Venezuela : Guaidó berné, la Maison-Blanche sur le sentier de la guerre


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 1er mai 2019

La tentative de coup d’État ratée d’hier au Venezuela a considérablement nui au statut international de l’administration Trump. Elle a délégitimé ses pions vénézuéliens Juan Guaidó et Leopoldo López. Après avoir reconnu que son plan original de changement de régime avait échoué – encore une fois – la Maison-Blanche a commencé à battre les tambours de la guerre.

Ce n’était pas le plan :

L’administration Trump, qui soutient M. Guaidó depuis sa première contestation de l’autorité de M. Maduro, il y a plus de trois mois, a clairement pensé que la journée se déroulerait différemment.

Il n’y a aucune déclaration officielle de l’administration Trump expliquant pourquoi la tentative de coup d’État comique de Juan Guaidó et de son maître Leopolo López aurait dû fonctionner.

Il y a cependant des signes que le gouvernement du président Nicolas Maduro a tendu un piège. Plusieurs personnes, au plus haut niveau du gouvernement vénézuélien, ont fait de fausses promesses de se joindre à la contestation menée par les États-Unis. Ils ont piégé Guaidó pour qu’il lance son coup et se plante.

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Juan Guaidó

Un résumé du Washington Post indique que tout le monde s’attendait à ce que des personnalités importantes changent de camp :

Le chaos à Caracas a montré que, même si un plan était en cours, il ne s'était peut-être pas déroulé comme prévu. ...
Les annonces des hauts responsables de Maduro selon lesquelles ils changeraient de camp ne se sont pas concrétisées et l'administration a semblé de plus en plus inquiète à mesure qu'elle débattait des prochaines étapes. ...
Plus tôt mardi, Bolton avait déclaré aux journalistes que Trump observait les événements politiques au Venezuela « minute par minute ». Bolton a également fait pression de manière inhabituelle sur des responsables du gouvernement vénézuélien pour qu'ils renoncent à Maduro et rejoignent l'opposition politique. ...
« C’est un moment très délicat », a déclaré Bolton. « Le président veut un transfert pacifique du pouvoir », a-t-il ajouté, qui serait possible si suffisamment de personnalités militaires et gouvernementales changeaient d'allégeance. ...

Dans une tentative apparente de diviser le gouvernement de Maduro, Bolton a déclaré que de hauts responsables, dont le ministre de la Défense, Vladimir Padrino López, avaient eu des entretiens secrets avec Guaidó, et il leur a demandé de « tenir leurs engagements » pour aider à évincer Maduro. ...
Bolton a interpellé nommément trois responsables au Venezuela - le ministre de la Défense, le président de la Cour suprême et le commandant de la garde présidentielle - afin d'aider Guaidó à prendre le pouvoir. ...
Un haut responsable latino-américain a déclaré que les discussions de l'opposition avec Padrino et les deux autres se poursuivaient depuis « plusieurs semaines » et que les trois dirigeants s'étaient vu promettre le maintien dans leurs fonctions actuelles s'ils se déclaraient publiquement en faveur de « l'ordre constitutionnel ». cela permettrait à Guaidó de prendre le pouvoir. L'officiel, qui a parlé sous le couvert de l'anonymat de la situation confuse en rapide évolution, a déclaré que les personnes impliquées dans les négociations n'avaient aucune explication pour ce qui n'avait pas fonctionné, ...

Elliott Abrams, envoyé spécial du gouvernement pour le Venezuela, a déclaré aux journalistes mardi que les États-Unis s'attendaient à ce que Padrino, ainsi que le chef de la Cour suprême nommée par Maduro et le chef de la garde nationale, déclarent leur soutien à la constitution vénézuélienne, si pas nécessairement à Guaidó lui-même. ...
Il a ajouté que des personnalités de l’opposition avaient eu des discussions avec les trois responsables influents du gouvernement de Maduro avant les manifestations prévues. ...
Carlos Vecchio, ambassadeur de Guaidó aux États-Unis, a également déclaré lundi que les dirigeants de l’opposition avaient eu « des conversations avec une partie du cercle restreint de Maduro » et qu'ils « savaient que Maduro n’allait nulle part. Maduro est du passé... C’est la raison pour laquelle ils souhaitent un avenir différent pour le Venezuela. »

Tout le monde à Washington pensait que des personnalités importantes du gouvernement vénézuélien changeraient de camp. Elles ne l’ont pas fait. Vladimir Padrino a rejeté le coup d’État moins d’une heure après que Guaidó l’ait annoncé. Il semblerait que le clan Guaidó ait été berné par le ministre de la défense vénézuélien et plusieurs autres responsables et officiers. Ils semblent avoir promis de soutenir Guaidó uniquement pour l’appâter et lui faire prendre des mesures qui lui porteraient tort.

Un article de McClatchy intitulé « Qu’est-ce qui n’a pas marché ? » semble confirmer cette interprétation :

Peu de temps après que Guaidó eut prononcé son discours, avant l'aube, à la base aérienne de Carlota à Caracas, des rumeurs se propagèrent selon lesquelles le chef d'état-major des forces armées, Jose Ornelias, et le puissant commandant Jesús Suárez Chourio seraient à l'origine du soulèvement militaire. Mais tout aussi rapidement, les deux hommes rejoignirent une liste croissante d'officiels jurant leur loyauté à Maduro. ...
Le fait que des responsables militaires qui doivent leur carrière et leurs moyens de subsistance à Maduro et au Parti socialiste unifié du Venezuela ne l’abandonnent pas, n’aurait pas dû être une surprise, a déclaré un ancien diplomate américain à Washington, qui ne voulait parler que de la toile de fond.

Il a dit qu’il était au courant des plans de Guaidó pour appeler à un soulèvement depuis au moins dix jours.

« Si je le savais, alors tout le monde le savait », a-t-il déclaré. « Le régime [Maduro] a vu venir et était préparé. Le régime savait même probablement que les gens du gouvernement parlaient avec l'opposition et  l'approuvait. »

L’échec total du coup d’État est évident lorsque l’on regarde ce qui est arrivé à Leopoldo López, le mentor de Juan Guaidó. Il était en résidence surveillée pour avoir dirigé les manifestations violentes et les émeutes meurtrières de 2014. Hier matin, les gardes l’ont laissé partir. Bien que les circonstances ne soient pas claires, le chef de la police responsable de la garde a été limogé. López a promis à ses partisans qu’il se rendrait au palais présidentiel de Miraflores. Mais il n’a même pas été capable de quitter l’est de Caracas. Hier soir, López, avec sa femme et sa fille, s’est réfugié dans l’ambassade du Chili. Ils semblent avoir détesté les conditions de logements. Deux heures plus tard, ils ont emménagé dans l’ambassade d’Espagne. Bien que la nourriture de l’ambassade soit bonne, la vie sera bien différente de celle de leur propre demeure confortable. Quelques-uns des soldats qui soutenaient Guaidó se sont réfugiés à l’ambassade du Brésil. Guaidó est toujours en liberté.

McClatchy a également examiné les conséquences du coup d’État manqué :

« Le geste de Guaidó est également un pari extrêmement précaire », a écrit Risa Grais-Targow une analyste du groupe Eurasia. « Si Maduro parvient à réprimer la rébellion, ce sera un signe fort qu'il jouit toujours d'un niveau élevé de soutien militaire, ce qui à son tour dégonflera probablement l’opposition ». ...
Guaidó a pris le risque d'annoncer le soutien des militaires, a déclaré l'expert en sécurité du Venezuela, Brian Fonseca, ancien analyste du renseignement de la Marine et du US Southern Command, actuellement directeur de l'Institut de politique publique Jack D. Gordon de la Florida International University et si l'armée ne le soutient pas, cela pourrait être paralysant. « Si le mouvement d’aujourd’hui tombe à plat - qu'est-ce que cela signifie pour la crédibilité du mouvement Guaidó ? »

On a laissé croire à Guaidó et à ses partisans de l’administration Trump que des éléments importants du gouvernement et de l’armée allaient s’en prendre à Maduro. Ils ont lancé une tentative de coup d’État qui s’est effondrée en quelques heures, personne n’ayant changé de camp. Toute leur fanfaronnade est maintenant dégonflée. Guaidó a perdu sa crédibilité. Washington peut toujours le soutenir, mais à Caracas, il ne reste probablement plus personne qui croit en lui.

Bolton, Pompeo, Abrams et bien sûr Donald Trump se sont exposés comme des bouffons qui, malgré leurs positions puissantes, ne peuvent même pas organiser un simple coup d’État. Ils ont publiquement soutenu, par des dizaines de tweets et d’interviews, ce qui s’est avéré être une mauvaise pièce de théâtre amateur. Le corps diplomatique va se gausser de cet épisode pour la prochaine décennie.

Comme le remarque le Saker :

L'Empire semble seulement être fort. En réalité, il est faible, confus, sans intelligence et, plus important encore, dirigé par une triste bande de voyous incompétents qui pensent pouvoir effrayer tout le monde, même s'ils n'ont gagné aucune guerre importante depuis 1945 [merci Staline,et ses 30 millions de morts,NdT]. L'impossibilité de briser la volonté de la population du Venezuela est seulement le dernier symptôme de cette faiblesse ahurissante.

Lorsqu’il est devenu évident que la tentative de coup d’État avait échoué, la Maison-Blanche a commencé à blâmer les autres. Elle a affirmé que la Russie avait dissuadé Maduro de fuir le pays. Elle a dit que Cuba, qui compte 20 000 médecins mais pas de soldats au Venezuela, contrôle l’armée vénézuélienne et empêche son soulèvement. Elle commence maintenant à battre les tambours de guerre.

Ayant perdu la face, l’administration Trump a renforcé sa rhétorique :

Washington est disposé à une « action militaire » face à la crise vénézuélienne, a annoncé le secrétaire d'État Mike Pompeo. Adoucissant sa rhétorique belliciste, il a déclaré qu’une option pacifique était encore préférable.

« Si la question est de savoir si les États-Unis sont prêts à envisager une action militaire, si c'est ce qu'il faut pour restaurer la démocratie au Venezuela, le président [américain] a toujours été cohérent et sans ambiguïté sur le fait que l'option d'utiliser la force militaire est disponible si c'est ce qui est finalement exigé », a déclaré Pompeo dans une interview accordée à Fox News.

L’administration Trump a également lancé ce qui peut être considéré comme une guerre psychologique :

La Federal Aviation Administration (FAA) américaine a rendu mardi soir une ordonnance interdisant aux opérateurs aériens américains de voler sous 26 000 pieds (8 000 mètres) dans l’espace aérien du Venezuela jusqu’à nouvel ordre, invoquant « une instabilité et des tensions politiques croissantes ».

L’avis de la FAA indiquait que tous les exploitants aériens présents au Venezuela, y compris les jets privés, devraient partir dans les 48 heures. ...
En mars, American Airlines Group Inc avait annoncé la suspension indéfinie de ses vols à destination du Venezuela, le pays continuant de faire face à la tourmente et aux troubles politiques.

Plusieurs autres compagnies aériennes ont également annulé leurs vols :

La compagnie aérienne espagnole Air Europa a annoncé que les vols de mercredi à Caracas avaient été annulés. Les vols au cours des dix prochains jours pourraient également être affectés en raison des « derniers développements » au Venezuela.

Molina Viajes, une agence de voyages basée à Caracas, a annoncé la suspension de ses vols à destination de Miami mercredi.

La compagnie aérienne Estelar a annoncé que son vol mercredi entre Buenos Aires, en Argentine, et Caracas avait été annulé. Cependant, il indique que des vols à destination et en provenance du Pérou et du Chili fonctionnent.

Ces ordres de la FAA ne sont donnés que pour les pays où une guerre aérienne est en cours et où des armes de défense aérienne pourraient être utilisées. Pour l’instant, personne ne croit que les États-Unis lanceront des missiles de croisière ou effectueront des bombardements au Venezuela. Ce ne serait en aucun cas justifié.

Encore une fois – que pourrait-il faire si un « massacre » devait se produire au Venezuela. Si des centaines de partisans de Guaidó se font abattre par des mitrailleuses dans le cadre d’un coup monté, les États-Unis accuseraient sûrement le gouvernement de Maduro. Les médias américains et le Parti démocrate étant pleinement alignés sur la stratégie de changement de régime de la Maison-Blanche, il y aurait peu de résistance à l’usage de la force. Un attentat à la bombe « humanitaire » contre des cibles du gouvernement vénézuélien, principalement ses défenses anti-aériennes, pourrait alors être considéré comme la bonne réponse.

Voici un autre signe inquiétant que quelque chose se prépare :

Le secrétaire américain à la Défense par intérim, Patrick Shanahan, a annulé un voyage en Europe qui devait commencer ce mercredi 1er mai, afin de « se coordonner plus efficacement » avec d'autres branches du gouvernement, à la fois sur la situation au Venezuela et la Mission de l'armée à la frontière avec le Mexique.
 
« Le secrétaire Shanahan ne se rendra plus en Europe, car il a décidé que rester à Washington lui permettrait de se coordonner plus efficacement avec le Conseil de sécurité nationale (CNS) de la Maison-Blanche et le département d'État à la situation au Venezuela », a déclaré le Pentagone. dans un rapport. ...

Au cours de sa tournée en Europe, Shanahan avait prévu de se rendre en Allemagne, en Belgique et au Royaume-Uni.

Un autre signe indiquant que quelque chose se prépare est un appel téléphonique entre le ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergueï  Lavrov, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo :

Le 1er mai, à l'initiative des États-Unis, un entretien téléphonique a eu lieu entre le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Sergueï Lavrov, et le secrétaire d'État américain, M. Pompeo.
 
L'accent a été mis sur la situation au Venezuela où l'opposition, avec le soutien manifeste des États-Unis, a tenté de prendre le pouvoir. La Russie a souligné que l’ingérence de Washington dans les affaires intérieures d’un État souverain était considérée comme une violation flagrante du droit international. Il est indiqué que la poursuite des étapes agressives est lourde de conséquences. Seul le peuple vénézuélien a le droit de décider de son destin, ce pour quoi le dialogue de toutes les forces politiques du pays est exigé, ce que son gouvernement demande depuis longtemps. Une influence externe destructrice, en particulier une influence imposée par la force, n’a rien à voir avec un processus démocratique.

Les généraux du Pentagone n’aimeront pas du tout cette rhétorique. Ils regarderont leurs cartes et constateront que le Venezuela est deux fois plus grand que l’Irak et 30% plus grand que l’Afghanistan. Il y a des jungles, des montagnes et des repaires impénétrables dans lesquels même les troupes vénézuéliennes n’osent pas entrer. Il dispose d’une armée en état de fonctionnement et de défenses anti-aériennes presque décentes, récemment améliorées par des spécialistes russes.

Il est peu probable que Trump veuille lancer une guerre contre le Venezuela. Il sait probablement que ce ne serait pas de la tarte, et que cela représenterait un risque grave pour sa réélection. Mais qui sait ce que Bolton ou Pompeo pourraient lui dire de faire. Ils viennent d’être couillonnés par le gouvernement Maduro. Pourquoi ne couillonneraient-ils pas Trump ?

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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