Équateur : un Lénine de pacotille


Par Andrew Korybko – Le 16 août 2018 – Source orientalreview.organdrew-korybko

L’Équateur envisage de laisser les USA ouvrir un soi-disant « Bureau de coopération à la sécurité » dans ses frontières.

RT signale que le ministre de la Défense équatorien a confirmé ce développement en fin de semaine dernière, et écrit qu’il s’agit d’un retournement par rapport aux positions de l’administration du président précédent, Rafael Correa, qui avait refusé de renouveler le bail accordé aux USA sur la base aérienne de Manta et avait ensuite amendé la Constitution pour interdire l’hébergement de toute base militaire étrangère. Les nouvelles autorités de défense équatoriennes ne voient pas la nouvelle initiative comme inconstitutionnelle, arguant du fait que la présence de soldats américains sur le sol équatorien ne serait pas permanente, et que la direction de ce programme de partage de renseignements serait assurée par l’armée de l’air équatorienne ; mais les critiques rétorquent à raison que ce développement constitue un nouveau déploiement de puissance américaine sur le continent.

Il s’agit d’une page de plus dans la riposte des USA à ce qu’on avait appelé la « marée rose », au milieu des années 2000 ; on pourrait appeler cette riposte, en reprenant les dénominations de la guerre froide, « opération condor 2.0 » : s’appuyant sur des méthodes obscures, telles que « coups d’État constitutionnels » et guerres hybrides, les USA avancent leurs pions pour contrer les progrès régionaux que les pays d’Amérique latine avaient réussi à réaliser, en restaurant leur souveraineté, y compris en Équateur. Il semble que dans ce petit pays jouxtant l’océan Pacifique, les USA aient réussi bon gré mal gré à coopter le président Lenin Moreno, en dépit de toutes les attentes de le voir reprendre l’héritage de Correa, son prédécesseur [également ex-vice-président et membre du même parti politique, Alianza País, NdT]. Mais les événements ont donné tort à ces attentes : après qu’on a supposément vu Quito entrer en pourparlers secrets avec Washington quant au sort du lanceur d’alertes Julian Assange, voici la mise en place de ce « bureau de coopération à la sécurité ».

Lenin Moreno, le président équatorien

L’Équateur ne constitue pas en soi un pays si important, en dépit de ses réserves pétrolières de niveau moyen et de son histoire récente qui a vu le pays prendre le rôle de tête de pont pour l’influence chinoise dans la région. Mais il s’agit, symboliquement, de la première victoire des USA dans leur tâche de retourner l’un des membres du bloc multipolaire ALBA, dont le premier de cordée est le Venezuela. La république bolivarienne, tout comme son voisin du Nicaragua, est en pleine tourmente et se débat contre des guerres hybrides dont l’intensité ne cesse de croître, cependant que Cuba doit également résister aux pressions incessantes contre son économie. La Bolivie, pays enclavé, sera sans doute la prochaine cible, à l’occasion de la course à la réélection de son président Morales l’an prochain, mais dans l’intervalle, on peut affirmer que l’Équateur est pour ainsi dire devenu un pays vassal des USA.

L’unité d’ALBA se voit mise en danger, ainsi que la cohésion générale de l’équilibre multipolaire du continent dans son ensemble. Il s’agit également d’une bizarrerie historique : qui aurait pu croire qu’un homme baptisé Lénine puisse devenir un proche collaborateur des USA et de leurs desseins néo-impériaux ?

Cet article constitue une retranscription partielle de l’émission radio context countdown, diffusée sur Sputnik News le 10 août 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Note du Saker Francophone

Le même auteur a écrit une série de quatre articles rappelant toute l'histoire et les enjeux géopolitiques de l'Amérique du Sud. En voici les liens, traduits par nos soins :

Traduit par Vincent, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker francophone

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