Les US au Yemen : contrits, ou contraints à la paix ?


Yémen – Après la mort de 200 000 personnes, un gouvernement américain embarrassé appelle enfin à des négociations


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 31 octobre 2018

Isa Blumi écrit :

La guerre au Yémen aujourd’hui est un exemple brutal de la manière dont l’expansion des intérêts capitalistes mondiaux détruit les nations.
Il prend d’abord la forme du néolibéralisme – souvent qualifié innocemment de mondialisation – puis, au début de l’effondrement structurel inévitable du pays ciblé , avec son inévitable résistance populaire minant l’ordre politique, une forme de violence plus manifeste est introduite.

La guerre au Yémen a évolué vers la forme de guerre la plus violente. Le siège de tout un pays avec l’intention évidente de provoquer une famine génocidaire de la population résistante.

Les nations attaquantes, les États-Unis, l’Arabie saoudite, la Grande-Bretagne et les Émirats arabes unis, avaient l’intention de s’emparer des ressources du Yémen, mais leur guerre a échoué. Ils font maintenant les premiers pas pour mettre fin à la guerre. Ils ont finalement reconnu qu’ils étaient incapables de gagner tandis que les coûts en termes financiers et de réputation, dus à l’impasse, augmentaient régulièrement.

Ce n’est pas un hasard si cette décision intervient après le récent désastre de Khashoggi provoqué par le prince héritier Mohammad bin Salman. C’est ce meurtre qui a attiré l’attention sur son rôle de premier plan dans la guerre génocidaire contre le Yémen.

Un grand reportage récent du New York Times a attiré l’attention sur la famine provoquée par la guerre. Il publie des images obsédantes de petits enfants affamés. Par une nouvelle censure stupide, Facebook a supprimé les parties de l’article qui présentaient des images, car elles montraient des enfants agonisants, squelettiques et «nus». C’était peut-être un geste amical du propriétaire de Facebook, Mark Zuckerberg, envers son pote Mohammad bin Salman, mais cela n’a fait qu’élargir la diffusion du problème.

De nouveaux rapports sur le nombre de victimes réelles de la guerre au Yémen apparaissent. Il y a un an, Moon of Alabama avait critiqué les « 10 000 morts » souvent cités, que les médias continuent de répéter comme étant le décompte officiel du nombre de victimes de la guerre :

Jusqu’en juillet 2017, la coalition américano-saoudienne avait effectué plus de 90 000 sorties aériennes sur le Yémen. La plupart d’entre elles auront impliqué des bombardements. Faut-il croire que seulement 10 000 civils ont été tués par toutes ces bombes en plus des tirs d’artillerie, des tireurs d’élite et des attentats-suicides ? Cela serait même incompatible avec les rapports occidentaux faisant état d’incidents de masse reconnus pendant la guerre. 100 000 civils morts à cause de la guerre jusqu’à présent sont un nombre plus probable que les immuables 10 000.

Depuis lors, leur nombre a augmenté en raison de la poursuite des combats, mais encore davantage en raison de la famine qui fait rage.

Les différentes phases de l’insécurité alimentaire, par région

Le  Armed Conflict Location and Event Data Project  (ACLED), un groupe autrefois associé à l’Université du Sussex, estime que depuis mars 2015, lorsque les Saoudiens ont déclenché la guerre, 70 000 à 80 000 personnes ont été tués au combat. Cette estimation est prudente et repose sur des décès documentés résultant de combats. L’ONG Save the Children a estimé fin 2017 que 50 000 enfants sont morts cette année-là par manque de nourriture et par une épidémie de choléra dévastatrice.

La famine n’a fait qu’augmenter depuis. À la fin de cette année, 50 000 autres enfants seront morts. Le nombre total de morts causées par la guerre et le blocus depuis mars 2015 a donc probablement dépassé la barre des 200 000.

Les agences d’aide tentent d’apporter plus de nourriture dans le pays. Mais la poursuite des combats autour de Hodeidah, le seul port de la zone contrôlé par les Houthis, rend la tâche de plus en plus difficile. Même si la nourriture parvient au port, il n’existe plus de système de distribution fiable pour une aide gratuite dans le pays. L’ONU et d’autres dépendent des commerçants pour distribuer l’aide. Ceux-ci prennent leur part pour couvrir le risque du transport sous les bombardements saoudiens continus.

Ni le gouvernement en exil, sous contrôle saoudien, ni les Houthis n’ont payé les employés de l’État. La forte inflation, causée par la banque centrale du Yémen sous contrôle saoudien, a plongé les gens dans une pauvreté extrême. La famine se produit donc même lorsque de la nourriture est disponible sur les marchés, car les gens n’ont tout simplement pas d’argent pour la payer. C’est la raison pour laquelle les conditions de famine indiquées sur la carte ci-dessus prévalent bien au-delà de l’enclave contrôlée par les Houthis au nord-ouest du Yémen.

La guerre a provoqué non seulement un nombre énorme de morts et une famine, mais également une immense destruction d’immeubles :

Les bombardements par les saoudiens et les Émirats Arabes Unis ont détruit au moins 421 911 maisons, 930 mosquées, 888 écoles, 327 hôpitaux et centres de santé et 38 médias, tout en arrêtant le fonctionnement de 4 500 écoles et en déplaçant plus de 4 millions de personnes.

En outre, de nombreux ponts ont été bombardés, des routes détruites, des usines désactivées et des puits détruits.

Toutes les destructions et les morts sont ignorés ou minimisés dans les médias «occidentaux» à cause du lobbying saoudien visant à valoriser le prince héritier Mohammad bin Salman. Les Saoudiens ont effectivement corrompu les Nations Unies pour minimiser les horreurs qu’ils causent :

L’Arabie saoudite a demandé aux agences d’aide présentes au Yémen de faire une publicité favorable au rôle joué par Riyad qui a fourni $930 millions pour l’aide humanitaire , a révélé un document interne de l’ONU.

Les documents conseillent que les subventions à distribuer par Ocha [l’Agence d’aide de l’ONU] devaient être liées à la quantité de publicité bénéfique donnée à l’Arabie Saoudite. Ils appellent également Ocha à obtenir une publicité favorable pour l’effort humanitaire saoudien au Yémen dans des journaux tels que le New York Times et le Guardian.

Les Saoudiens dépensent environ 200 millions de dollars par jour dans leur guerre contre le Yémen. L’argent qu’ils ont promis cette année à l’ONU pour l’aide au Yémen représente moins de cinq jours de dépenses militaires.

L’assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul, sur ordre de Mohammad bin Salman, a changé la donne. Tout à coup, c’est la mode de signaler les méfaits et l’influence des saoudiens. Les gouvernements de Washington et de Londres subissent des pressions publiques et politiques pour mettre fin à la guerre.

Le gouvernement Trump prend les premières mesures pour mettre fin à la guerre. Hier, le secrétaire à la Défense, Mattis, a appelé à un cessez-le-feu au Yémen :

« À long terme – et par long terme, j’entends dans les 30 jours – nous voulons voir tout le monde autour d’une table pour discuter d’un cessez-le-feu, basé sur un retrait de la frontière, et ensuite sur un arrêt des bombardements qui permettra alors à [l’Envoyé spécial Martin Griffiths] de les réunir en Suède et de mettre fin à la guerre. » a déclaré Mattis…

Le secrétaire d’État Pompeo a publié une déclaration similaire (accentuation en gras rajoutée) :

Le temps est venu pour la cessation des hostilités, notamment des frappes de missiles et d’UAV depuis les zones contrôlées par les Houthis vers le Royaume d’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Par la suite, les frappes aériennes de la coalition doivent cesser dans toutes les zones peuplées du Yémen.
Des consultations approfondies dans le cadre de l’envoyé spécial des Nations unies doivent commencer en novembre dans un pays tiers afin de mettre en œuvre des mesures de renforcement de la confiance et résoudre les problèmes sous-jacents du conflit, de la démilitarisation des frontières et de la sécurité. la concentration de toutes les armes de grande taille sous observation internationale.

La chronologie ne fonctionnera évidemment pas. Les Houthis et leurs alliés n’arrêteront pas leurs opérations avant que les Saoudiens ne mettent fin à leurs bombardements. Un cessez-le-feu simultané des deux côtés est la seule possibilité. Les Houthis ne mettront pas non plus leurs missiles sous surveillance internationale.

La déclaration américaine néglige l’aspect économique de la famine. Tout en se félicitant du plan, l’envoyé de l’ONU, Martin Griffiths, a souligné le problème de la banque centrale comme l’un des facteurs de la famine :

« J’exhorte toutes les parties concernées à saisir cette occasion pour participer de manière constructive aux efforts en cours pour la reprise rapide des consultations politiques afin de s’accorder sur un cadre de négociations politiques et sur des mesures visant à renforcer la confiance, notamment le renforcement des capacités de la Banque centrale du Yémen, l’échange de prisonniers et la réouverture de l’aéroport de Sanaa », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Le plan américain est mort-né mais c’est un grand changement dans le tact et un point de départ.

Il est intéressant de noter que la déclaration du département d’État reconnaît les frappes houthies contre les Émirats arabes unis. Tandis que plusieurs frappes de ce type avaient été revendiquées, ni les Émirats arabes unis ni les États-Unis ne les avaient confirmées jusqu’ici. Une notification aux aviateurs (NOTAM) publiée par les Émirats arabes unis il y a deux semaines, a fait allusion à de telles frappes (voir NOTAMN A1987 / 18) mais a été peu remarquée. La capacité des Houthis à frapper à une distance de 1 600 km est probablement l’un des principaux motifs qui pousse les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis à accepter un cessez-le-feu et des négociations.

La guerre saoudienne contre le Yémen est un échec. Une troisième attaque récente des forces soutenues par les EAU sur le port de Hodeidah a de nouveau été repoussée. Les lignes de front sont jonchées de véhicules militaires brûlés. Pendant ce temps, les attaques des Houthis en Arabie Saoudite se poursuivent. Les Houthi continuent également à acquérir de nouvelles capacités. Il y a quelques jours, ils ont dévoilé un nouveau missile d’une portée de 150 kilomètres et d’une précision impressionnante de 3 mètres. Ils ont prouvé son exactitude dans une vidéo montrant une frappe sur une maison désaffectée et une seconde sur un camp de mercenaires soudanais au sud de Hodeidah.

Même si les négociations débutent le mois prochain, la guerre au Yémen ne se terminera pas de si tôt. Le nombre de morts va augmenter tout au long de l’hiver. En dépit du coût élevé, le peuple yéménite continuera de se battre jusqu’à ce que la dernière force étrangère quitte son pays.

Comme Isa Blumi l’écrit dans son essai :

Depuis plus d’un siècle, les Yéménites résistent à une machine capitaliste mondiale qui menace aujourd’hui de s’effondrer. Ironiquement, c’est le Yémen qui a éduqué les Ottomans de haut niveau sur les limites du gouvernement moderne.

Certains dirigeants responsables aujourd’hui peuvent peut-être aussi se demander quelles leçons ils peuvent tirer du Yémen et éviter, espérons-le, le désastre imminent qui attend ceux qui sont trop étroitement liés à un effondrement de l’ordre capitaliste occidental pris au piège de la destruction du sud de l’Arabie.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par wayan pour le Saker Francophone

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