Est-ce que quelqu’un pense encore sérieusement que la Russie et Israël ne sont pas alliés ?


Par Andrew Korybko – Le 7 septembre 2017 – Source The Duran


Le dernier raid de bombardement israélien sur la Syrie [en septembre dernier, NdT] est la confirmation que le sommet Poutine-Netanyahou à Sotchi a été beaucoup plus réussi que certaines voix dans les médias alternatifs ont amené les gens à le croire.

Personne ne peut sérieusement nier, à ce stade, que la Russie et Israël sont des alliés en Syrie, et le dernier bombardement de Tel-Aviv le prouve. Aucune des impressionnantes unités anti-aériennes S-400 dernier cri n’a été activée pour l’arrêter, mais cela ne devrait pas être une surprise pour ceux qui ont même une compréhension élémentaire des rapports russo-israéliens contemporains. S’il est vrai que Moscou avait l’habitude de s’opposer à Israël pendant la guerre froide, tout cela a changé depuis la dissolution de l’Union soviétique et les deux parties sont plus proches aujourd’hui qu’à aucun moment de leur histoire.

L’auteur a écrit sur les spécificités de ce partenariat de haut niveau, mais largement non affiché, dans une série d’articles précédents qui sont énumérés ci-dessous, et qu’il recommande au lecteur au moins de les parcourir s’il est totalement ignorant sur ce sujet :

21 mars : « Israël et la Russie ne sont pas au bord de la guerre. Ils sont alliés !« 
22 mars : « Ce que la Russie a dit à Israël après le raid de Palmyre« 
6 juin : « La diplomatie énergétique de la Russie au Moyen-Orient : explosion ou renforcement ?« 
27 juin : « Le compte à rebours syrien de 10 jours commence« 
10 juillet : « Un cessez-le-feu syrien pour qui ?« 

L’idée dominante est que l’État profond (bureaucratie militaire permanente, renseignement et diplomatie) est proche d’Israël en raison de la diaspora ethnique dans ce pays qui les relie et que cela crée en retour les bases solides pour un développement multidimensionnel de cette relation dans les sphères militaires et stratégiques. Il pourrait paraître étrange de soutenir l’idée qu’Israël soit l’allié de la Russie en Syrie alors que Tel-Aviv a travaillé avec les États-Unis et d’autres pays pour créer ce même terrorisme qui a déclenché l’intervention de Moscou, mais c’est ici que cela vaut la peine de citer un passage pertinent de mon analyse en date du 27 juin :

« Moscou respecte strictement son mandat militaire anti-terroriste en Syrie et ne s’intéresse à rien d’autre qu’à la lutte contre Daech. Mais c’est justement parce que cela donnait une perception prédominante non explicite de ses engagements envers ce pays que cela a fait croire à beaucoup de gens que la Russie était là pour s’opposer implicitement à tous les objectifs géostratégiques américains et ‘israéliens’.

Bien qu’il y ait un grand écart entre la mission de la Russie de venir à bout de Daech et ainsi de détruire les plans initiaux de Washington et de Tel Aviv en Syrie, le fait que Moscou ait déjà réalisé la plus grande partie de cette mission originale et que ses soi-disant ‘adversaires’ aient poussé à la ‘fédéralisation’ (partition interne) du pays en tant que ‘Plan B’, cela ne doit pas être interprété comme signifiant que la Russie va également étendre ses responsabilités afin de s’opposer une fois de plus à ces deux acteurs. »

Il n’y a aucun scénario où la Russie s’opposera directement à Israël en Syrie, au contraire, elle se félicite de ses « frappes chirurgicales » occasionnelles parce qu’elles jouent dans la stratégie de Moscou pour contrer indirectement l’Iran. Personne en Russie ne le dira jamais ouvertement, et toutes les déclarations publiques des représentants officiels affirment le contraire, mais la Russie développe un sentiment croissant de méfiance à l’égard de l’Iran et vice-et-versa. Ces sentiments proviennent de ce qui s’est déroulé jusque là en Syrie loin de l’œil des médias. Un observateur averti noterait cependant avec raison que chacune des frappes israéliennes sur la République arabe a été faite sous prétexte d’attaquer une sorte d’unité ou d’infrastructure iranienne ou alliée iranienne et que la Russie n’a jamais levé le petit doigt pour l’opposer ou la condamner.

Les raisons en sont multiples, mais la plus importante concerne les progressistes de la politique étrangère russe qui veulent profiter de la position dominante de leur pays en Syrie afin d’établir et de renforcer de nouveaux partenariats internationaux, dans le but de réaliser leur vision géostratégique du XXIe siècle pour devenir la force d’équilibre suprême en Eurasie. Cette stratégie est conduite par la faction de « l’État profond » qui a été décrite plus en détail dans mon analyse intitulée « Les progressistes de la politique étrangère de la Russie ont trompé les traditionalistes », qui peut être résumée comme suit : la Russie veut conclure des partenariats non traditionnels tels que celui avec Israël afin de « balancer » les traditionnels qu’elle a avec des pays comme l’Iran.

Cela ne signifie pas que la Russie est « anti-iranienne » en soi, mais seulement que la grande stratégie des deux États-civilisation se contredisent sur certains fronts comme celui lié au rôle d’après-guerre espéré de Téhéran en Syrie vis-à-vis de son rival israélien détesté qui, comme tous ceux qui ont des connaissances même superficielles sur ce sujet le savent, est destiné à renforcer la position globale de l’Iran contre Israël grâce à ses propres forces et celles de sa milice alliée, le Hezbollah. La Russie, cependant, ne semble pas d’accord avec cette politique car elle pense qu’elle ne fera que « déclencher » plus de raids israéliens en Syrie, ce qui pourrait contribuer à une plus grande déstabilisation du pays et mettre en danger par inadvertance la sécurité des forces russes sur le terrain ou la facilitation indirecte du terrorisme.

Bien que cela puisse être dur à lire pour les médias alternatifs, les actions de la Russie, en permettant passivement à Israël de bombarder ce qu’elle prétend (avec précision ou non) être des infrastructures et des troupes proche de l’Iran (syriennes ou alliées) en Syrie, semble indiquer que Moscou croit que Téhéran « l’a bien mérité », ou plus, que l’Iran « provoque » Israël par sa simple présence dans l’ouest et le sud de la Syrie et qu’il est donc « légitime » pour Tel-Aviv d’y répondre militairement par des « frappes chirurgicales ». Cette explication ne doit pas être considérée comme une approbation personnelle de l’auteur à cette politique, mais comme une observation empirique tirée de l’analyse de tous les raids de bombardement israéliens sur la Syrie juste pour cette année. La coopération implicite, bien que passive, que Moscou apporte à Tel-Aviv à cet égard pourrait également avoir à voir avec ses décideurs qui veulent garder l’Iran sur la défensive stratégique globale afin que le soutien existant que la Russie lui fournit acquiert une importance accrue.

Pour le meilleur ou pour le pire, la Russie estime que l’Iran a plus besoin d’elle que l’inverse et que Téhéran continuera à coopérer avec Moscou, peu importe ce qui se passera, car il n’a aucune possibilité de le remplacer dans la stratégie des sphères de la coopération dans le domaine de l’énergie nucléaire et du processus de paix syrien. De plus, comme la troïka composée d’Israël, des États-Unis et de l’Arabie saoudite (conceptualisée par l’auteur sous le nom de « Cerberus ») multiplie les pressions exercées contre leur rival et encourage sans cesse leurs partenaires à le faire, le vecteur russe sur la politique économique iranienne continuera à paraître plus attrayant en tant que « soupape de sécurité », en particulier dans la perspective du projet de corridor de transport Nord-Sud sur lequel travaillent les deux parties avec l’Inde et l’Azerbaïdjan. Tant que la Russie n’est pas directement (mot clé) hostile à l’Iran, que ce soit en Syrie ou ailleurs, et continue à compter sur Israël comme sa « patte de velours » selon les intérêts à la fois de Moscou et de Tel-Aviv, il y a peu de raisons de s’attendre à ce que Téhéran « joue les durs » en réduisant sa coopération existante avec la Russie.

De plus, pour aborder les contradictions géostratégiques susmentionnées entre la Russie et l’Iran, si l’Iran devait réaliser avec succès sa grande vision stratégique d’établir un « arc de résistance » entre l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban, la Russie perdrait son nouveau rôle comme force d’équilibrage suprême dans cet espace pivot. Pour Moscou, il est préférable que la Russie reste l’acteur le plus puissant pour empêcher les accords entre tous les partenaires qui pourraient potentiellement jouer un rôle plus important, comme par exemple participer au pipeline greco-chyprio-israélien vers l’Europe. Cela a été décrit dans le travail de l’auteur mentionné plus haut, « Diplomatie énergétique de la Russie au Moyen-Orient : explosion ou renforcement ?«  et l’idée est que la coopération russo-israélienne pour contrer le rôle croissant de l’Iran en Syrie pourrait être la condition de l’implication de Moscou dans ce projet énergétique. On pourrait raisonnablement supposer que la Russie s’attend à ce que les riches hommes d’affaires israéliens (probablement ceux d’origine russe) investissent dans leur ancienne patrie dans le cadre de ce dispositif en contrepartie de l’aide apportée à Moscou pour faire face aux sanctions occidentales auxquelles Tel-Aviv a refusé de participer.

Encore une fois, on ne saurait trop insister sur le fait que rien de tout cela ne devrait surprendre les observateurs objectifs, mais c’est juste que la communauté des médias alternatifs s’est engluée au fil des années dans un flot incessant de « vœux pieux » croyant que la Russie est en quelque sorte « contre » Israël en général, en particulier en Syrie. Un exemple parfait de ce qui s’est produit récemment est le triomphalisme prématuré de l’échec supposé du sommet Netanyahou-Poutine à Sotchi, bien que la sagesse du recul ait maintenant réfuté tout ces commentaires puisqu’il est très probable que les deux dirigeants aient discuté ce qui allait advenir, le raid israélien sur Homs. Cela permet de voir l’analyse souvent répétée que Poutine a rabroué Netanyahou, et la théorie encore plus répétée, bien que constamment déboulonnée, selon laquelle la Russie a mis en place une « bulle de protection aérienne » basée sur ces S-400 contre Israël en Syrie, comme rien d’autre qu’une histoire maintes fois répétée dans les médias alternatifs et amplifiée par des voix amies des Iraniens.

L’intention en soulignant cela n’est pas du tout de « défendre Israël » ou de « dénigrer l’Iran », mais simplement d’attirer l’attention sur la psychologie de la pensée collective qui a pris le contrôle des médias alternatifs et qui conduit souvent à la création irréaliste de faux espoirs presque toujours déçus. Cela remet ainsi en question la justesse professionnelle de certaines des principales forces qui promeuvent sans cesse de telles opinions malgré le fait qu’elles sont contredites à maintes reprises par la dure et froide vérité de la réalité. On comprend tacitement qu’il y a une certaine tendance « politiquement correcte » [anti-système, NdT] à nier le partenariat stratégique étroit et global de la Russie avec Israël, surtout si l’on parle de plateformes médiatiques au Moyen-Orient traditionnellement amicales ou à tout le moins respectueuses envers Moscou. Mais cela devra changer si les experts et les aspirants analystes veulent vraiment refléter la réalité objective de ce qui se passe dans le monde et pourquoi… À moins bien sûr qu’ils se contentent de mettre leur réputation en jeu pour faire avancer un certain récit.

Andrew Korybko

Note du Saker Francophone

Depuis lors, il semble que la donne ait changé et que la Syrie soit sans doute soutenue ou du moins ne soit pas contrariée par l'Iran et/ou la Russie, car elle a répondu aux raids israéliens en protégeant activement son espace aérien. Les actuels atermoiements des contrats pétroliers passés entre Rosnef et certaines factions kurdes peuvent s'expliquer aussi par cette stratégie. C'est un jeu subtil et on peut être sûr que les Iraniens savent aussi y jouer. Ce texte est un rappel à l'ordre à tous les médias alternatifs. Il ne faut se laisser envahir par ses hooligans politiques.

L'anti-système du jour peut devenir l'agent du système demain et inversement. Les Iraniens n'ont probablement aucun intérêt ni même volonté à souhaiter la fin d’Israël car pour eux aussi l’existence d'un "meilleur" ennemi est une des garanties de leur cohésion nationale et plus largement de celle du monde chiite. Ils n'ont d'ailleurs pas à lever le petit doigt, les politiciens israéliens arrivent très bien par eux-mêmes à salir la réputation de leur État.

Si l'objectif affiché des médias alternatifs est la fin de l'Empire et le retour de la souveraineté des peuples, sans passer par la case épuration ethnique, il va bien falloir considérer tous les peuples, et les Palestiniens bien sûr, comme les Judéo / Israéliens puisque c'est bien de cela qu'il s'agit. Si ce devait être le cas un jour prochain, le profil historien / psychologue devrait avoir de l'avenir pour être capable de raconter la réalité complexe l'Histoire des peuples et de leurs élites sans trop s'énerver.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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