L'oracle disait que selon le dogme, la Banque centrale européenne devait être indépendante pour échapper à l'ingérence néfaste des gouvernements européens dans sa politique monétaire. Beau principe. Et comment peuvent faire les peuples maintenant pour échapper à l'ingérence de la BCE dans leurs économies? Le Saker Francophone
Par Pepe Escobar – Le 29 juin 2015 – Source sputniknews
Le Premier ministre Alexis Tsipras permet au peuple grec de décider de son propre destin par le biais d’un référendum démocratique. Cela suffit pour mettre la troïka – la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne (CE), et le Fonds monétaire international (FMI) – dans un accès de rage folle. Voici, en bref, tout ce qu’il faut savoir sur le rêve de l’UE [European Dream, NdT].
Tsipras a raison, bien sûr ; il devait convoquer un référendum parce que la troïka avait livré «un ultimatum à la démocratie grecque et au peuple grec». En effet, «un ultimatum en contradiction avec les principes et les valeurs fondatrices de l’Europe».
Mais pourquoi? Parce que le réseau politico-économique apparemment tellement sophistiqué des institutions européennes – la Commission européenne, l’Eurogroupe, la BCE – aurait dû en venir à une décision politique sérieuse ; en raison, essentiellement, de leur méchant mélange de cupidité et d’incompétence, ils en ont été incapables. Au moins les citoyens de l’UE commencent maintenant à voir ce que représente leur ennemi : les institutions non transparentes qui sont censées les représenter.
Le renflouement de la Grèce, jusqu’ici à hauteur de €240 Mds (où celle-ci a été utilisée pour blanchir le sauvetage des banques françaises et allemandes), a entraîné une diminution de plus de 25% de l’économie nationale ; un chômage généralisé ; et une pauvreté à des niveaux sans précédent. Et pour les institutions de l’UE – et pour le FMI – il n’y a jamais eu de plan B ; il n’y avait que le chemin de l’euro-austérité – une sorte de choc de terreur économique – ou l’autoroute du désespoir. Le prétexte était de sauver l’euro. Ce qui rend ce prétexte encore plus absurde est que l’Allemagne ne se souciait tout simplement pas du défaut de la Grèce suivi d’un Grexit [sortie de l’euro, NdT] inévitable.
Et même si l’UE fonctionne en pratique comme un mastodonte réactionnaire maladroit, le spectacle déconcertant reste celui des intellectuels normalement réputés, tels que Jürgen Habermas, dénonçant le parti Syriza comme nationaliste et louant le président de la BCE, Mario Draghi, ancien golden boy de Goldman Sachs.
En attente de Diogène
Le référendum du 5 juillet va bien au-delà du fait, pour les Grecs, de répondre s’ils acceptent ou rejettent des hausses d’impôts gigantesques et des coupes dans les retraites (affectant beaucoup de gens qui sont déjà en dessous du seuil officiel de pauvreté) ; ce qui est la condition sine qua non de la troïka – qualifiée de mesures barbares par plus d’un ministre grec – pour débloquer encore un autre plan de sauvetage.
On pourrait penser qu’une question plus pertinente au referendum du 5 juillet pourrait être : «Quelle est la ligne rouge pour que la Grèce continue à faire partie de l’euro?»
Le Premier ministre Tsipras et le ministre des Finances Varoufakis ont récusé les rumeurs insistantes disant qu’ils accepteraient l’humiliation de rester dans la zone euro. Cela n’a servi qu’à radicaliser encore plus l’élite politico-économique allemande – de la Dame de Fer Merkel au ministre des Finances Schäuble. Leur secret pas si caché est qu’ils veulent virer la Grèce de l’euro aujourd’hui.
Et cela amène, lentement, un bon nombre de Grecs – qui croyaient encore dans les avantages d’une maison financière prétendument commune – à commencer d’accepter un Grexit. Avec la tête haute.
La BCE n'a pas encore employé l'arme nucléaire pour anéantir l'ensemble du secteur bancaire grec [au moment de cet article, pas encore, effectivement, mais depuis... NdT]. Mais, de facto, le plafonnement, une fois le week-end du 27 juin passé, de l'assistance de liquidité d'urgence (ELA), tout l'enfer va se déchaîner si des millions de Grecs décident de retirer leurs économies au début de cette semaine, avant le référendum.
La Banque de Grèce, dans un communiqué, a souligné que «en tant que membre de l’Eurosystème, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la stabilité financière pour les citoyens grecs dans ces circonstances difficiles», ce qui implique de sérieuses limites sur les retraits bancaires – permettant ainsi à la Grèce de survivre jusqu’au jour du référendum.
Pourtant, personne ne sait ce qui se passera après le 5 juillet. Grexit reste une possibilité distincte. En se projetant plus loin, et en s’inspirant du Ring, l’opéra de Wagner, il semble également clair que les institutions de l’euro elles-mêmes ont jeté de l’huile sur un feu qui peut finalement consumer toute la zone euro – une conséquence directe de leur zèle à immoler les Grecs comme Brunehilde.
Ce que la Grèce – le berceau de la civilisation occidentale – a déjà montré au monde devrait rendre leurs citoyens fiers ; rien de tel qu’un coup de feu de la démocratie pour rendre cinglés les dieux du néolibéralisme.
On peut être tenté d’invoquer un Diogène post-moderne, le premier philosophe sans-abri [un tonneau, NdT], avec une lanterne, à la recherche d’un honnête homme (à Berlin? Bruxelles? Francfort?) Et ne jamais en trouver un.
Imaginons une autre rencontre que notre post-moderne Diogène pourrait avoir alors qu’il lézarde au soleil sur une place à Athènes, au lieu de la plus grande célébrité du moment, Alexandre le Grand :
– Je suis Wolfgang Schäuble, le roi de la finance allemande.
– Je suis Diogène le Cynique.
– Y a-t-il une faveur que je puisse t’accorder ?
– Oui. Ôte-toi de mon soleil !
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone