Le nouveau retard pour le retour de 737 MAX de Boeing ne sera pas le dernier


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 15 juillet 2019

Les retombées de l’échec sans précédent des 737 MAX de Boeing ne cessent de croître. Le retour des avions dans le ciel devra être retardé encore et encore.

Le Wall Street Journal écrit ici et  qu’il est peu probable que le MAX soit de retour dans les airs d’ici la fin de l’année :

Selon un nombre croissant de responsables du gouvernement et de l'industrie, la réparation du logiciel de contrôle de vol du Boeing 737 MAX et la finalisation des autres étapes nécessaires pour commencer à transporter des passagers vont probablement durer jusqu'en 2020, alors même que la compagnie s'efforce de remettre son avion en service cette année.

Cela confirme nos précédents rapports qui montraient que plusieurs des problèmes signalés par les régulateurs nécessiteraient des corrections importantes.

Les problèmes que le Wall Street Journal évoque sont exactement ceux que nous avons soulignés :

En mars, alors que Boeing devait présenter une proposition attendue depuis longtemps dans le but de relancer le processus, de nouvelles questions se posaient au sujet des systèmes logiciels connexes et des listes de vérification des situations d'urgence, nécessitant des semaines supplémentaire d'intenses évaluations.
Les sujets abordés portaient sur la question de savoir si un pilote ordinaire avait la force physique nécessaire pour manipuler un volant de contrôle de l’assiette de vol en cas d'extrême urgence.

À la fin du mois de juin, Boeing et la FAA ont révélé un autre problème de contrôle de vol sur le MAX, impliquant la défaillance d'un microprocesseur, empêchant les pilotes d'essais de contrecarrer un éventuel raté du MCAS aussi vite que nécessaire.

Moon of Alabama avait précédemment expliqué le problème du volant du compensation d’assiette et souligné que cela affectait également le 737 NG plus ancien :

Mais les problèmes décrits ci-dessus concernent le 737 NG. Les 380 737 MAX existants sont actuellement bloqués au sol. Mais environ quelque 7.000 737 NG volent tous les jours. Le dossier indique qu'il s'agit d'un avion relativement sûr. Mais un emballement du stabilisateur est un dysfonctionnement électrique bien connu qui pourrait se produire par hasard sur l’un de ces vols.

Les changements du 737 Classic à la version 737 NG compliquent, voire empêchent les pilotes de se remettre d'une telle situation :

1 - Les volants de réglage manuels plus petits du 737 NG rendent plus difficile la remise en place du stabilisateur emballé en position normale.


2 - La plus grande surface de l'aileron stabilisateur rend plus difficile la lutte contre un emballement en utilisant le vérin de l'élévateur qui a été maintenu à la même force.

3 - Les pilotes du 737 NG n’apprennent plus la manœuvre des montagnes russes qui est désormais le seul moyen de se remettre d’un emballement sévère.
 
Les sessions sur simulateur démontrent (vidéo) qu’un incident de stabilisation incontrôlé sur un 737 NG ne peut plus être réglé par les procédures décrites dans les manuels actuels de Boeing.

C’est un pur hasard qu’aucun accident de la NG n’ait encore été causé par un incident de stabilisateur emballé. Il est assez étonnant que ces problèmes ne deviennent évidents que maintenant. Le 737 NG a été certifié par la FAA en 1997. Pourquoi la FAA se penche-t-elle seulement maintenant sur cette question ?

Le problème du volant de compensation d’assiette ne peut être résolu que par des modifications matérielles importantes.

Les microprocesseurs du Contrôleur de vol (FCC) peuvent apparemment être saturés, ne permettant plus au pilote d’exécuter certaines procédures d’urgence. Le Wall Street Journal (WSJ) dit que ce problème affecte également les anciens types de l’avion :

Comme le 737 MAX et sa version précédente, appelée 737 NG, partagent le même ordinateur de contrôle de vol, les correctifs liés au microprocesseur s’appliquent également aux modèles NG, dont des milliers d'exemplaires restent en service dans le monde entier. Boeing doit également convaincre la FAA qu’une solution logicielle, au lieu du remplacement physique du composant électronique suspect sur tous les avions MAX, suffira.

Je doute que le WSJ ait raison sur ce point. Le 737 MAX a besoin de plus de puissance de calcul que le 737 NG car il possède plusieurs fonctionnalités supplémentaires, non seulement le système d’augmentation des caractéristiques de manœuvre (MCAS), mais aussi un nouveau système de commande électronique contrôlant les ailerons qui peuvent être utilisés comme freins.

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Aileron / freins de vitesse déployés – Agrandir

Plusieurs nouveaux automatismes sont impliqués dans la nouvelle commande d’aileron et ils causeront très probablement une charge supplémentaire sur le contrôleur de vol. Bien que le problème du volant de compensation d’assiette affecte également le NG, le problème de la charge de l’ordinateur n’est probablement qu’un problème du MAX. C’est toujours un problème sérieux car cela peut signifier que le MAX a besoin de nouveaux ordinateurs de vol. Comme nous l’avons écrit :

Les logiciels écrits à des fins de contrôle de vol sont déjà hautement optimisés. Les optimiser davantage par un bricolage «à la main» romprait le processus réglementé requis pour la production de tels logiciels.
 
Boeing dit qu'il peut à nouveau réparer le logiciel pour éviter le problème que la FAA vient de détecter. Il est peu probable que cela soit possible. La charge logicielle se trouve déjà à la limite, voire au-dessus des capacités physiques des ordinateurs de contrôle de vol actuels. Le potentiel d'optimisation du logiciel est probablement minime.

Il n’est donc pas étonnant que le directeur du programme 737 MAX de Boeing, âgé de 57 ans, quitte la société après seulement un an à son poste. Alors que Boeing prétend que la raison en est une retraite normale, on peut se demander si c’est vraiment le cas. Le nouveau responsable de programme MAX a précédemment dirigé le groupe qui développe le nouvel avion intermédiaire (NMA) de Boeing. L’annonce officielle de cet avion est déjà retardée. Les problèmes du MAX, et les coûts très élevés qu’ils entraînent pourraient, en faire une victime.

La mise au sol du MAX affecte toutes les compagnies aériennes. Delta Airline, qui utilise des Airbus A320 comme avions à un seul couloir, a enregistré un trimestre record, tandis que les clients de Boeing comme Iceland Air ont de graves problèmes.

American Airlines et United Airlines viennent de prolonger leur suspension du MAX jusqu’en novembre. Ce n’est probablement pas suffisant.

Il se peut que le MAX soit de retour dans les airs en janvier ; il peut être retardé jusqu’en mars ou même en mai. Mais nous ne savons toujours pas de quelle année.

La compagnie low-cost saoudienne Flyadeal a annulé sa commande de cinquante 737 MAX et achète maintenant des Airbus A320. D’autres vont suivre ce mouvement.

Pour garder leur flottes occupées, les compagnies aériennes emploient généralement entre 12 et 18 pilotes par avion. Avec des dizaines d’avions immobilisés au sol, ces compagnies aériennes sont désormais sur-employées et réalisent des revenus inférieurs aux prévisions :

Maintenant, les transporteurs surveillent nerveusement la saison des vacances, quand ils feront face à une foule de voyageurs, dont les projets de voyage de Thanksgiving et de Noël laissent peu de marge de manœuvre. United était censé avoir 30 MAX dans les mois à venir, contre 14 aujourd'hui. En conséquence, la compagnie supprime 2 900 vols en octobre, soit plus du double du nombre qu’elle a dû supprimer en juillet. American Airlines avait 24 MAX dans sa flotte au moment du clouage au sol, soit moins de 3% de son total. Mais elle devait en avoir 40 d’ici la fin de l’année.
 
Alan Kasher, vice-président des opérations aériennes de Southwest Airlines Co., a déclaré dans un message adressé vendredi à ses employés que la compagnie aérienne était "surpeuplée", avec plus de pilotes que nécessaire pour opérer selon un horaire réduit du fait du blocage de ses 34 MAX. Certains pilotes de l'entreprise se sont plaints de pertes de revenus dues à moins d'opportunités de vol.

C’est une des raisons pour lesquelles 400 pilotes poursuivent Boeing en justice. Cela vient s’ajouter à des douzaines d’autres poursuites que la société doit affronter.

Boeing produit toujours 42 MAX par mois. Il faudra probablement réduire ce taux. Même si l’avion est autorisé à retourner dans les airs, il faudra peut-être attendre jusqu’à un an avant que tous les nouveaux avions construits ne volent. Les compagnies d’aviation clientes  auront des difficultés à absorber les nouveaux avions :

Le plus gros transporteur low-cost d'Europe a besoin de huit mois pour réceptionner la cinquantaine d'avions nouvellement construits à la suite de la crise, ce qui le contraindra peut-être à réduire ses plans de croissance en capacité pour l'été 2020 si les vols du 737 MAX ne reprennent pas d'ici novembre, a déclaré à Reuters le PDG, Michael O'Leary, ...
 
Ryanair peut prendre livraison de six à huit avions au maximum par mois en raison de la complexité du processus de livraison et de la disponibilité de pilotes MAX formés.

Ryanair craint également que ses clients ne veuillent pas voler avec le MAX. Il a changé la désignation visible de ses nouveaux avions de son nom commercial « 737 MAX » en son surnom technique « 737-8200 ».

Les retards du 737 MAX mettent Boeing sous une pression extrême. Cela se voit dans le ton alarmant avec lequel sa principale lobbyiste, Loren Thompson, plaide pour la société :

Le 737 MAX n’est pas seulement l’un des avions de ligne figurant dans la gamme de produits commerciaux de Boeing, c’est l’offre pivot de toute l’entreprise. Plus de 80% du carnet de commandes de la société est composé d'avions commerciaux, et quatre appareils sur cinq sont des 737. Selon les dernières prévisions de la société concernant les avions de ligne, la demande sera, sur les 44 000 avions commerciaux commandés dans le monde au cours des 20 prochaines années, à 74% pour des avions à couloir unique, et que le 737 est le seul biréacteur à un couloir fabriqué par Boeing. ...
 
Cependant, ce qui manque en grande partie à la couverture de la crise MAX, c'est d'expliquer à quel point la seule offre à un seul couloir de Boeing est importante pour la fortune de l'entreprise, pour la balance commerciale du pays et pour le destin des économies locales des usines de Boeing aux États-Unis. Si elle devait faiblir, les retombées économiques seraient considérables.

Thompson appelle les « législateurs » à « mettre l’accent sur des solutions constructives » pour la situation de Boeing.

Une solution constructive consisterait à réparer l’avion actuel mais aussi à en créer un nouveau. Mais ce n’est probablement pas ce que Thompson a à l’esprit. La pression du Congrès sur la FAA et les importantes subventions accordées à Boeing est ce qu’elle vise vraiment. Le Congrès devrait s’abstenir de l’une et des autres.

Le fait que les actionnaires de Boeing aient réclamé des bénéfices plus importants est l’une des principales raisons pour lesquelles la société a créé le 737 MAX en bricolant à partir de l’ancien 737 NG. Sinon elle aurait construit un avion à partir d’une feuille blanche comme prévu à l’origine. Les actionnaires ont gagné beaucoup d’argent lorsque Boeing a dépensé quelque 48 milliards de dollars en rachats d’actions. Ce n’est que justice qu’ils soient saignés maintenant pour résoudre les problèmes que leur cupidité a causés à l’origine.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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