Hassan Nasrallah sur la Syrie …


…Washington a protégé Daesh jusqu’au bout, les Kurdes et la Turquie sont les grands perdants


Par Sayed Hasan – Le 3 mars 2019 – Source sayed7asan

Entretien du Secrétaire général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 26 janvier 2019, avec Ghassan Ben Jeddou, fondateur de la chaîne panarabe et anti-impérialiste Al-Mayadeen.

Cette interview en direct, très attendue en Israël et dans le monde arabe, a duré plus de 3 heures.

Voir l’introduction, le premier, le deuxième et le troisième extraits de cette interview.

https://player.vimeo.com/video/321106472

Transcription :

[…] Ghassan Ben Jeddou : Chers auditeurs, bienvenue à cette deuxième partie de notre entretien global avec Sayed Hassan Nasrallah, le Secrétaire général du Hezbollah.

Éminent Sayed (descendant du Prophète), premièrement, durant la pause (publicitaire), nous avons été informés que plusieurs chaînes israéliennes retransmettent cette interview en direct (avec un doublage en hébreu), et que certaines chaînes ont déjà commencé à commenter (vos propos). C’est clairement une chose notable.

(Abordons maintenant) le dossier syrien, du point de vue général et stratégique. Pouvons-nous dire, avec précision et clarté, que nous nous dirigeons vers une victoire finale, décisive, définitive et complète en Syrie ? Ou est-ce que l’issue est toujours complexe, de sorte que nous ne pouvons pas dire que la guerre se dirige vers la fin, et que l’Axe de la résistance, ou la Syrie en premier lieu, ne peut pas encore parler de victoire proche ?

Hassan Nasrallah : En Syrie, nous pouvons parler (à juste titre) d’une victoire grandiose et éclatante, et affirmer que nous sommes parvenus à la dernière étape. Bien sûr, il ne serait pas raisonnable, avant la résolution de la situation dans le Nord, à savoir à Idlib et au Nord d’Alep, et avant la résolution de la situation à l’Est de l’Euphrate – en prenant bien en compte la différence de ces deux situations, qui sont bien distinctes dans ces deux régions – nous ne pouvons pas dire que le dossier est clos, et que la victoire est complète et finale, si nous voulons nous exprimer avec précision (et justesse). Mais tous les dangers qui se succédaient, et que nous craignions en 2011, au début des événements, et durant tous les rebondissements qui se sont produits depuis, nous les avons (définitivement) surmontés, par la Grâce de Dieu le Très-Haut et l’Exalté.

Aujourd’hui, et je suis catégorique, la Syrie est relativement dans une situation bien meilleure que jamais depuis que les événements ont débuté en 2011. Même en ce qui concerne les dossiers restants, et c’est là quelque chose de très important, l’État syrien et les dirigeants de la Syrie sont en position de force et de domination, et dans une posture très aisée et détendue quant à leur situation (et celle du pays).

Aujourd’hui, le problème à l’Est de l’Euphrate est un problème qui concerne l’État et les dirigeants car c’est un territoire syrien. Mais au sujet de l’Est de l’Euphrate, la crise et l’impasse sont en premier lieu entre les Turcs, les Kurdes et les États-Unis. Et c’est également une crise interne entre les Kurdes et les Arabes. Je vais expliquer ce point.

Il en va de même au sujet d’Idlib et de la région du Nord. L’État syrien, les dirigeants de Syrie et l’Armée arabe syrienne, avec l’aide de leurs alliés, sont tout à fait capables de remporter la bataille au Nord de la Syrie, c’est un fait évident et indéniable. Ils en étaient déjà capables et s’apprêtaient à le faire depuis la libération du Sud de la Syrie, mais durant cette période, les ingérences internationales, régionales et les (négociations des) pays (de la conférence) d’Astana, ainsi que les efforts turcs particuliers et directs auprès de la Russie, y compris durant les rencontres à Astana – l’Iran n’était pas à l’écart de ce débat – ont poussé vers une résolution différente (non militaire) de la situation dans le Nord pour des raisons humanitaires, du fait de (la présence alléguée) de millions de réfugiés, de la volonté de ne pas épancher le sang, etc., et ils ont donc opté pour la formule qui n’a pas été couronnée de succès jusqu’à présent et fait toujours l’objet d’évaluation, de confusion et de trouble dans les relations turco-russes.

Par conséquent, il reste à mon sens deux dossiers à ce jour, si nous parlons du terrain. Sur le terrain, aujourd’hui, dans toutes les régions dont l’État syrien a repris le contrôle – et ces zones où le contrôle de l’État syrien est total sont très vastes, il ne reste que ces deux dossiers.

(Le premier dossier) est la question de l’Est de l’Euphrate. Si la question se dirige vers un accord entre… Bien sûr, avant d’envisager cela, (il me faut rappeler) vers quoi on se dirigeait (auparavant) : les unités et partis kurdes, avec le soutien des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni  et de l’Occident – mais en fait, c’était surtout un soutien américain – et via la présence américaine directe (en Syrie), étaient sur le point d’enraciner leur présence et de prendre le contrôle de la totalité de la région de l’Est de l’Euphrate, jusqu’à la frontière syro-turque. Les Kurdes étaient en position de force et voulaient négocier avec le régime (syrien) depuis cette position : aucun danger ne les menaçait et ils n’avaient aucun problème, ils étaient complètement à l’aise. Et des tentatives de négociation avec le régime ont eu lieu – je n’ai aucun problème à parler du « régime » syrien, même si pour certains, ce terme est incorrect (car péjoratif à leurs yeux), car pour moi, le terme de « régime » (= ordre en arabe) est l’opposé du « chaos », même si dans les déclarations arabes, le mot « régime » est devenu péjoratif. Quoi qu’il en soit, l’État est le régime…

Les partis et mouvements kurdes, en s’appuyant sur le soutien américain et la présence américaine à l’Est de l’Euphrate, étaient dans une situation très confortable, et avaient (donc) des exigences élevées (autonomie voire indépendance, maintien d’une force armée kurde, etc.), mais selon moi, l’État syrien n’aurait jamais pu accepter d’accord ou de solution de cette nature. Ce sont là des détails dans lesquels il est inutile de se perdre.

Face à cela, les Turcs avaient un problème. Dans les résolutions de la situation dont nous parlons, les Kurdes demandent par exemple le maintien de troupes kurdes, même si elles doivent faire partie de l’armée syrienne. Mais en ce qui concerne la Turquie, cela représenterait un énorme problème. Bien sûr, ma connaissance des dirigeants de l’État syrien m’amène à considérer comme impensable que l’armée syrienne se constitue de manière sectaire ou raciale, avec des unités ou composantes sectaires ou raciales (sunnites/chiites ;  Arabes/Kurdes, etc.). La culture, la vision politique et l’idéologie syriennes ne permettront jamais cela. Quoi qu’il en soit, la Turquie considère les partis et mouvements Kurdes…

Ghassan Ben Jeddou : Le régime et également la population.

Hassan Nasrallah : Oui, c’est (également) ancré dans la culture populaire. Les Turcs considèrent les partis kurdes comme une copie syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, groupe armé considéré comme terroriste par Ankara), et par conséquent comme une organisation terroriste qui menace la Turquie et la paix civile en Turquie, car des deux côtés de la frontière (syro-turque), il y a des Kurdes. La Turquie a donc un problème (avec cette solution), malgré le fait que les Turcs et les Kurdes soient tous deux les alliés des américains, mais il y a un différend entre eux. Les Kurdes considèrent que la Turquie représente une menace existentielle pour eux, et la Turquie considère que les Kurdes représentent un danger pour leur sécurité nationale. Il y a donc là un problème persistant.

Mais en ce qui concerne la Syrie, c’est tout le contraire, et en fin de compte, l’État et le régime (syriens) représentent peut-être même la solution. Pourquoi ai-je parlé de position de force et de domination ? Pourquoi le régime syrien représenterait-il la solution ? Quels sont les scénarios possibles et envisageables ? Entre la Turquie et les États-Unis, entre Trump et Erdogan – il s’agit bien de ces deux personnes – les choses en sont presque arrivées à un conflit et à une rupture (des relations) du fait du dossier de l’Est de l’Euphrate. (Erdogan disait) : « Oh Trump, tu protèges des groupes et des partis terroristes, et cela menace notre sécurité nationale, alors que nous sommes alliés, etc. » (Face à cela), Trump est venu (sur la scène) et a pris la décision de retrait (des troupes américaines de Syrie) – et c’est un sujet que nous devrons aborder à part – et a dit (à Erdogan) : « La Syrie est à toi, (fais-en ce que tu veux). » Cela a terrorisé les Kurdes, les partis kurdes, de même que les alliés des États-Unis dans la région – et cela a également un lien avec la situation dans la région, dont nous allons parler ensuite.

La Turquie est devenue plus encline à se lancer dans une bataille militaire (contre les Kurdes), ce qui aurait signifié un combat entre des alliés des États-Unis, soit l’armée turque, instrumentalisant des factions armées de la (soi-disant) opposition syrienne, contre les unités (armées) kurdes soutenues par les États-Unis et l’Occident, et financées par le Golfe – car l’Arabie Saoudite continue à financer (les groupes armés). Par conséquent…

Ghassan Ben Jeddou : Excusez-moi, donc les forces kurdes, alliées des américains en Syrie, sont financées par (les pays du) Golfe ?

Hassan Nasrallah : Bien sûr, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis les financent. C’est à la fois une décision américaine et une conviction de l’Arabie Saoudite et des Émirats. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous parlerons des (relations des pays) arabes (avec) la Syrie.

Aujourd’hui, si la Turquie veut réaliser une incursion armée dans le territoire syrien, cela lui posera un problème avec les États-Unis et avec l’Europe, elle violera la souveraineté syrienne, et elle ne sait pas quel sera le résultat de cette bataille. La Russie n’est pas d’accord (avec une incursion turque), si bien qu’une telle intervention dégraderait les relations russo-turques. Quelle est donc la solution logique (à toute cette situation) ?

Lorsque Erdogan est revenu de Moscou – et jusqu’à présent, je ne me suis pas renseigné sur ce qui s’est dit durant cette dernière rencontre (entre Moscou et Ankara le 23 janvier à Moscou) – mais (on peut le deviner en se référant aux) rencontres qui l’ont précédée, lorsque le Ministre des affaires étrangères, le Ministre de la défense et les responsables des services de sécurité turcs se sont rendus en Russie, il y a quelque temps, pour discuter de la question d’Idlib et de l’Est de l’Euphrate, ils ne sont parvenus à aucun résultat, et ce fut un échec (complet). La déclaration commune qui a été effectuée était très générale. Ensuite…

Ghassan Ben Jeddou : Ce sont des informations (et non une analyse) ?

Hassan Nasrallah : Oui, ce sont des informations (de première main). Ensuite, lorsque Erdogan s’est rendu (personnellement) à Moscou, c’était pour trouver une solution à ce problème (et obtenir un accord russe pour une intervention armée turque en Syrie). Mais à son retour, de quoi a parlé Erdogan ? De l’accord d’Adana. Si on revient à l’accord d’Adana qui a été signé en 1998, c’est-à-dire à l’époque du Président défunt Hafez al-Assad, pour réguler la situation à la frontière syro-turque et le problème du PKK, certains principes ont été établis d’un commun accord syro-turc.

Ghassan Ben Jeddou : À l’époque du Président (turc Süleyman) Demirel.

Hassan Nasrallah : Oui. Donc lorsque (Erdogan) dit qu’il faut revenir à l’accord d’Adana, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’il faut reconnaître que la seule solution à l’Est de l’Euphrate est le déploiement de l’armée syrienne légale et légitime sur toute la longueur de la frontière (avec la Turquie), et lorsque l’armée syrienne, les dirigeants syriens et le régime syrien (re)deviendront responsables de la frontière avec la Turquie, et que leurs forces seront présentes dans la région de l’Est de l’Euphrate, ils parviendront à faire appliquer l’accord d’Adana.

Et aujourd’hui même, il y a quelques heures – cela permettra également de prouver que cet entretien est en direct [Rires] – le Ministère des affaires étrangères syrien a annoncé que la Syrie respecte l’accord d’Adana, mais que le problème est que la Turquie ne le respecte pas, car elle viole la frontière, soutient les (groupes) terroristes, les arme, etc. Telle est donc la solution (l’Est de l’Euphrate doit revenir entre les mains de l’armée syrienne).

Ghassan Ben Jeddou : Mais avec votre permission, Éminent Sayed, il semble que les Turcs veulent réformer l’accord d’Adana, de sorte qu’il n’y ait pas seulement un déploiement de l’armée syrienne à la frontière, mais également un nouvel accord qui permettrait à l’armée turque de patrouiller (les deux côtés de) la frontière, y compris à l’intérieur du territoire syrien.

Hassan Nasrallah : Le fait même que le Président Erdogan parle de revenir à l’accord d’Adana, ne serait-ce que comme une base de discussion – parfois, il dit qu’il suffit d’appliquer cet accord, ce qui est très bien ; parfois, il parle d’amendements à apporter à cet accord. Mais même cela est à mon avis un développement positif.

Ghassan Ben Jeddou : La Turquie veut à présent dialoguer avec l’État syrien (sur le rétablissement de cet accord), alors que précédemment, elle refusait de dialoguer avec le pouvoir (officiel).

Hassan Nasrallah : D’après moi, les dirigeants syriens ne sont pas pressés de régler cette question. Ils ont tout leur temps. Les unités kurdes et la Turquie peuvent prendre le temps sur cette question. Voilà donc pour le premier dossier (l’Est de l’Euhphrate).

À ce sujet, permettez-moi de préciser un dernier point : je considère que dans peu de temps, Daesh sera éradiqué dans la dernière poche où il reste présent, autour de Boukamal.

Ghassan Ben Jeddou : Qui s’en chargera ?

Hassan Nasrallah : Les unités kurdes soutenues par la coalition internationale. L’étendue que Daesh contrôle encore est devenue très réduite, 7 kilomètres de large sur 10 kilomètres de long, seulement deux villes ou villages petits ou moyens, et la plupart d’entre eux ont commencé à se rendre, leurs familles quittent les lieux, des accords sont conclus. Et je considère que comme d’habitude, les plus irréductibles seront les combattants étrangers, et en fin de compte, ils se rendront et seront pris en charge par les unités kurdes, dont les camps militaires comprennent aujourd’hui des milliers de Daeshistes. Les Kurdes ont proposé (de restituer) ces prisonniers aux pays dont ils sont originaires (en leur disant) : « Reprenez vos enfants, ce n’est pas à nous de (les garder et de) les nourrir ! » Daesh va donc être liquidé dans cette (dernière) poche. Ce dossier reste donc ouvert.

Et dans ce dossier ouvert, lorsque Daesh sera éradiqué, nous serons très à l’aise. L’État syrien sera à l’aise, de même que l’armée syrienne, car vous savez que leur présence à Boukamal, à Deir-Ezzor et bien d’autres endroits est due au danger représenté par Daesh. Il n’y a pas de possibilité de guerre ou de combats (sérieux) entre l’armée syrienne et les unités kurdes. L’atmosphère est celle de négociations, de dialogue et de recherche de solutions, car toutes les lignes (de communication) sont ouvertes. Les lignes militaire, sécuritaire et politique sont ouvertes. Cela va alléger (la pression qui pèse sur) l’armée syrienne, sur l’État syrien et sur nous tous (les alliés de la Syrie : Hezbollah, Russie, Iran) sur ce front en particulier. Bien sûr, (les États-Unis) ont fait tout leur possible pour retarder…

Ghassan Ben Jeddou : Vous avez des combattants là-bas ?

Hassan Nasrallah : L’été dernier, lorsque Deir-Ezzor et Boukamal ont été libérées, ce sont les États-Unis qui ont empêché l’armée syrienne et ses alliés de liquider Daesh (définitivement), cela aurait pu être fait l’été dernier. Ils ont fait savoir aux Russes que toute avancée de forces serait bombardée par les avions américains. Et c’est pour cela que les forces se sont arrêtées au fleuve de l’Euphrate, et la tâche (de liquider Daesh) est restée sur les épaules des unités kurdes soutenues (par l’Occident). Ce n’est qu’une toute petite poche, mais ça fait 7 ou 8 mois qu’ils sont dessus. Cela prouve la politisation de la question (Daesh est une carte que les USA veulent garder entre leurs mains). Pourquoi est-ce qu’ils accélèrent les choses aujourd’hui ? Car Trump veut se retirer de Syrie, et l’existence de cette poche (daeshiste) l’empêche de sortir de Syrie en déclarant qu’il a vaincu Daesh. Voilà pour ce qui concerne l’Est de l’Euphrate.

Ghassan Ben Jeddou : Et en ce qui concerne Idlib ?

Hassan Nasrallah : Pour la question d’Idlib, il faut également se référer aux discussions entre la Turquie et la Russie.

Ghassan Ben Jeddou : Excusez-moi, mais vous venez de nous surprendre en déclarant une chose qu’on a entendue plusieurs fois dans les médias, mais le fait que le Secrétaire général du Hezbollah le confirme lui donne une dimension (de certitude) absolue. L’année dernière, vous étiez – l’armée syrienne et ses alliés – sur le point de lancer une bataille militaire pour libérer Idlib. Je vous ai bien compris ?

Hassan Nasrallah : Oui, c’est vrai.

Ghassan Ben Jeddou : Vous étiez sur le point de la libérer complètement ?

Hassan Nasrallah : Oui, et pour ce faire, de nombreux bataillons et unités militaires ont été transportés depuis le Sud et les environs de Damas vers cette région (Idlib), et les préparatifs ont été effectués (pour lancer cette opération), mais les communications internationales, la Turquie, la Russie, Astana, etc. (sont entrées en scène et ont retardé l’opération).

Ghassan Ben Jeddou : La Russie également était d’accord (pour lancer cette opération), indépendamment de l’interférence turque ?

Hassan Nasrallah : Pour le moins, ce que je sais, c’est qu’au niveau militaire, elle exhortait à lancer cette opération rapidement, du moins la direction militaire (présente en Syrie).

Ghassan Ben Jeddou : Les Russes ?

Hassan Nasrallah : Oui.

Ghassan Ben Jeddou : Mais l’interférence politique…

Hassan Nasrallah : Ce sont les forces russes qui insistaient auprès des forces syriennes et du reste des alliés pour qu’elles se dépêchent de masser leurs forces dans la région du Nord. Ensuite, le politique s’est introduit dans la question, et nous sommes arrivés à cet accord.

Ghassan Ben Jeddou : Et à quoi peut-on s’attendre pour l’avenir ? Car vous savez, Éminent Sayed, que le Front Al-Nosra, qui s’est renommé Hayat Tahrir al-Cham, s’est emparé de presque toutes les régions (du Nord). Est-ce que…

Hassan Nasrallah : Il s’est emparé d’Idlib. Il contrôle différentes zones. Il contrôle Idlib et l’Ouest d’Alep, mais il y a aussi le Sud d’Alep, la région de Der-Eizzor au bord de l’Euphrate, la région d’Osn al-Zeitoun, etc. (qui échappent à son contrôle).

Ghassan Ben Jeddou : Mais je parle spécifiquement d’Idlib. Aujourd’hui, le Front al-Nosra ou Hayat Tahrir al-Cham s’est emparé de la totalité de cette région.

Hassan Nasrallah : Il s’est emparé d’Idlib et de l’Ouest d’Alep.

Ghassan Ben Jeddou : (Ce mouvement) est-il une carte entre les mains de la Turquie pour (renforcer sa position durant) les négociations et les accords, voire pour lancer des provocations ? Ou peut-on se diriger finalement vers une résolution militaire contre Al-Nosra ?

Hassan Nasrallah : Tous les choix sont ouverts. Mais actuellement, tout le monde donne la priorité à une résolution politique, jusqu’à nouvel ordre. Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas…

Pour décrire fidèlement les choses, le fait de repousser la confrontation à Idlib est une chose à laquelle on s’attendait, car il était prévisible que les différentes factions (terroristes) finiraient par s’entre-tuer atrocement, et c’est ce qui s’est passé. De manière générale, c’est l’un des problèmes inhérents à ces groupes en Syrie. Les combats qui ont eu lieu durant ces dernières semaines étaient très violents, atroces, et hors de toute limite. Ils se prétendent islamiques, mais même les limites imposées par la religion, la morale et l’humanité ont été violées durant ces batailles que j’ai suivies (dans le détail).

Dans les faits, le Front al-Nosra a liquidé toutes les autres factions qui étaient les plus proches de la Turquie. Est-ce que la Turquie était d’accord pour cette opération ? Cela n’est pas clair. La Turquie était-elle incapable d’empêcher cette opération ? La Turquie agit-elle face au résultat de cette opération comme face à un fait accompli, et essaie d’en tirer profit politiquement ? Ces questions méritent d’être posées, et la réponse n’est pas facile à établir. (Pour y répondre avec certitude), il faudrait des informations et des données (plus précises que je ne possède pas encore).

Mais quoi qu’il en soit, je considère que la prise de contrôle de cette vaste région par le Front al-Nosra est une pression supplémentaire sur la Turquie qui réduit sa marge de manœuvre, car le Front al-Nosra est considéré par le Conseil de sécurité (de l’ONU), la communauté internationale et tous les pays du monde, à quelques exceptions près, comme une organisation terroriste. Ce n’est donc pas une faction syrienne de l’opposition, islamique ou nationaliste, qu’Erdogan pourrait prétendre protéger du fait de revendications légitimes alléguées et d’un prétendu droit à participer à une résolution politique du conflit en Syrie. Il y a donc une grande force dans la région d’Idlib, considérée et reconnue comme terroriste, face à laquelle la Russie se comporte comme face à un groupe terroriste, qui contrôle cette région et ne saurait en aucun cas participer à une résolution politique. Comment donc résoudre cette question (sinon par la force) ? C’est pourquoi je considère que c’est une solution problématique, et qu’une résolution politique sera (très) difficile.

Il y a eu des tentatives de convaincre le Front al-Nosra/Hayat Tahrir al-Cham d’intégrer, avec les autres factions, une autre dénomination dans laquelle il se diluerait, et qui pourrait être présentée comme un nouveau mouvement nationaliste, islamique et syrien, sans aucune relation avec Al-Qaïda, et sans aucune relation avec le Front al-Nosra. Ainsi, elle aurait gommé – ou du moins essayé d’effacer – sa composante et son identité (terroristes) précédente, et se serait reformée comme un nouveau mouvement et une nouvelle organisation ayant l’aspect d’un mouvement nationaliste ou islamique syrien qui aurait participé à la solution (politique) de la situation en Syrie. Car le projet de faire tomber le régime, de changer de régime et de prendre Damas est bel et bien enterré. Mais le Front al-Nosra en est indigne et incapable : ni Abou Mohammed al-Joulani (dirigeant fondateur d’Al-Nosra/Hayat Tahrir al-Cham), ni personne (au sein de ce groupe) ne peut accepter une telle chose : c’est un problème essentiel dans la culture, l’idéologie et la mentalité de ces combattants, dont une (grande) partie a été amenée de tous les coins du monde, il y a (beaucoup) de nationalités étrangères parmi eux.

À mes yeux, la question de l’avenir d’Idlib n’est pas très claire, et la Turquie est coincée sur cette question. C’est pourquoi les déclarations d’Erdogan… Je ne suis pas sûr au sujet d’Erdogan, mais du moins les milieux (dirigeants) turcs, peut-être y compris Erdogan lui-même, déclarent qu’ils sont d’accord quant à l’importance de combattre le terrorisme à Idlib. Et qui y a-t-il à Idlib (sinon des terroristes) ?

Ainsi, même à la table des négociations, la Turquie ne peut plus défendre Al-Nosra face à la Russie en prétendant qu’il doit participer à la résolution politique (et ainsi retarder davantage la solution militaire). C’est pourquoi soit la Turquie va trouver (seule) une solution à la question d’Idlib, soit, en fin de compte – pas forcément maintenant, ça peut attendre un, deux ou trois mois, car nous ne savons pas comment va évoluer la situation – la région d’Idlib est une région syrienne importante, et je connais (la détermination du) Président Bachar al-Assad et des dirigeants syriens, et je ne pense pas qu’il soit possible qu’ils laissent la moindre parcelle du territoire syrien aux groupes armés, surtout à de tels groupes takfiris et terroristes.

Ghassan Ben Jeddou : Pour résumer la situation au Nord (de la Syrie), la Turquie, les États-Unis et les Kurdes, les forces armées kurdes présentes là-bas sont dans une véritable crise dans cette région. En ce qui concerne Idlib, contrôlée par Al-Nosra/Hayat Tahirir al-Cham, la solution politique est impossible car 1/ Al-Nosra est considérée internationalement comme un groupe terroriste, et 2/ son idéologie, fondamentalement, l’empêche de dialoguer avec (le pouvoir central à) Damas. La solution sera en fin de compte la libération de cette région car les dirigeants syriens ne peuvent pas tolérer qu’une poche reste contrôlée par ces groupes terroristes takfiris, même s’ils sont sous la coupe d’autres pays (la Turquie). Et troisièmement, vous posez un point d’interrogation sur le rôle et la position de la Turquie. […]

Traduction : sayed7asan.blogspot.fr

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