Kiev commence à être frustré par l’Europe et vice-versa


Par Dmitry Minin – Le 30 avril 2015 – Source strategic-culture

Le 27 avril, le sommet UE-Ukraine à Kiev a frustré les hôtes. La déclaration commune était assez ampoulée, louant les plans audacieux de réformes et condamnant les actions agressives de la Russie sur le sol ukrainien. Il est clair que Bruxelles n’a pas vraiment l’intention d’assumer toute responsabilité sérieuse. Donc, l’Ukraine n’a obtenu que des promesses, peu importe que toute la philosophie et la stratégie du régime de Kiev soient centrées sur les perspectives politiques européennes.

Les dirigeants européens ont tenté de faire baisser les attentes de Kiev avant même le début de la réunion. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et Federica Mogherini, Haut-Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, avaient annulé des visites à l’Ukraine en promettant, à la place, de prendre part au sommet UE-Ukraine. On a appris, avant la réunion, que Mogherini ne viendrait pas. Cela annonçait  le fait que l’Union européenne n’avait rien à offrir et que l’événement n’aurait pas de résultats concrets. Donald Tusk, Président du Conseil européen, qui se positionne normalement comme l’allié principal de l’Ukraine, avait jeté un froid sur ses amis, disant qu’il n’y avait pas de grandes attentes liées au sommet, et qu’il s’agissait surtout de parler de décisions concrètes – des choses comme l’exemption de visa pour les voyageurs ou une mission de maintien de la paix spéciale. L’analyste politique de l’Institut de coopération euro-atlantique Vladimir Gorbach a déclaré que l’Ukraine attendait plus que ce que l’Union européenne était même prête à considérer.

En gardant l’opinion publique à l’esprit, le président Porochenko a fortement insisté pour faire prendre par les Européens des mesures visant à rapprocher l’Ukraine de l’Europe, des mesures qui avaient été promises depuis longtemps. Il voulait que l’Europe dise ouvertement que l’Ukraine avait vocation à rejoindre l’Union européenne. Il voulait aussi entendre dire qu’elle était prête à introduire un régime sans visa et à prendre une décision sur l’envoi d’une mission de maintien de la paix dans le Donbass. Pour impressionner les invités, il a dit dans son allocution de bienvenue que l’anglais sonnait plus souvent que le russe lors des sessions du conseil des ministres de l’Ukraine. Rien à faire. Jean Claude Juncker a déclaré que l’adhésion à l’UE ne figurait pas à l’ordre du jour. Johannes Khan, le Commissaire européen aux affaires de voisinage, a déclaré le 22 avril qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’UE avant dix ans. Cela signifie que l’adhésion de l’Ukraine est hors de question. Selon lui, aucun membre de l’UE ne soutient l’idée de l’expansion.

Lors d’une conférence de presse sur les résultats du sommet UE-Ukraine à Kiev, Tusk a déclaré que la seule option à l’ordre du jour jusqu’à présent était l’envoi d’une mission civile dans les parties de l’Ukraine touchées par la crise. Les tentatives de Porochenko pour peindre l’Ukraine comme un pays qui fait tout son possible pour atteindre l’objectif de l’intégration européenne semblaient peu convaincantes. Il a expliqué que les réformes ont été bloquées à cause des élections anticipées qui ont eu lieu en octobre de l’année dernière. «Peu de temps a passé depuis et nous avons pris les premières mesures dans la bonne direction», a déclaré Porochenko. Le président ne pouvait cacher son exaspération quand un journaliste américain a mentionné la lenteur des réformes économiques et constitutionnelles dans le pays. Les dirigeants ukrainiens ont leur propre façon de traiter les journalistes. Porochenko lui a demandé d’éviter les affirmations quand il pose des questions.

La déclaration conjointe contenait une critique de la Russie, mais était loin de ce que Kiev attendait. Les dirigeants de l’UE ont dit en termes clairs qu’ils attendaient que les accords de Minsk soient respectés. Un jour avant le sommet, le journal britannique Financial Times a rapporté que Berlin, Paris et Londres avaient augmenté la pression sur l’Ukraine pour faire observer l’accord. Selon le journal, les diplomates allemands voulaient que l’Ukraine soit plus souple. Stefan Meister, chef du programme pour l’Europe de l’Est, la Russie et l’Asie centrale au Centre Robert Bosch pour l’Europe centrale et orientale, la Russie et l’Asie centrale du Conseil allemand des relations étrangères, a dit que si l’Ukraine ne se conforme pas à ses obligations, la Russie aura toujours une raison de relancer le conflit.

Tusk a déclaré lors du sommet que le respect des accords de Minsk est la meilleure façon d’aborder la situation. Jean-Claude Juncker a déclaré que les accords de Minsk devaient être respectés. L’analyse du contenu du document signé à Minsk est en contraste frappant avec les assurances des dirigeants ukrainiens qu’ils respectaient parfaitement les dispositions de l’accord. Les Européens ne sont pas trop insistants, mais les faits de non-conformité sont trop évidents pour être ignorés lors de la réunion avec les représentants de la Russie. La décision de l’UE d’accorder €1.8 Mds pour l’Ukraine a été présentée comme une réussite. Mais Kiev avait demandé €2.8 Mds, comme l’a dit Jean-Claude Juncker. L’année dernière, l’UE a accordé €2.15 Mds. La tendance est évidente; l’Union européenne ne veut pas que son aide financière finisse dans un trou noir.

Une autre percée lors de ce sommet est la décision de lancer une zone de libre-échange à compter du 1er janvier 2016. Iatseniouk s’est précipité pour dire que la décision était une réalisation du gouvernement qu’il dirige. En réalité, l’étape ne présage rien de bon pour l’Ukraine. Celle-ci a déjà obtenu les avantages de l’exemption unilatérale des droits de douane pour l’ensemble de l’année 2014. L’effondrement économique a empêché les gains tangibles. Les marchandises européennes de l’année prochaine pourront se déplacer librement. Cela pourrait être la fin pour ce qui reste de l’économie ukrainienne. L’UE ferme les yeux sur les violations liées aux exportations agricoles en provenance d’Ukraine. Ce ne sera plus le cas après que la zone de libre-échange sera introduite. L’Ukraine n’est pas prête à cela. Les Européens comprennent que, avec la fin des avantages, l’Ukraine va souffrir. Mais l’Europe a ses propres intérêts. Jean-Claude Juncker a dit l’importance de voir l’accord d’association mis en œuvre depuis le début de la nouvelle année. Il est impossible de retarder davantage.

La seule consolation pour l’Ukraine est l’intention déclarée de l’UE de maintenir les sanctions anti-russes en vigueur jusqu’à ce que les conditions de l’accord de Minsk soient remplies. Donald Tusk a dit que de nouvelles mesures restrictives n’ont pas été discutées.

La relation UE-Ukraine sera discutée lors du sommet de Riga  (21-22 mai) pour évaluer les progrès réalisés dans les relations entre l’UE et les partenaires de l’Est depuis le dernier sommet à Vilnius en 2013. Le régime d’exemption de visa et les perspectives européennes ne quitteront jamais l’ordre du jour. Peut-être les résultats de la réunion seront-ils des nèfles. Il faut essayer de se changer soi-même avant d’essayer de changer le monde.

Dmitry MININ

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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