés de prêts interbancaires de la Chine, un peu comme aux premiers stades de la crise interbancaire des prêts hypothécaires sub-primes aux États-Unis en 2007. Cela a forcé la PBOC à injecter des milliards de yuans, jusqu’à présent l’équivalent de 125 milliards de dollars, et à émettre une garantie de tous les dépôts bancaires pour circonscrire les prémisses d’une crise systémique plus étendue. Mais il y a des indices que la crise est loin d’être terminée.

Le problème, c’est que la Chine a lancé l’un des efforts de construction et de modernisation les plus impressionnants de l’histoire de l’humanité en une trentaine d’années et quelques : des villes entières, des dizaines de milliers de kilomètres de rail pour les trains à grande vitesse, les ports à conteneurs automatisés, comme aucun autre pays ne l’a fait dans l’histoire – et tout ça sur de la dette. Le service de cette dette dépend donc d’une économie dont les profits ne cesseraient de croître. Mais si une seule contraction commence, les conséquences sont incalculables.

Maintenant que l’économie ralentit (et certains parlent même d’une période de récession), les investissements risqués, partout dans le pays, font soudainement face à l’insolvabilité. Les prêteurs de toutes sortes réévaluent les risques des nouveaux prêts. Le secteur de l’automobile est fortement en baisse depuis ces derniers mois, et d’autres industries aussi. Pire encore, une grave épidémie de peste africaine décime l’énorme population porcine de la Chine, ce qui entraîne une inflation alimentaire de près de 8 %. Dans ce contexte, la PBOC, vaillamment, fait tout pour éviter de démarrer la presse à billets, ce qui créerait plus d’inflation et affaiblirait le Renminbi, par peur d’enflammer une nouvelle bulle financière.

Un autre talon d’Achille est la dépendance de la Chine aux marchés financiers mondiaux en raison d’une dette qui se chiffre en milliers de milliards de dollars, à un moment où les recettes d’exportation en dollars baissent, et cela avant même la mise en œuvre des agressifs droits de douanes commerciaux américains. Si la Chine était isolée de l’économie mondiale comme dans les années 1970, l’État pourrait simplement régler les problèmes en interne, effacer les prêts insolvables et réorganiser les banques.

Le modèle chinois de dette

Fondamentalement, le modèle de crédit chinois est différent de celui de l’Occident. La monnaie, le Renminbi, n’est pas encore librement convertible. Le contrôle de la monnaie n’est pas entre les mains de Banques centrales indépendantes privées comme la Fed aux États-Unis ou la BCE dans l’UE. Elle est plutôt entre les mains de la Banque populaire de Chine, qui appartient entièrement à l’État et qui rend elle-même des comptes au Politburo du Parti communiste. Ses plus grands conglomérats industriels ne sont pas des entreprises privées, mais des entreprises d’État, y compris les quatre plus grandes banques mondiales, la plus grande entreprise de construction ferroviaire du monde et des sociétés pétrolières géantes. Frontalement, cela donne un immense avantage à la Chine : quand l’État ordonne, les réalisations suivent. Les voies ferrées et les autoroutes sont construites sans obstacle. À l’inverse, dans un modèle de planification ou de commande centralisé, lorsque l’ordre est défectueux,  les erreurs peuvent être amplifiées.

Actuellement, et depuis deux ans, Pékin s’inquiète clairement de la façon dont elle peut corriger l’explosion incontrôlée des « prêts hors bilan » ou des prêts des banques parallèles dans l’ensemble de l’économie. Depuis la crise de Lehman Brothers en 2008, la Chine a financé un nombre effarant de projets de construction pour moderniser ce qui était l’un des pays les plus pauvres au monde il y a à peine quarante ans, empêcher la contraction économique ainsi que l’explosion du chômage et des troubles sociaux. Depuis 2013, elle a ajouté l’ambitieuse initiative La Ceinture et La Route à sa liste de dépenses, en partie pour soutenir le rythme de la croissance industrielle de l’acier et des infrastructures de la Chine, à mesure que l’économie intérieure approchait de la saturation.

Avec la crise mondiale de Lehman en 2008, Pékin a gonflé cette dette comme aucun autre pays dans l’histoire. Depuis 2009, la masse monétaire de la Chine a augmenté de près de 400 %, soit de 20 000 milliards de dollars (133 000 milliards de yuans), tandis que le PIB annuel de la Chine n’a augmenté que de 8 400 milliards de dollars. Fondamentalement, ce n’est pas viable à terme. On peut donc soupçonner qu’aujourd’hui, au sein de cette expansion monétaire énorme, se trouvent plus d’une Baoshang Bank insolvable. A ce stade, cependant, comme la régulation financière en est encore à ses balbutiements, personne, pas même Pékin, ne connaît les risques réels de contagion de l’insolvabilité.

Des risques interbancaires non évalués

Le problème avec les prêts qui est sous-entendu dans ces chiffres, c’est que les crédits émis par ce qu’on appelle les banques parallèles (ces banques de petite et moyenne taille peu réglementées et n’appartenant pas au gigantesque système bancaire étatique) sont mal contrôlées et font maintenant face à des défauts de paiement et à des faillites en raison de leurs prêts à haut risque. La faillite de la Baoshang Bank a soudainement attiré tous les regards vers ces risques.

Les grandes banques hésitent à poursuivre leurs prêts aux petites banques par l’intermédiaire du marché interbancaire, ce qui fait grimper les taux d’emprunt. Il est peu probable que les garanties données par la PBOC selon lesquelles le cas de la Baoshang est « isolé » rassurent les prêteurs. Bloomberg estime que, pour les quatre premiers mois de 2019, les entreprises chinoises ont fait défaut à hauteur de 5,8 milliards de dollars en obligations nationales, soit plus de trois fois le taux d’il y a un an. Les autorités de Pékin, dont la PBOC, font clairement savoir depuis des mois qu’elles veulent réduire les prêts à risques consentis par les banques parallèles locales et d’autres institutions pour s’assurer de la situation.

A la suite de la faillite inattendue de la Baoshang, le marché des prêts interbancaires chinois est soudainement en crise. On ne sait pas encore si les autorités de Pékin prendront les mesures suffisantes pour calmer la crise ou si un assèchement discret des prêts des grandes banques aux petites banques régionales par le biais de prêts interbancaires est en cours. Dans ce cas il causera malheur, faillites et chômage. Un signe que tout ne va pas bien, c’est que selon les actualités financières de Caixin, le 24 juin, la PBOC a annoncé qu’elle permettrait à des maisons de courtage sélectionnées d’emprunter jusqu’à trois fois plus d’effets de commerce à court terme de 90 jours afin de maintenir les liquidités qui circulent alors qu’elles tentent de régler le problème. Il s’agit clairement d’une manœuvre pour gagner du temps.

Un autre signe que Pékin est inquiet, c’est que début juin, les autorités ont donné le feu vert aux municipalités pour augmenter encore leurs emprunts déjà énormes à destination des infrastructures. Les représentants des administrations locales seront autorisés à utiliser les produits de la vente d’obligations comme capitaux propres dans les nouveaux projets d’infrastructure qui incluent encore plus de chemins de fer et d’autoroutes et viennent s’ajouter à la montagne de dettes.

Le ministre chinois des Finances, Liu Kun, vient de publier un rapport sur la situation budgétaire régionale, locale et nationale sur la période de janvier à mai. Les chiffres ne sont pas encourageants pour la politique de contrôle de l’inflation et des bulles d’actifs par Pékin. Il souligne que l’ensemble des recettes du gouvernement n’ont augmenté que de 3,8 % sur l’année. Les recettes fiscales n’ont augmenté que de 2,2% en raison d’une importante réduction d’impôts. Parallèlement, les dépenses publiques ont augmenté de 12,5% par année. En réponse, Liu Kun a annoncé que le gouvernement exigerait une austérité de « plus de 10 % » pour réduire l’écart.

La Chine est gouvernée par des gens très intelligents et travailleurs. Là n’est pas la question. Cependant, remettre le génie de l’argent facile dans sa bouteille sans mésaventures majeures nécessitera une habileté extraordinaire et un peu de chance.

Au début de 2019, la dette extérieure de la Chine s’élevait officiellement à un peu moins de 2 000 milliards de dollars, dont les deux tiers de cette dette sont à court terme. Mais officieusement, les rapports indiquent que les grandes entreprises publiques ont contracté beaucoup plus que cela en emprunts étrangers à faible taux d’intérêt libellés en dollars et euros. Personne ne sait combien exactement.

Cette situation constitue une occasion pour Pékin de montrer que ses crises bancaires comme Baoshang sont sous contrôle ferme, et que les Chinois sont rigoureux sur l’ouverture de leurs marchés financiers aux entreprises étrangères dans le cadre de sa mondialisation. La Chine a besoin de la coopération des banques occidentales pour maintenir l’économie à son niveau impressionnant.

Jusqu’à présent, la Chine était apparemment la grande gagnante du modèle de mondialisation de l’après-1990. La façon dont Pékin gère ses problèmes bancaires au cours des prochains mois déterminera si ses performances incroyables se poursuivront. Le défi est donc réel.

F. William Engdahl est consultant et conférencier en risques stratégiques, diplômé en politique de l’Université de Princeton et auteur de best-sellers sur le pétrole et la géopolitique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

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