Guerre Hybride 8. Écraser la Communauté de l’Afrique de l’Est (I)


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Par Andrew Korybko – Le 16 décembre 2016 – Source OrientalReview

La Communauté de l’Afrique de l’Est est peut-être le bloc d’États le plus prometteur sur le plan économique de tout le continent, même si c’est un groupe que la plupart des gens ne connaissent pas. Jusqu’à l’adhésion du Soudan du Sud au printemps 2016, elle était composée d’un « cercle » géographiquement serré de cinq États – le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie.

Hybrid Wars 8. Strategies Against Africa – Introduction

L’inclusion de ce nouveau pays africain apporte beaucoup de bonnes occasions, mais parce qu’il n’a été que récemment incorporé dans le cadre qui va être étudié et reste plongé dans une multitude de risques, il sera longuement discuté dans sa propre section aux côtés de la République centrafricaine. Dans cette partie de la recherche, la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) se référera uniquement aux cinq États susmentionnés et exclura le Sud-Soudan à moins d’indication contraire explicite. Après avoir expliqué les paramètres géographiques de la région visée, il est temps de l’approfondir et d’explorer son potentiel stratégique dans les années à venir.

Le présent chapitre s’ouvre avec un aperçu général de la CAE en général, en examinant ses perspectives de fédéralisation et l’impact que son actualisation pourrait avoir sur l’Afrique et le reste du monde. Ensuite, il révèle la série de projets de la Route de la soie qui serpentent dans la région et examine comment ils ont le potentiel collectif de renforcer les plans d’intégration de la CAE et de transformer le bloc en pôle continental principal de la Chine pour son projet One Belt One Road. Enfin, la dernière partie de cet article d’introduction examine les perspectives pour que la CAE devienne un élément de la nouvelle rivalité de type guerre froide entre la Chine et l’Inde, compte tenu en particulier des données économiques actuelles, qui indiquent de façon convaincante que cela est déjà le cas. À la suite de ce premier chapitre, tous les suivants traiteront spécifiquement de chacun des pays de la région, à commencer par le Kenya, puis l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi (qui seront étudiés ensemble), et la Tanzanie. À la fin de la recherche, c’est l’objectif de l’auteur que le lecteur puisse apprécier la signification géostratégique de la CAE et acquérir une compréhension de comment et pourquoi les États-Unis pourraient recourir à la guerre hybride pour écraser cette communauté intégrative.

La fédération de la Communauté

La CAE a l’intention de s’intégrer un jour dans ce que l’on appellerait de manière prospective la Fédération de l’Afrique de l’Est (FAE), mais ce processus est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Néanmoins, parce que ce serait un geste si monumental si cela se produisait effectivement, il mérite d’être analysé de manière exhaustive pour que les observateurs puissent voir comment il s’insère dans le paradigme régional et la vision continentale de la Chine pour le réseau d’infrastructures One Belt One Road.

Arrière-plan et opportunités

Pour commencer, l’historique de la CAE est très important pour que les analystes puissent mieux évaluer la viabilité future de l’organisation en modèle fédéralisé. À l’origine, la CAE n’était qu’un groupe de trois pays, formé du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie, et elle a brièvement existé entre 1967 et 1977. Elle a été ramenée au premier plan de la politique régionale en 2000 et élargie pour inclure le Rwanda et le Burundi en 2007. Le Soudan du Sud, comme mentionné ci-dessus, l’a rejointe début 2016, bien que l’étude actuelle examine seulement le bloc originel de cinq pays pour le bien de la cohérence régionale et de sa stratégie. Si les objectifs complémentaires d’une fédération politique et économique / monétaire se concrétisent, la Fédération de l’Afrique de l’Est (FAE) constituerait une importante force mondiale avec laquelle il faudrait compter, totalisant près de 170 millions de personnes et représentant un marché et une main-d’œuvre d’une économie potentielle impressionnante. Le plan proposé est que la capitale de la FAE se trouve dans la ville d’Arusha, au nord de la Tanzanie, qui a déjà été utilisée pour de telles initiatives diplomatiques régionales de haut niveau en tentant de résoudre les guerres civiles rwandaises et burundaises.

Vues externes

D’un point de vue extérieur, en particulier celui des grandes puissances, la FAE pourrait ressembler à une construction géopolitique bienvenue. Elle créerait idéalement une structure fédérale unique et unifiée par laquelle la région, riche en ressources et en main-d’œuvre pourrait interagir avec le monde extérieur, et on pourrait aussi s’attendre à ce qu’elle élève ses capacités collectives à des sommets inédits. La Chine, par exemple, pourrait préférer traiter avec une seule entité semi-centralisée, responsable de cette région stratégique à travers laquelle tant de ses projets de la Route de la Soie sont censés passer (et qui seront discutés bientôt), tandis que les Indiens pourraient avidement voir leurs propres opportunités maximiser leur influence économique au Kenya et en Tanzanie et la diffuser plus profondément dans les régions intérieures ougandaises, rwandaises et burundaises du continent (comme dans le cas de la Chine, ce qui sera également discuté plus tard).

Considéré du point de vue américain, cela a des avantages et des inconvénients notables. Si les États-Unis pouvaient fortement influencer la FAE, ils reproduiraient le modèle de l’UE en acquérant un bloc soumis pour mener à bien ses tâches hégémoniques régionales « dirigées dans l’ombre », sans parler de capacités anti-chinoises que Washington pouvait gagner en contrôlant indirectement les différentes routes de la soie. D’autre part, et dans le sens de ce que la Chine s’efforce de travailler, si la FAE échappait au contrôle américain et devenait capable de se défendre contre tout ou partie d’une prochaine guerre hybride que fabrique Washington, alors elle deviendrait un atout considérable pour l’ordre mondial multipolaire et un phare d’espoir transformateur pour le reste du continent. Essentiellement, l’avenir de la région se résume à savoir si la CAE se transforme ou non en FAE, et comment l’ensemble de l’entité ou de ses différentes parties réagissent à la combinaison américaine d’intrigues perturbatrices et de tentatives d’extension (guerres hybrides et pots-de-vin unipolaires).

Vues internes

Bien que l’analyse ci-dessus donne un aperçu exact des intérêts les plus fondamentaux de la Chine, de l’Inde et des États-Unis par rapport à la CAE / FAE, elle ne tient pas compte de la politique interne du bloc lui-même. Les gouvernements du Kenya, du Rwanda et surtout de l’Ouganda sont très favorables à l’accélération des processus d’intégration et de fédéralisation, alors que le Burundi est relativement blasé envers tout cela au milieu de sa propre crise interne concoctée depuis l’étranger et que la Tanzanie a traditionnellement gardé toute la plate-forme sous le coude. Le président ougandais Yoweri Musevini, ambassadeur de la région, a adopté avec enthousiasme la FAE dans l’espoir qu’elle devienne son héritage définitif et détourne l’attention de son histoire personnelle controversée et de la vague d’interventions militaires voisines en République du Congo, au Soudan du Sud et, dans une certaine mesure, même en République centrafricaine. Les Tanzaniens, par contre, se sont historiquement méfiés des projets d’intégration régionaux pour couvrir l’expansion de l’influence de leurs concurrents kényans dans toute la région et leur histoire socialiste a créé de sérieux obstacles administratifs internes à cette vision. Pour cette raison, ils sont généralement considérés comme les plus « lents » des membres de la CAE en ce qui concerne les propositions d’intégration.

Nairobi

De plus, outre les aspirations régionales de l’Ouganda et la suspicion historique de la Tanzanie, il y a aussi le Kenya, qui est la plus grande économie de la région en termes de PIB. Nairobi souhaite tirer parti de sa position côtière afin de devenir la voie choisie par les investisseurs étrangers pour accéder directement aux marchés ougandais, sud-soudanais et éthiopien. Elle espère que cela lui permettra d’élargir sa propre économie en phase avec celle de ses voisins et de capitaliser sur les nouvelles perspectives qu’ils offrent, transformant ainsi le Kenya en un des pays les plus importants de toute l’océan Indien occidental. Le Rwanda, d’une taille relativement plus petite et désavantageusement enclavé dans les hauts plateaux centraux du continent, considère la FAE comme un instrument permettant de relier son économie à celle du monde extérieur, en espérant diversifier ses options et par conséquent les opportunités des Ougandais (et plus loin, des Kenyans) et des Tanzaniens. Le Rwanda pourrait préférer s’appuyer davantage sur l’Ouganda que sur la Tanzanie en raison des liens politiques que le président rwandais Paul Kagame a historiquement cultivés avec son homologue ougandais et son intention présumée de vouloir approfondir l’influence perçue de Kigali sur Kampala.

En continuant sur la ligne des perspectives internes concernant les plans de fédération de la CAE, il est également utile d’examiner ce que le citoyen moyen pourrait penser de cette initiative de grande envergure. De toute évidence, il y a de sérieuses inquiétudes au sujet de l’érosion de la souveraineté nationale et sur le fait de savoir quel pays ou groupe de pays finirait effectivement par diriger le bloc. La compétition régionale entre les deux États côtiers du Kenya et de la Tanzanie est bien connue et l’un ne veut pas que l’autre acquière un avantage relatif à ses dépens. En outre, les pays sans littoral que sont l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi ne veulent pas céder trop de leur souveraineté à leurs plus grands voisins de l’Est et trop dépendre d’eux. De leur point de vue, il est préférable de conserver autant d’options que possible en équilibrant entre les deux, tout en trouvant des « compromis » pour renforcer leur profil au sein du bloc, éventuellement par une sorte de solution politique liée à une présidence tournante de la FAE ou à d’autres idées. À l’inverse, les citoyens kényans et tanzaniens ne voudraient pas avoir l’impression de se précipiter vers leurs petits voisins en renonçant à leurs positions avantageuses en faveur de ce qui pourrait être perçu ou négativement promu comme l’entremise des Ougandais, des Rwandais et des Burundais aux dépens de leurs intérêts nationaux.

Résumé de la fédération

Chacune de ces positions internes est légitime à sa manière, depuis les calculs géopolitiques de haut niveau des directions nationales respectives jusqu’à l’approche populiste de leurs citoyens, et il appartient à chaque gouvernement et à ses partenaires de la société civile de concilier toutes les différences majeures pour atteindre une solution acceptable sur la question de la fédéralisation. Chaque pays donnera probablement sa propre réponse comme approche de ce sujet et il est à prévoir que cela pourrait ralentir tous les délais préétablis d’intégration et peut-être même finir par être exploité par les États-Unis comme une révolution de couleur à déclencher dans certains cas. On voit qu’une solution de compromis qui respecte également la souveraineté de chaque pays et cède un minimum sur le terrain stratégique est ce qui est demandé, mais même si le répéter semble un cliché, de telles idées sont toujours plus faciles à émettre qu’à mettre en place.

Néanmoins, les incitations internationales sont certainement là pour encourager toutes les parties prenantes régionales à parvenir à un accord plus tôt que plus tard, étant donné que les dividendes économiques et stratégiques escomptés pourraient être plus que suffisants pour apaiser la plupart des opposants. La Chine souhaiterait que la FAE fonctionne comme une plate-forme pour la normalisation des politiques relatives à la Nouvelle Route de la Soie, tandis que l’Inde a des intérêts similaires qui s’appliquent aux investissements de New Delhi dans la région. Les États-Unis veulent un cadre régional semi-intégré grâce auquel ils peuvent projeter leur influence militaire et gagner un levier de contrôle sur les projets de la Chine. Dans le cas du scénario le plus défavorable où les États-Unis ne peuvent pas gagner et maintenir un degré de contrôle acceptable sur la FAE ou sur certains de ses membres individuels, les États-Unis ont l’intention de recourir à leur tactique de la terre brûlée géopolitique en laissant un ensemble de guerres hybrides dévaster la région.

Le(s) Route(s) de la Soie d’Afrique de l’Est

Pour comprendre pourquoi les destructions ciblées et même in-discriminées sont des options particulièrement attrayantes pour les stratèges américains, il est pertinent de se pencher sur la façon dont la CAE figure dans le plan plus large du projet One Belt One Road en Chine pour un réseau connexe de projets mondiaux d’infrastructures. Pour référence, l’auteur suggère que le lecteur lise ses travaux antérieurs sur le sujet publié sur le site Oriental Review, Les problèmes de l’Afrique de l’Est pourrait gâcher ses rêves de route de la soie. Il y est abordé cette question en bref, et vous y verrez aussi les cartes qui ont été présentées dans la première partie de cette recherche sur l’Afrique. Pour plus de commodité, une version mise à jour de la carte la plus pertinente est incluse ci-dessous :

  • Jaune : LAPSSET
  • Bleu : Voie de chemin de fer standard
  • Rose : Couloir central
  • Lavande : Terminal des pipelines ougandais-tanzanien à Tanga
  • Vert lime : TAZARA
  • Vert foncé : Corridor de Mtwara

Cette partie de l’article d’introduction expliquera ainsi les six principaux projets de la route de la soie dans la CAE qui se combinent pour former ce que l’auteur a appelé le méga-projet de la Route de la Soie de l’Afrique de l’Est. Il est à noter que toutes les infrastructures ferroviaires ont été désignées collectivement sous le nom de Plan directeur des chemins de fer de l’Afrique de l’Est et bénéficient d’un important soutien de la part de la Chine.

Partant du nord au sud, les six projets de la Route de la soie sont les suivants :

Corridor LAPSSET

Ce corridor de transport multimodal, qui commence dans le port de Lamu au nord-est du Kenya dans les régions somaliennes, vise à relier l’infrastructure ferroviaire, routière et par pipeline à l’Éthiopie et au Soudan du Sud. En ce qui concerne le premier, on peut considérer qu’il remplit un rôle complémentaire au chemin de fer de Djibouti–Addis-Abeba décrit dans la section précédente sur la Corne de l’Afrique, alors que pour celui-ci, il présente de façon réaliste la seule voie d’accès possible de Djouba aux marchés mondiaux. Le Soudan du Sud ne veut pas tomber sous l’influence du Soudan et ses routes d’exportation sont contrôlées par son rival haï, et considérant que l’État nouvellement baptisé et déchiré par la guerre est maintenant un membre officiel de la CAE, il est logique qu’il donne la priorité au vecteur sud-est pour ses plans internationaux de corridors de développement. En outre, c’est en corrélation avec les objectifs géostratégiques futurs des États-Unis pour la région, qui ont été partiellement agencés pour déchirer cette région riche en ressources loin du gouvernement central afin d’atteindre précisément cet objectif. Mais cela sera discuté plus tard dans un chapitre approprié de la recherche.

Chemin de fer standard (SGR)

Le projet financé partiellement par les Chinois, d’une valeur de 13,8 milliards de dollars, vise expressément à relier le port animé de Mombasa aux économies enclavées du Sud-Soudan, de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. La capitale ougandaise de Kampala est censée servir de jonction cruciale pour relier les autres pays intérieurs avec le Kenya qui, si elle était achevée, approfondirait le partenariat stratégique entre les deux pays voisins et augmenterait leurs positions vis-à-vis de leurs voisins. Cela correspond exactement à leurs grands intérêts stratégiques. En outre, il est possible que le SGR puisse être étendu au port lacustre congolais de Kisangani si la situation se stabilise de façon durable dans la province orientale (en particulier dans la région de l’Ituri), ce qui permettra à ce projet de fonctionner comme une composante essentielle d’une tentative transcontinentale qui relierait les côtes orientales et occidentales de l’Afrique.

Pipeline ougandais-tanzanien

L’Ouganda a déclaré il y a quelques années qu’il avait trouvé d’impressionnants gisements de pétrole dans la partie nord-ouest du pays bordant le lac Albert et a choisi de façon surprenante la Tanzanie comme destination d’exportation en avril 2016 au lieu du Kenya comme tout le monde le pensait. Alors qu’il y avait évidemment beaucoup d’intrigues en coulisses autour du troc de pétrole (spécifiquement au nom de l’investisseur français Total), la raison officielle de l’Ouganda pour changer ses plans est qu’il a estimé que le pipeline proposé serait convenablement sécurisé dans le nord-est du Kenya dans sa partie « somalienne » alors qu’il était prévu à l’origine de se terminer au port de Lamu pour compléter le corridor LAPSSET. Au lieu de cela, le pipeline ira vers le sud en Tanzanie et autour du lac Victoria et atteindra la côte au port de Tanga, l’ensemble du projet devant être achevé d’ici 2020. Point important, il se situe à proximité de certains dépôts de gaz et de pétrole offshore à proximité de l’archipel de Zanzibar, ce qui pourrait aider Tanga à devenir à l’avenir un centre d’exportation énergétique de renommée mondiale s’il est correctement géré et tant que la stabilité intérieure prévaut entre le continent et les îles.

Le changement de plans de l’Ouganda en choisissant la Tanzanie pour son itinéraire d’exportation de pétrole au lieu du Kenya est venu comme un coup démoralisant important pour Nairobi, qui avait mis beaucoup d’espoirs dans sa coopération énergétique avec Kampala. Pour les observateurs extérieurs, il semble que l’Ouganda essaie d’équilibrer sa dépendance stratégique vis-à-vis de ses deux plus grands voisins en s’appuyant sur le Kenya pour le SGR mais cherchant la Tanzanie pour le gazoduc afin de ne pas être trop dépendants de l’un ou l’autre. Vu de Nairobi, il semble que Kampala pivote vers Dodoma et bouleverse la position du Kenya dans une future structure fédéralisée comme principal « gardien » de toutes les routes commerciales maritimes des économies intérieures. En outre, cela ouvre même la possibilité que le SGR ne devienne pas la seule voie ferroviaire vers la mer de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, en particulier parce que le concurrent tanzanien du Kenya avance avec un projet rival du Corridor central qui vise à faire quelque chose de semblable vis-à-vis de sa propre côte.

Si la Tanzanie remplace le Kenya en tant que principale voie de transit pour le reste du commerce international (mondial) des pays de la CAE, cela entraînerait l’isolement progressif de Nairobi au sein de l’organisation et l’émergence de Dodoma comme poids lourd stratégique de l’entité. L’un des effets cumulatifs de ce phénomène pourrait être que le gouvernement kényan soit amené à repenser complètement toutes ses politiques anciennes, y compris son attitude favorable à la fédéralisation, mûrissant ainsi un pivot géostratégique et le rendant sensible aux intérêts de tout partenaire extérieur « capable de changer l’équilibre » qui l’approcherait avec un « deal attractif » (comme les États-Unis).

Le Corridor central et le TAZARA

Bien que deux projets totalement distincts soient construits à près de quatre décennies d’intervalle, ces chemins de fer ont en commun leur financement partagé par les Chinois et le fait qu’ils se terminent à Dar Es Salaam ou le port voisin à 10 milliards de dollars que la Chine et Oman envisagent de construire à Bagamoyo. Le Corridor central est une toute nouvelle initiative qui prévoit un couloir ferroviaire à la pointe de la technologie qui coupera le nord-ouest de la Tanzanie et sera relié au Rwanda et au Burundi, avec la possibilité de s’étendre un jour à l’Ouganda. Ce projet se terminera à Bagamoyo, qui a été développé à partir de rien uniquement à cet effet et avec l’intention de devenir un jour le plus grand port de l’Afrique de l’Est. Le TAZARA, en revanche, est une relique de la coopération de la guerre froide de la Chine avec ses alliés tanzaniens et zambiens, qui ont tous deux été des partisans diplomatiques fiables de Pékin et ce dernier a constamment exporté du cuivre vers le pays via ce corridor.

Comme cela a été expliqué dans la première partie, le TAZARA a le potentiel d’être une alternative au corridor de transport intermodal SGR-Congo que l’auteur a envisagée et pourrait être la deuxième voie possible pour rationaliser un corridor Est-Ouest entre les deux côtes africaines. En fait, si l’on considère le Corridor central comme un mélange et une possibilité technique de remplacer le SGR (mais uniquement dans des circonstances politiques et régionales spécifiques, probablement fabriquées de l’extérieur), la Tanzanie pourrait devenir la principale porte d’entrée de l’Afrique de l’Est et du Centre vers l’océan Indien et le reste du monde. La conséquence logique pourrait être que ses décideurs reviennent à leur résistance antérieure à la fédéralisation. Si les événements se déroulaient de cette manière, la Tanzanie et le Kenya échangeraient ironiquement leurs rôles en ce qui concerne leurs positions respectives vis-à-vis de la fédéralisation, le Kenya autrefois impatient devenant très réticent et la Tanzanie traditionnellement méfiante se montrant totalement enthousiaste.

Corridor de développement Mtwara

Le dernier des six projets liés à la Route de la soie à traverser la CAE est le corridor de développement de Mtwara, dont le noyau est un chemin de fer financé par les Chinois de 1,4 milliard de dollars, de la ville Mtwara sur le lac Malawi à la ville de Mbamba Bay dans la région riche en minéraux de Njombe. Le long de la route, il serait relié également aux mines d’uranium russes sur la rivière Mkuju et sortirait près de l’océan Indien très près du village de Lindi, qui disposera de sa propre usine de GNL pour le traitement des gisements offshore de la Tanzanie. Le corridor de développement de Mtwara est également vital non seulement pour le développement de l’arrière-pays sud de la Tanzanie et les régions rurales du Mozambique, mais aussi pour relier le Malawi enclavé à l’économie chinoise et approfondir la pénétration stratégique de Pékin en Afrique du Sud-Est. Bien que ce soit l’un des moins connus des projets de la Route de la soie de la Chine, que ce soit en Afrique ou ailleurs dans le monde, son manque de popularité dément son importance réelle dans le grand paradigme de la Nouvelle Guerre froide qui s’étend progressivement à toute l’Afrique de l’Est.

Le Coton contre la Soie

L’un des développements les plus importants de la géopolitique mondiale a été jusqu’à présent la récente redirection de l’Inde vers les États-Unis, que l’auteur a expliquée en détail dans une série en deux parties pour le site The Duran. La pertinence de ce changement spectaculaire est qu’elle fait de l’Inde un acteur unipolaire prêt à « contenir » la Chine partout où elle voit la possibilité de le faire au nom de ses clients stratégiques américains, et la région de l’océan Indien ne fait pas exception. La plupart des gens dans le monde sont conscients des plans de la Route de la soie de la Chine, mais peu de gens connaissent la réponse proposée par l’Inde.

New Delhi l’a à peine fait connaître, mais une importante conférence de trois jours a eu lieu dans la ville de Bhubaneshwar, en Inde orientale, en mars 2015, afin de tenir compte de cela et la feuille de route de cet évènement intitulé « Inde et Océan Indien : Renouvellement du commerce maritime et civilisations » appelé aussi la « Route du Coton ».

Conçue comme le contrepoids de l’Inde à la Nouvelle Route de la Soie de la Chine, la Route du Coton a été vaguement décrite comme un plan pour relier l’Inde à toutes les économies de la Région de l’océan Indien, mais on peut supposer que New Delhi travaille dur à transformer ce plan en une réalité. L’auteur a prévu à quoi la route du coton pourrait ressembler dans un article pour Sputnik il y a quelques temps, et comme avec les publications antérieures déjà citées, il est suggéré que le lecteur le relise à sa convenance s’il est intéressé, mais la partie la plus pertinente de la recherche est que l’Inde concentrerait une grande partie de son attention sur l’Afrique de l’Est.

Liens commerciaux et réseaux de la diaspora

En enquêtant plus profondément et en nous appuyant sur l’Observatoire de la complexité économique comme une ressource fiable, il s’est révélé que l’Inde est déjà le principal partenaire à l’importation et à l’exportation de la Tanzanie, tout en restant derrière la Chine comme deuxième importateur du Kenya. On peut affirmer avec confiance que l’importance économique de l’Inde dans ces deux pays n’est pas seulement attribuable à sa géographie proche et à la facilité du commerce maritime entre le sous-continent et l’Afrique de l’Est, mais aussi à la présence de la diaspora indienne, qui est venue ou a été amenée dans la région pendant la période impériale britannique et a acquis après l’indépendance une position confortable dans la classe commerciale de chaque pays. Le Premier ministre Modi a fait une excellente opération en exploitant le potentiel économique de la diaspora dans presque tous les pays qu’il a visité depuis son élection. On peut donc s’attendre à ce que New Delhi ait mis de grands espoirs sur ses compatriotes des deux plus importants pays de la CAE. Cela ouvre la voie au développement futur de la Route du coton.

Le facteur îlien

En regardant la carte, on pourrait pardonner à un observateur occasionnel de ne pas reconnaître qu’il existe deux très petites chaines d’îles stratégiques situées à une distance relativement proche de la côte de l’Afrique de l’Est, les Seychelles et les Comores. La première est la plus importante des deux, car elle « protège » l’approche maritime trans-océan Indien de la FAE, ce qui confère à n’importe quelle force s’y déployant une influence irréfutable et la chance irremplaçable de surveiller les itinéraires commerciaux maritimes à destination et en provenance de la région. En décembre 2015, le Président seychellois a révélé publiquement que l’Inde construirait une base navale quelque part dans la chaîne des îles et que l’envoi par New Delhi d’avions de chasse sous-marine dans l’archipel en mars 2016 est fortement lié aux intentions de l’Inde de contenir la Chine et suivre à la trace ses relations avec les pays de la CAE autour de la nouvelle route de la soie.

Ces faits sur le terrain (ou plutôt sur l’eau) prouvent que l’Inde a réussi à battre la Chine dans la course pour installer une base dans les îles, réfutant ainsi la myriade de rapports qui avaient circulé pendant des années au sujet d’une installation maritime chinoise présumée dans le pays. La Chine considère encore les îles pour y installer une base navale à l’avenir, et il ne serait pas surprenant que Victoria décide de « ménager la chèvre et le chou » entre New Delhi et Pékin en autorisant une base à ce dernier aussi, mais il faudrait voir comment les États-Unis réagiraient. Cependant, il est important d’attirer l’attention sur l’activité navale de l’Inde dans la chaîne des îles parce qu’elle pourrait entraîner des risques stratégiques pour la Chine et ses liens maritimes de communication avec l’Afrique de l’Est, ce qui est évidemment la raison pour laquelle New Delhi a décidé d’aller de l’avant.

L’autre chaîne d’îles près de l’Afrique de l’Est, les Comores, est en fait située beaucoup plus près de la côte, bien que dans une direction extrême sud-est. Ce n’est plus aussi géo-stratégiquement significatif qu’avant l’apparition du canal de Suez, alors que d’innombrables navires étaient forcés de naviguer au travers du canal du Mozambique pour leurs voyages entre l’Europe et l’Asie. Son étoile pourrait de nouveau monter avec les énormes dépôts de GNL situés près de ses côtes en territoire tanzanien et mozambicain. Certes, la Fédération des Comores est extrêmement instable et son histoire après l’indépendance a été marquée par plus de 20 coups d’État ou tentatives de coup d’État, mais cela joue réellement à l’avantage des États-Unis pour diviser et régner dans cette situation en en faisant un foyer de potentiels troubles côtiers dans la région. De plus, la grande majorité de la population est musulmane, et bien que ce ne soit pas un indicateur déstabilisateur en soi, l’adhésion du pays à la coalition « antiterroriste » dirigée par l’Arabie saoudite suscitera sûrement des froncements de sourcils au sujet de l’intention stratégique de Riyad autour de la région de l’Afrique du Sud-Est.

Il ne serait pas déraisonnable ni en contradiction avec les antécédents historiques de l’Arabie saoudite de suggérer que les Comores pourraient être utilisées comme un tremplin terroriste contre l’Afrique continentale, la Tanzanie et ses provinces autonome de Zanzibar étant les cibles les plus commodes. En plus de cela, l’Inde s’est étonnamment rapprochée de l’Arabie saoudite au cours des derniers mois, et si Modi décide de parvenir à un partenariat stratégique similaire avec le Royaume comme il l’a fait avec les États-Unis (s’il ne l’a pas déjà fait), cela pourrait signifier que New Delhi pourrait également trouver un moyen de gagner un appui asymétrique dans cette importante chaîne d’îles. Tout comme avec sa présence aux Seychelles, l’Inde serait avant tout intéressée à trouver un moyen d’employer sa nouvelle position contre la Chine à partir du besoin subjectivement compris de la « contenir » dans le contexte de la guerre froide dans laquelle elle s’est engagée avec Pékin.

Greffe

Dans l’état actuel des choses, l’Inde n’a formulé aucune vision stratégique détaillée pour actualiser sa Route du Coton, même si cela ne veut pas dire que New Delhi manque d’une stratégie cohérente. Au lieu de chercher à imiter la Chine dans le sens de reproduire des projets d’infrastructure de grande envergure tels qu’ils ont été décrits plus tôt, l’Inde veut tout simplement capitaliser sur les investissements de son rival en « se greffant » à eux dès qu’ils seront terminés et en les utilisant pour son propre avantage. De façon réaliste, rien n’empêche l’Inde ou un autre pays comme les États-Unis de le faire, car un corridor d’infrastructure, en particulier celui de la Nouvelle Route de la Soie lié au commerce, est par définition ouvert à toutes les parties et n’est pas censé être restrictif. En plus de cela, si on fait le bilan des objectifs que la Chine veut atteindre dans la région, il n’y a vraiment rien d’autre que l’Inde ou tout autre concurrent pourrait suggérer qui n’a pas déjà été pensé, poursuivi ou actualisé par les Chinois. Cela signifie que les projets les plus efficaces et les plus réalistes sont déjà en construction et que tout autre projet d’ampleur analogue n’est pas nécessaire au sens stratégique (du moins à moyen terme).

En admettant que tel est le cas, cela signifie que l’Inde a effectivement un intérêt à voir les nouveaux projets de la Route de la soie chinoise réussir afin qu’elle puisse les utiliser à ses propres fins, mais elle ne veut évidemment pas que l’influence de Pékin devienne trop forte ou éjecte New Delhi, d’où la présence navale de l’Inde aux Seychelles et la position prospective curieuse de son allié saoudien aux Comores. On peut considérer que les États-Unis ne s’opposent pas entièrement aux nouveaux méga-projets de la Route de la Soie de Chine en Afrique de l’Est, bien qu’ils veuillent bien sûr en restreindre certains, en arrêter d’autres et exercer une influence directe ou indirecte sur le reste. Ainsi, lorsqu’ils sont examinés d’un point de vue stratégique objectif, les États-Unis toléreraient certains des projets d’infrastructure régionaux de la Chine si l’Inde pouvait également en tirer profit, mais pour accroître les chances que ce soit le cas, les États-Unis ne veulent pas laisser les ambitions de la Chine devenir « incontrôlables ». Ils pourraient donc vouloir en « réduire la taille » par quelques troubles de type guerre hybride afin d’en casser quelques-uns et obtenir un contrôle de transit clé sur les autres.

Dans le pire des cas, les États-Unis sacrifieront probablement leur plan stratégique de « greffe » de leur subordonné indien et saboteront toute la Route de la Soie en Afrique de l’Est s’ils le devaient, bien qu’ils semblent avoir beaucoup plus à gagner en ce moment à procéder d’une manière contrôlée et sélective visant uniquement les points de transit les plus cruciaux. En outre, ils pourraient vouloir empêcher la Route de la Soie d’Afrique de l’Est de devenir l’ancre de l’océan Indien pour un corridor intermodal transcontinental futur, afin d’essayer de créer des foyers de chaos en Ouganda, au Rwanda et comme on le voit aujourd’hui, au Burundi afin de le limiter géographiquement pour l’empêcher de « dépasser » les « frontières » que les États-Unis ont mises en place, incapables qu’ils sont d’attaquer les projets eux-mêmes (du moins pas encore). Toutes ces considérations stratégiques doivent être gardées à l’esprit au fur et à mesure que la recherche progresse vers l’étude individuelle des cinq membres examinés de la CAE et de leurs conditions intérieures particulières, étant donné que des vulnérabilités spécifiques de la guerre hybride se révéleront inévitablement et permettront au lecteur de prévoir les diverses méthodes par lesquelles les États-Unis tenteront d’arrêter les plans de la Route de la Soie chinois en Afrique de l’Est.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Liens

Bernard Lugan : Afrique Réeelle N°85 – Janvier 2017

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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